31 août 2010
Quatre aller-retour Paris – Rio plus tard.....
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La voilà donc cette
première session longue avec enfants seuls sur Galapiat. Si
l'expérience sénégalaise d'il y a quelques mois fut une réussite,
elle n'a duré qu'une petite quinzaine de jours, s'est déroulée en
présence de ma soeur et de ma mère et la logistique en a été
grandement facilitée par le fait que ma mère vienne et reparte avec
eux. Je lui en rends grace à nouveau. Cette fois-ci, je me démerde
avec eux pour un mois entier et sans assistance. Ces quelques jours
préliminaires de début juillet entre mecs à Paris à faire les
touristes entre bateaux mouche et parc floral se déroulent comme
dans un rêve. La séparation les rend à chaque fois adorables les
premiers temps, avant que leur naturel turbulent ne reprenne le
dessus.
Paris => Marina Pier
46 à Paraty, Brésil, représente déjà une bonne trotte: 10 h
d'avion si on prend un direct, au moins 14 quand, économies
obligent, on transite par Lisbonne. Arrivée tard à Rio, nuit
d'hôtel puis, le lendemain matin, 4h de bus pour Paraty et enfin le
taxi jusqu'à Pier 46 Marina où j'ai laissé Galapiat au ponton. Ce
voyage assez long en soit devient un vrai périple avec les deux
kids. mais ils grandissent vite et ce qui aurait certainement été,
il y a un an encore, une odyssée difficile pour tous, se révèle
être une virée amusante. À 3 et 4 ans tous justes révolus, une
vie mouvementée, des passeports presque aussi garnis que ceux de
businessmen, Thao et Ewen sont des compagnions de routes evidemment
extenuants mais drôles et déjà très autonomes. Aucune chance de
passer inaperçu avec eux. Quand, après être partis depuis près de
30 heures de Paris, au bout de 2 h de bus entre Rio et Paraty, ils me
demandent une nouvelle fois si le bateau est encore loin et que je
leur réponds non, ils deviennent un peu dubitatifs à force, mais
patientent en conjecturant sur les gomettes « Cars »
qu'ils colleront dans leur cabine à l'arrivée. Il y a de quoi faire
car avec le bouquin de 1000 décalcos que je leur ai acheté à
l'aéroport, ils semeront leurs parcours tels des petits poucets
avant de refaire la déco intégrale de leur cabine tout au long du
séjour. Galapiat nous attend sagement et pendant que je le remets en
route: eau, jus, gaz et rangements, les deux duettistes l'arpentent
en tous sens et reprennent leurs acrobaties, encore plus agiles
qu'avant et sans aucune hésitation, comme si leur dernier jour à
bord au Sénégal 3 mois plus tôt, datait de la veille.
Parfait timing, l'ami
Carl que je n'ai pas revu depuis qu'il a émigré à Sao Paulo il y a
3 ans, me rejoint dans la nuit avec Fabi, sa femme, et leur petit
Pablo, de quelques mois plus jeune à peine qu'Ewen. Trois adultes
pour trois garçons de 2 à 4 ans, ça promet. Mais entre courses
géantes et petits plats délicieux préparés par leur cuisinière,
les brésiliens ont fait les choses en grand. Nous partons dès le
matin, enfin presque, car le vent porte vers le fond du port étroit
et avec peu d'eau, sans dérive, le bateau répond comme un fer à
repasser et voilà l'hélice prise dans le bout d'un corps mort.
L'équipage reste zen et le personnel sympa de Pier 46 nous aide à
nous en dégager sans tarder. Premier mouillage tout proche afin que
chacun prenne sa place tranquillement. L'hiver Brésilien correspond
à la morte saison et le mois d'Août, à son point le plus bas.
Personne ou presque, partout où nous allons.
