Il est évident que le message "Le hasard est une chance" comporte un risque iatrogène puissant dont le potentiel de confusion doit être évalué par le ministère de la Santé avant que le site de jeu en ligne de Loto-Québec ne soit inauguré.
Il existe deux grands événements qui marquent l'entrée et la sortie du jeu pathologique.
Le développement d'une illusion de contrôle est certainement l'événement le plus associé à l'entrée dans le jeu pathologique. En illusion de contrôle, le joueur cherche à découvrir, dans la machine, le truc qui lui permettrait de répéter souvent une série exceptionnelle de gains qu'il vient de vivre. À son avis, le joueur ne perd plus d'argent, il investit pour mieux découvrir le truc. Il devient alors très tolérant envers des pertes répétées.
La perte d'un montant d'argent qu'on ne pouvait pas perdre est le déclencheur le plus associé aux efforts pour cesser de jouer. C'est à ce moment que la famille, les amis ou les partenaires financiers commencent à s'apercevoir du problème. Ceux-ci exercent alors des pressions externes pour que le joueur fassent des démarches convaincantes pour régler le problème.
Entre ces deux événements, le joueur vit secrètement un cycle qui, tantôt, l'éloigne du jeu quand le budget de jeu est épuisé et qui, tantôt, le ramène immanquablement au jeu dès que des revenus auront restauré une capacité financière à jouer. Dans cette zone grise, le comportement de jeu est pathologique car le joueur n'est pas capable de contrôler son envie de jouer. Mais, les dommages ne sont pas suffisants pour que cette dépendance soit décelable par autrui.
Lorsque Loto-Québec a implanté les machines à sous en 1993 et les ALV en 1994, le message "Jouez avec modération pour que le jeu demeure un jeu" a constitué ce que Loto-Québec considère comme une mesure de prévention contre le jeu pathologique. Or, la modération n'a pas d'impact sur la probabilité de développer une illusion de contrôle. Mais, la modération peut retarder la perte d'un montant qu'on ne pouvait pas perdre. En ce sens, un appel à la modération est susceptible de prolonger la durée de la dépense pathologique. Dans ce contexte, le message de Loto-Québec comporte un important risque iatrogène, c'est-à-dire le risque qu'une mesure, destinée à aider, n'en vienne finalement à aggraver les conséquences d'une maladie.
L'absence d'études, en 1993 et par la suite, pour évaluer le potentiel iatrogène du message "Jouez avec modération ..." a constitué un argument solide à l'appui de la plainte des joueurs lors du recours collectif (2002-2009) intenté contre Loto-Québec. La sagesse voudrait que le potentiel iatrogène des messages de Loto-Québec soit dorénavant mieux pris en considération avant leur diffusion.
Au cours des derniers mois (les mois qui précèdent l'avènement du jeu en ligne), Loto-Québec a introduit un nouveau message qui dit "Le hasard est une chance". Comme c'était le cas en 1993, aucune étude ne semble avoir été faite pour tester le potentiel iatrogène de ce message. Pourtant, ce potentiel est criant.
Pour le joueur (qui joue pour se détendre, pour vivre une expérience plaisante), le hasard est une chance d'obtenir un lot, un prix. C'est logique et raisonnable que le joueur pense aussi unilatéralement. Quand on joue, on ne négocie pas un contrat. Du moins, le joueur n'en a pas l'impression.
Dans le jugement du 4 décembre 2009, le juge Gratien Duchesne, qui a présidé les audiences du recours collectif, explique, aux paragraphes 139 à 150, le raisonnement qui le conduit à conclure qu'il existe un contrat de jeu entre le joueur et Loto-Québec. En examinant le raisonnement du juge, on comprend qu'il n'y a pas de raison pour qu'il en soit autrement pour le joueur en ligne.
Pour l'avocat, le hasard est une chance ... une chance de perdre sa mise. Ce serait un message qui indique au joueur qu'il existe un risque. On peut alors très bien anticiper l'argument juridique voulant que le joueur en ligne a été préalablement mis en garde avant d'accepter le contrat de jeu. Compte tenu des déterminants cognitifs qui prévalent au moment de commencer à jouer, l'efficacité du message est conséquemment plus que douteuse. Sans équivoque, "Le hasard est une chance" est un message à double-sens qui est tout à l'avantage de Loto-Québec et entièrement au détriment du joueur.
Il est évident que le message "Le hasard est une chance" comporte un risque iatrogène puissant dont le potentiel de confusion doit être évalué par le ministère de la Santé avant que le site de jeu en ligne de Loto-Québec ne soit inauguré.