Kidnappez Ovaine, serrez-la bien fort dans vos bras,
emmenez-la sur l’île déserte de vos plus secrètes lectures ! Elle fera tout pour vous, elle vous séduira de son
charme unique, vous dorlotera si vous êtes triste, si vous tombez malade elle
tombera avec vous et ses cabrioles vous guériront illico, ric-rac, elle vous
enchantera de ses vocalises, vous parlera dans toutes les langues, et la
magicienne surtout vous fera rire à
pleine gorge ou bien pleurer de tendresse, au choix, et cela d’une seconde,
d’une ligne à l’autre, c’est féerique !
Enfin ! si vous pouvez l’attraper, car il y a un hic. La créature, une
gamine perverse, une fille dessalée, une dame pas du tout comme il faut, bref
une ogresse, dès qu’elle vous est devenue indispensable, autant dire dès sa
première aventure écrite, là, noir sur blanc, eh bien ! la voilà qui saute
comme un cabri, court et vous échappe, vole (elle est toute espèce d’oiseau),
plonge au fond de la mer (elle s’est alliée au bigorneau mais aussi à la
seiche, à l’holothurie), brûle (un feu follet), gonfle (un nuage), s’aplatit
jusqu’à n’être plus rien, même pas une feuille de papier, et vous fuit et vous
grise et vous saoule de ses métamorphoses improbables, de ses déguisements
saugrenus. De compagne plus joyeuse (et parfois grave), de plus inventive en
jeux et facéties (et souvent salutaire), de plus magistralement conduite vers
des enchaînements d’histoires faussement vécues et de rêves vraiment éveillés
vraiment éveilleurs, jamais vous n’aviez imaginé, ou alors vous êtes diablement
fort (diablement, c’est le mot !)
Le recueil où s’ébat cette donzelle pour le plus grand bonheur de ses lecteurs
est machiné comme une boîte à malices à l’apparence désinvolte, en fait très
savante – mais rassurez-vous, ça ne se voit pas – en trois séries
(« Vies », Malheurs », « Ires ») de trente-six
« contelets » (ou poèmes en prose) chacune. La moindre pièce de cet
ensemble de cent huit bijoux est sertie en quelques séquences ultra-courtes
(comme jadis les mini récits parfaits d’Aloÿsius Bertrand, l’inventeur du poème
en prose, mais il n’y a là nulle imitation d’un modèle, l’invention comme
l’écriture sont « absolument moderne(s) » .
Tenez, rien ne vaut l’exemple (c’est dans « Les Ires d’Ovaine » et il
faut citer intégralement, sinon ça perd tout son sel) :
« Les araignées du soir s’élancent des poutres pour emporter Ovaine dans
un hamac de colle.
Elles la suspendent entre deux toiles pour la bercer au ras du ciel.
Mais elle ne s’aperçoit de rien et rêve qu’elle fait du trapèze volant.
Sur la piste, tout en bas, une grosse guêpe accrochée au fesson d’un cheval,
s’époumone : c’est un piège, file !
Ovaine, éveillée en sursaut par la douleur de la piqûre, hennit si fort que les
araignées lâchent leur proie.
Hiiiiiiiiii…Ovaine, les quatre fers en l’air dans la sciure, commence son
règne. »
Hein ! Avez-vous lu quelque chose d’aussi enlevé, d’aussi cocasse et –
osons le mot – d’aussi poignant (derrière le masque) depuis Max Jacob, maître
du court, et son Cornet à dés ? Moi pas, et je m’y connais (un
peu).
Il faut mériter Ovaine. Elle se commande chez l’éditeur : [email protected],
56 rue des Fabriques 54000 Nancy, 03830551. Faites vite, elle ne vous décevra
pas, c’est un événement littéraire et on en causera forcément, sous peu.
par Maurice Mourier
Tristan Felix, Ovaine, Editions Hermaphrodite, 145 pages, 15 euros