Ambiance immédiatement
relax et comme les distances sont courtes, nous profitons d'un peu
d'air pour tirer directement vers Ilha Grande le jour suivant. Cette
semaine de vie à bord est exempte de toute tension. Avec la bonne
logistique du départ, de la place même à six, des enfants aux
anges et un rythme hivernal calé sur le leur, lever et coucher très
tôt, tout baigne. J'alterne entre des mouillages que je ne connais
bien parmi mes best of tels Saco de Ceu et Lagoa Azul, et d'autres
que je découvre avec mes équipiers de choc. Farniente le matin sur
place et nav l'après-midi quand les enfants font la sieste. Nous
aurons bien quelques aléas: tel ce bon SW soudain d'une trentaine de
noeuds qui pourrait un peu effrayer Fabi mais, au portant et sous
toilé, la navigation à 7 noeuds dans les eaux peu mouvementées
entre la côte et lïle est très comfortable. Le front froid que
présage toujours ce vent couvre le ciel et raffraichit l'atmosphère
pendant deux jours mais n'entame en rien le plaisir de cette semaine
de croisière. Quant au coup de vent soudain qui clôture notre
dernière nuit, nous fait déraper et nous oblige à aller chercher
un mouillage plus protégé, à l'aveuglette, il n'occasionne qu'une
légère frayeur mais les enfants dorment à poing fermé, Fabi ne
s'inquiète pas plus que de raison, et Carlos et moi prenons
calmement la situation en main. Content malgré tout d'être déjà
venu au Saco de Velha en Juillet avec Mlle C car, dans la nuit noire,
entourés d'îles et récifs proches sans aucun repère visuel sous
des pointes à 30 noeuds, il est difficile de juger de sa position et
encore moins d'avoir la certitude que l'on est mouillé correctement
cette fois-ci.
Nous revenons à Paraty
le 14/08, pour un nouveau changement d'équipage. Carl, Fabi et
Pablos quittent le bord et laissent leur cabine à Bernard, mon
partenaire pour les 10 mois à venir. Bernard est un ami de Marseille
où j'ai vécu quelques années. Quelques mois plus tôt; nous
échangions sur ses projets de départ en solitaire pour un an. Et
puis, mon bateau étant devenu trop grand pour moi seul et les
préparatifs de son voyage n'étant pas simple à organiser, nous
avons convenu de faire route ensemble. A priori, jusqu'en Juin 2010,
nous devrions donc naviguer sur Galapiat le plus souvent ensemble, ou
seul lorsque l'un ou l'autre s'absentera pour retrouver sa famille ou
la faire venir à bord.
Pas trop chanceux pour
son arrivée, Bernard. Pendant 3 jours le nouveau front nous gratifie
d'un temps froid, humide et pluvieux qui le glace après trois ans
passés sous le climat de Dubai. Par ailleurs, aussi sympathiques
soient ils, les enfants des autres, en l'occurence les miens, peuvent
vite devenir lassant pour un tiers. Mais Bernard est calme et facile
à vivre. Quand ils m'en laissent le loisir, je partage avec lui les
spécificités et bidouilles de Galapiat, afin qu'il puisse être
totalement autonome le plus rapidement possible. Place aux jeunes! En
bon pacha, je compte prendre ma retraite anticipée et le laisser
souquer du bout dans la brafougne dès qu'il sera opérationnel. Le
beau temps revient et nous longeons la côte nord entre Paraty et
Angra, à faire escale dans les derniers mouillages souvent somptueux
et toujours déserts que je n'ai pas encore explorés.
Les enfants ne s'étonnent
même pas des personnes qui se succèdent à bord. Chez eux, sur
Galapiat et avec leur père. Normal quoi! Ils parlent parfois de leur
univers terrien, de leur mère, grand-parents, cousins, amis, de
l'école, mais à aucun moment, ne s'en languissent. A force de vivre
dans des sociétés normées où l'on est conditionné par la peur de
tout écart, on en vient à oublier l'évidence : les enfants
s'adaptent à tout, bien mieux d'ailleurs que les adultes, en
particulier lorsque leur environnement est ludique et plaisant,
qu'ils sont aimés et constamment nourris de nouveautés et de
rencontres. A l'issue de ce mois, rien n'indique qu'ils souhaitent
rentrer. Paradoxalement, une fois organisé, il me semble même
nettement plus facile de vivre avec eux en voilier que dans un
appartement urbain en plein hiver lorsque, même en se grattant la
tête, trouver des activités pas trop rasantes à faire, devient
vite un casse tête. A bord, avec un rythme et des rites réguliers,
entre repas, plage, ballades à terre, un « Kiki la petite
sorcière », l'histoire du soir, ils s'endorment profondément
jusqu'à l'aube. Bernard et moi de même d'ailleurs. Veiller au délà
de 22h tient de l'exception en ce moment....
