Peut-on évaluer un enseignant ? Pour la gauche, c'est clairement non. Chacun des 800.000 enseignants de l'Education Nationale dispose du même talent, évidemment patiné par l'ancienneté. Rien ne justifie qu'on les traite autrement que comme des matricules interchangeables. Rien ne justifie une différenciation des rémunération en fonction de critères subjectifs, ni de sanctionner un prof, et encore moins de le licencier. Le terme "licenciement" est d'ailleurs banni de son vocabulaire. Même l'embauche doit répondre à la logique informatique, ou comptable, de systèmes totalement déshumanisés. Pour les syndicats enseignants, l'équité est protégée par la déshumanisation des rapports sociaux.
Le premier exemple que l'enseignant montre à ses élèves, c'est la grève. C'est pourquoi avant même que l'année ne démarre, un mouvement de grève se profile à un horizon proche. Nous n'en savons pas vraiment les raisons, les profs non plus. Mais bon, il faut bien le mériter, ce respect des élèves qui savent à peine écrire français. Le modèle devant lequel l'enfant grandit, l'idole qui détient le savoir, et le lui transmet avec une humiliante parcimonie (mais des humiliations sans aucune réserve), la connaissance, la culture, il n'a ni dieu ni chef, il fait grève et il vous emmerde. C'est un idéal comme un autre, non ? Et le directeur d'école survit comme il peut sans aucun pouvoir sur qui que que ce soit, dans son établissement ni sur quoi que ce soit. Les dessets de la cantine peut-être, et encore.
Une étude, déjà très contestée, montre qu'on peut pourtant évaluer le travail des enseignants selon des critères choisis et affinés. Si nous nous mettions d'accord sur le principe que l'enseignant est un prestataire de service comme les autres, bref un être humain comme les autres, nous pourrions envisager une réforme un peu plus ambitieuse de l'école. Par exemple, un enseignant qui répondrait devant un directeur à l'autorité réelle pourrait se révéler meilleur, plus fiable et plus soutenu dans les moments difficiles. Les rares enseignants qui ne sont clairement pas faits pour ce métier pourraient être sortis du circuit pour se réorienter vers des activités moins dommageables pour nos chères petites têtes blondes. Mais bon, il n'est aujourd'hui pas question de rentrer dans ce genre de processus menaçant. Dans cette logique imparable syndicale, pourquoi soumettre à un quelconque jugement celui qui assure l'éducation de nos enfants et les prépare à affronter le monde et son avenir ? Faisons lui aveuglément confiance, on sait que c'est le meilleur moyen... de se planter sans aucun contrôle.
Car il faut noter qu'en revanche, ceux qui ont un réel talent pédagogique, ciblé sur le gratin destiné aux meilleures prépas, ou sur les quartiers difficiles dont il faut savoir extraire le talent, ceux-là pourraient être valorisés et promus pour encadrer d'autres enseignants plus en difficulté, proposer des méthodes et les développer auprès de leurs collègues. Après tout, une juste émulation sert aussi à promouvoir les meilleures pratiques et à y former ceux qui ne les connaissent pas encore. Mais cette ambition ultra-néo-libérale ne répond pas aux priorités de nos syndicats enseignants qui ne veulent que le meilleur pour leurs syndiqués : c'est à dire rien. Le meilleur, c'est de ne rien faire. Voilà le modèle en action dispensé aux élèves, et ils commencent à bien l'avoir assimilé.
Anecdote amusante (enfin, pour l'observateur lointain moins pour les intéressés), une enseignante qui a longtemps et allègrement franchi la ligne rouge vient d'être sanctionnée par l'Inspection Académique (c'est tellement rare, elle a dû bien emmerder son monde !) : 40 mois de suspension d'activité (mais toujours payée, dans la fonction publique, il y a une graduation subtile dans les punitions). Les causes de cette décision sont celles que nous sommes des millions de parents d'élève à connaître ou à avoir connu : le rapport de l'Inspection générale souligne des « manquements aux obligations de réserve, de neutralité et de laïcité », et une « instrumentalisation des élèves » par des « lavages de cerveaux ». Faute avérée ou prétexte pour la suspendre à la veille de la retraite ?
L'enseignante emmenait tous les ans les élèves à Auschwitz-Birkenau, ce qui est certes un pèlerinage intéressant et riche pour des adolescents. Mais sa passion semblait exclusive, excessive et pas forcément adaptée aux programmes d'histoire. En période de vaches maigres, le financement du voyage des 140 élèves prévus n'était pas non plus aussi prioritaire. pour l'établissement qui souhaitait réduire le nombre d'élèves partants. Et au lieu de comprendre le contexte, les contraintes nouvelles, cette militante apparemment d'extrême gauche avait au contraire encouragé ses élèves à lancer une pétition, à réaliser des banderoles pour les pendre aux murs du lycée lors de la venue du ministre de l'Education Nationale dans son établissement. Bref, elle formait surtout ses élèves à la désobéissance, à la grève (on en revient à la logique du début), aux barricades et à la contestation de toute autorité. Et pendant ces séjours à l'étranger, il semblerait qu'elle ait laissé les élèves se bourrer la gueule boire avec excès en bloquant les interventions d'assistants consternés. Pourquoi pas, mais dans ce cas pas dans une école publique, et pas avec l'argent du contribuable, de la république. J'aurais tendance à suggérer qu'elle se réoriente vers l'organisation de colonies de vacances thématiques autour de la révolution. Il y a sûrement un marché pour les enfants de militants du NPA ou des verts, et pour les membres de la FIDL.
En attendant, le modèle scolaire attend toujours une réforme qui permette de ne plus agir aussi ponctuellement sur les situations les plus abusives. La restauration de l'autorité ne se fera pas sans restaurer l'autorité auprès des enseignants eux-mêmes. Cela signifie que les chefs d'établissement doivent se voir confier un réel pouvoir sur l'équipe enseignante. Cela commence par les critères d'embauche, l'individualisation de la rémunération, le choix des promotions, l'éviction et les partenariats avec d'autres établissements scolaires. Une révolution, vous dis-je.
Article repris avec l'aimable autorisation de son auteur.