Depuis une dizaine de jours, un «comité de rémunération» est installé au siège de la Béac. Ordonné par les chefs d’Etat de la sous région, ce comité revoit entre autre les salaires de l’ensemble du personnel de cette structure, et porte son regard sur les maux qui créent le déficit croissant de cette banque d’émission. Une réorganisation de la Béac se profile à l’horizon.
La révélation, courant 2009, de deux scandales financiers retentissants à la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Beac), la vie dans cette institution monétaire est marquée par des difficultés de gestion. Une situation pendant longtemps éludée par les chefs d’Etat de la sous-région, mais qui ont fini par procéder aux réformes plusieurs fois annoncées et attendues, mais maintes fois ajournées du fait de querelles de préséance et de partage des principaux postes au prétexte de la non rupture du Consensus de Fort-Lamy. La partie française, inquiète, a clairement exprimé sa préoccupation. Il n’est pas jusqu’au Fmi qui ne s’en émeut. Une réforme est cependant rendue incontournable. D’où d’ailleurs sa mise en route effective à la conférences des leaders de la Cemac, à Bangui, en janvier 2010, avec la nomination au poste de gouverneur de l’Equato-guinéen Lucas Abaga Nchama et la prescription de différentes enquêtes. Pour autant, la solution n’est pas pour demain.
La crise à la Banque centrale des Etats de l’Afrique centrale (Beac) a connu un rebondissement depuis quelque deux mois, avec la mise en place par la conférence des chefs d’Etat, au terme du sommet extraordinaire du 06 juin 2010, d’un comité dit de rémunérations. Par la même occasion, les présidents des six pays membres de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) initiaient des enquêtes approfondies sur la situation financière de l’institution d’émission. Sur la question des malversations financières et de la gouvernance globale, Paul Biya, Ali Bongo, Idriss Deby, Obiang Nguema, François Bozize et Denis Sassou Nguesso sont divisés, mais s’accordent au moins sur certaines autres réformes.
A la lumière des premiers rapports alarmants, ils ont prescrit l’évaluation des placements effectués sur la place parisienne par l’entremise du Compte d’opérations. Le Comité de rémunérations est appelé, de ce point de vue, à donner un éclairage sur le 1,6 milliard d’euros placés à Paris et dont la rémunération pose d’énormes soucis à la direction de la banque depuis fin 2009. Selon des informations concordantes, le taux d’intérêt de cette enveloppe est passé de 2,75 à 1%, la partie française soutenant que, du fait de la crise financière internationale, «l’argent ne se vend plus». Conséquence, les comptes de l’institution financière se trouvent fortement perturbés.
Selon les premières estimations du Comité de rémunérations (et bien avant, les différentes enquête conduites), pour l’exercice 2009, la Beac a enregistré un déficit de 29 milliards de Fcfa. Au 30 juin 2010, ses pertes étaient évaluées à 31 milliards de Fcfa. Une situation jugée des plus incertaines par la communauté monétaire internationale, au premier rang de laquelle le Fonds monétaire international (Fmi), qui a suspendu, courant juin 2010, ses décaissements en faveur des pays de la Cemac du fait de «graves perturbations survenues dans la gouvernance de la Beac». Si la mission en cours a aussi pour objectif de réduire ces différents déficits, son rôle est surtout de donner au management de la banque centrale des outils pour conduire à un véritable assainissement.
Serrer la ceinture
Pour cela, il lui est demandé la diminution des charges de fonctionnement de l’institution, dont les salaires et les missions constituent les plus importantes poches de dépenses. D’où la dégradation amplifiée de sa trésorerie. D’après les premiers résultats du Comité de rémunérations, et selon des indiscrétions recueillies dans l’entourage des chefs d’Etat au cours de la célébration du cinquantenaire de la République du Congo, le 15 août 2010 à Brazzaville, la Beac emploie 300 hauts cadres. Cette réalité suscite des appréhensions certaines du fait de la qualité de la masse salariale, et il faut se serrer la ceinture. A titre d’exemple, le gouverneur gagne 30 millions de Fcfa, le vice-gouverneur et le secrataire général ont 20 millions de rémunération chacun, cependant que les trois directeurs généraux perçoivent 15 millions mensuels chacun. Sur la foi des observations formulées par les commissaires, ces six hauts cadres de la Beac sont rétribués à hauteur de 130 millions de Fcfa.
Des traitements auxquels il faut ajouter les autres avantages à l’instar des hôtels particuliers. Or, dans le même temps, le gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest (Bceao), a un salaire qui oscille entre 8 et 10 millions. Un écart de traitement entre les gouverneurs des deux institutions bancaires que rien ne justifie, en tout cas. Prémonitions, querelles de leadership ou simple volonté d’affirmation ? Pour les chefs d’Etat du Tchad et de la Guinée Equatoriale, le changement de gouverneur n’était pas une solution à la réforme des institutions communautaires. Il fallait surtout une volonté politique doublée de la qualité des hommes. Surtout que, sous le ciel de Yaoundé où siège la banque centrale, aucun oracle ne laissait poindre à l’horizon les scandales financiers à répétition qui ont éclaté au grand jour depuis 2008. Les réformes, dont le premier volet a sanctionné le sommet de Bangui, étaient certes rendues incontournables. Mais il urgeait d’éviter de retomber dans les travers du passé.
Puissance pétrolière
Ceux ayant entouré la nomination controversée du Gabonais Philibert Andzembé, dont le bail à la tête de la banque centrale s’est en partie caractérisé par la découverte, tardive, en avril 2008, par le vice-gouverneur, Rigobert Roger Andely, de l’existence de ce placement à risque. Une révélation qui n’a pu améliorer la situation qui a, au contraire, connu d’autres développements plutôt déplorables dès lors qu’à partir de ce moment-là, la mésentente entre les deux hommes (Andzembé et Andely) était devenue patente au point de détériorer le climat général de travail. Et pourtant, c’est un gouverneur élu à l’unanimité, pour un mandat de 5 ans, qui a pris fonction quelques années plus tôt avant d’être confronté à l’hostilité du Tchad et de la Guinée Equatoriale.
Dès le départ, la délégation tchadienne aura pointé son manque d’expérience, rejointe par la Guinée Equatoriale, qui avait déjà mené campagne pour faire tomber Jean-Félix Mamalepot. Ambitieuse, regorgeant de dollars, la nouvelle puissance pétrolière de la sous-région demande que le poste de gouverneur, réservé à un Gabonais, tourne entre les six États de la Cemac. Une revendication que le pays juge légitime, puisqu’il alimente au moins 50% des avoirs en devises centralisés par la Beac et considère que son argent est très mal géré. La Guinée Equatoriale et le Tchad continuent de demander, comme ils le font depuis au moins un an, au Gabon de rembourser à la Beac les pertes du placement auprès de la Société générale. Un autre front sur lequel doit se prononcer le Comité de rémunérations.
Une enquête de Léger Ntiga