Nous profitons des
premiers jours de courtoisie, gratuits, accordés par la Marina de
Brachuy pour faire les pleins de gas-oil et d'eau et pour que Bernard
s'entraîne aux manoeuvres de port sur Galapiat. Grand, rustique, peu
manoeuvrant et plutôt taillé pour aller tout droit dans les grandes
virées océaniques, il ne pardonne guère les erreurs de manoeuvres
rapprochées. Nous voilà à nouveau tankés dans un corps mort. Bon
exercice .J'espérais aussi retrouver Pierre de retour d'Afrique du
Sud mais seul son canot, Shabby, est là. Le web m'apprend qu'il ne
reviendra que dans quelques jours. Sa folie et son brandy sudaf me
manquent un peu. En revanche, nous sommes merveilleusement accueillis
chez lui par un autre Pierre, celui qui m'avait réparé mon pilote à
Rio, dans son appartement de week-end qui donne sur le port. Nous
nous amusons aussi des aventures de Philippe, un ex-journaliste
français installé au Brésil depuis 73, devenu restaurateur et qui
vit entre son île toute proche et sa goelette en bois de 30m
construite en amazonie. Equipier de la première Whitbread sur 33
Export avec un certain JP Pernoud qui lança ensuite l'émission
Thalassa, il accueille régulièrement des équipes de TV
lorsqu'elles tournent un sujet sur le Brésil.
A Angra, nous procédons
tous les quatre au tour fastidieux des administrations, afin
d'obtenir les trois mois de prolongation dans le pays pour moi et le
bateau. Selon des calculs savants qui m'échappent un peu, nous
devons quitter le Brésil au plus tard le 20 Novembre. Ces trois mois
dans le pays déjà, essentiellement stationné dans la Baie d'Ilha
Grande sont passés très vite à la façon des courtes journées de
l'hiver brésilien. Mais les jours rallongent, les températures
montent à plus de 30 degrès et les fronts du grand sud semblent
désormais s'espacer. Agréable aujourd'hui mais probablement génant
début Septembre quand il s'agira d'entamer notre remontée vers le
nord. C'est en effet avec les fronts froids que l'ont peut remonter
fraichement sous voile vers le nord, avant de toucher la zone des
alizés établis. Sans ça, moteur. En compensation, les brises
diurnes deviennent plus soutenues et permettent à Bernard de mieux
se familiariser avec Galapiat sous voile au cours de nos sauts de
puces diurnes. Pendant mon absence de quelques jours durant lesquels
je reconduis les enfants en France, il ramènera le bateau à Rio
sans moi, avec Guillaume, un de ses amis qui nous rejoint deux jours
avant mon départ pour une petite semaine. Première fois que je
confie Galapiat à des mains étrangères....
Ilha Grande encore. A
force de lambiner ici, je connais la côte par coeur, là où le vent
forcit, adonne ou refuse. Je ne jette plus que rarement un oeil sur
la carte tel un local. A Lagoa Azul, j'attends tranquillement mon
vendeur de sardines en canoe pour alimenter le barbecue du soir.
Bref, je prends mes habitudes. En prévision de notre route de
Septembre-octobre vers Salvador, je profite de cette expérience, de
la pleine lune du 24 et des gros coeffs de marée pour échouer sans
appréhension Galapiat et le nettoyer des algues et coquillages qui
se sont déjà installés sur la coque après mon dernier carénage
de Dakar il y a seulement 4 mois. Le bateau, c'est comme Sisyphe et
son caillou qu'il remonte inlassablement vers le sommet de la
montagne, avant de le voir dévaler la pente à nouveau. : on a à
peine fini le cycle de la maintenance et des réparations qu'il faut
déjà recommencer. Je n'oserai pas m'en plaindre car, après tout,
je n'ai que ça à faire. A force, c'est beaucoup plus rapide et
efficace que les premières fois et avec Bernard comme co-skipper
autonome, je ne suis idéalement épaulé, mieux que je ne l'ai
jamais été depuis que Galapiat a accepté de devenir ma machine à
rêve éveillé.
De retour cinq jours à
Paris afin de ramener les enfants, de voir quelques terriens, acheter
quelques bricoles pour le bord et optimiser la logistique
prévisionnelle de mes prochains commutages familiaux. Hâte de
revenir sur Galapiat pour tailler la route à nouveau vers Salvador,
même si celle-ci a désormais un petit arrière goût de retour vers
l'Europe. D'ici un an à même époque, je devrais y atterir. Nul
doute qu'avec un peu plus de discernement quant au choix de mon
équipage d'origine, j'aurais joué les prolongations d'au moins un
an. Mais ma logistique familiale est décidément bien trop
compliquée et coûteuse pour même y penser. Alors je recommencerai
à zéro. Mais bon, c'est vain d'y penser maintenant, alors que je
vis probablement une des période les plus bénie de ma vie et que,
moment précieux, j'ai la chance de m'en rendre compte, à savoir
présent car exempt de toute nostalgie de ce qui ne peut être
changé, ou d'aléatoires projections de se qui ne se passera pas. Ne
surtout rien toucher à ce fragile moment de grâce qui a le bon goût
de durer un peu. Ne pas compter, ne pas prévoir, sauf le strict
nécessaire immédiat.