Apocalypse

Publié le 02 septembre 2010 par Perce-Neige

Mathias Enard, dont sur D-Fiction on peut lire un entretien avec Caroline Hoctan et Jean-Noël Orengo, écrit ceci dans "Zone" (Ed. Actes Sud) : « …comme des cochons précisément en plein no man's land allongés dans la boue sous la pluie devant une ferme bombardée les Serbes à deux cents mètres tout au plus, si ivres que nous n'avons même pas entendu le départ de l'obus croate qui est tombé à vingt mètres à peine, l'explosion brutale et sèche nous a mouchetés de terre, le rire d'Andrija s'est tu d'un coup, allez viens, il m'a dit, on va chercher cette putain de bestiole et on rentre, les Serbes ont commencé à répliquer, on percevait les départs des mortiers juste devant nous, des 80, on allait finir bloqués là entre deux feux sans dîner, il devait être près de minuit on a fait le tour de la baraque avec précaution et dans l'éclair d'une déflagration proche nous avons découvert une truie énorme coincée dans un corral improvisé, affolée par les obus elle tournait en rond comme une oie Andrija s'est remis à rire, à rire tant et plus, comment va-t-on porter ce mastodonte il va falloir le découper sur place, il s'est approché de la bête a tiré sa baïonnette la truie a essayé de le mordre et s'est mise à couiner quand le couteau a entaillé sa graisse, le fou rire m'a pris aussi, malgré le bombardement, malgré les tchetniks qui devaient penser à la préparation d'un assaut j'avais devant moi un soldat noir de boue trempé un poignard à la main en train de courir après un animal affolé dans le fracas des explosions, une mitrailleuse a commencé à tirer du côté serbe, Andrija en a profité pour lâcher une balle de kalachnikov dans la bestiole 7,62 trop petit calibre pour chasser le porc il aurait fallu la lui coller en pleine tête elle a continué à hurler de plus belle en boitant Andrija le fou sanguinaire a fini par lui sauter sur le râble le couteau entre les dents ainsi les bolcheviks dans les illustrations nazies, Andrija chevauchait son cochon comme un poney j'avais mal au ventre tellement je riais, il a fini par atteindre la carotide avec sa lame… »