L’exposition s’appelle “En mai, fais ce qu’il te plaît“, un titre qui n’engage à rien (et elle dure jusqu’au 19 septembre). Le Musée Bourdelle, toujours très ouvert à l’art contemporain, a demandé à onze artistes de présenter une oeuvre en résonance avec le musée. Certains recyclent ici des pièces sans surprise (les sculptures baroques d’Orlan, les sacs de charbon sur socle de Kounellis, l’installation de lumière d’Ann Veronica Janssens, le David grimé et les fleurs d’Hans-Peter Feldmann), mais pas nécessairement sans qualités (les sculptures de Richard Deacon, la vidéo de Tania Mouraud, deux toiles granuleuses de Kees Visser vues comme à travers une meurtrière et qu’on ne peut voir dans leur entièreté qu’en se penchant, se contournant), mais les plus intéressants sont ceux qui tirent parti du lieu, avec respect et invention. Et d’abord Claude Lévêque qui a occupé le sous-sol, le magasin des moules en plâtre, où on descend en petits groupes bien encadrés toutes les demi-heures : descente à la cave, semi-obscurité, poussière, et, au début, une grande plaque de marbre commémorant l’inauguration du musée en 1948, déposée là depuis longtemps. Dès le couloir d’entrée, avant d’arriver aux rayonnages sur lesquels sont entreposés les moules, dans une lumière violette qui crée un sentiment d’étrangeté, on avance à la queue leu leu, attiré par deux bruits violents : l’un est une chute, un fracas (que casse-t-on ? sur quelle enclume ?), l’autre est un glas (pour qui sonne-t-il ?). ainsi conditionnés, baignés de violet, on arrive dans la salle principale, capharnaüm de moules, ici un visage, là une main, fragments à la Rodin, soigneusement étiquetés (Debussy, Bolivar, lit-on sur des cartons), formes le plus souvent méconnaissables, non identifiables et qu’éclairent parcimonieusement de petites loupiotes disposées çà et là, faisant ressortir telle ou telle ébauche. C’est une expérience tout à fait remarquable, inspirée du lieu étrange et d’ordinaire inaccessible, et qui nous amène au plus près de la sculpture, de la main du sculpteur, tout en perturbant notre expérience contemplative par ce glas et ce fracas (L’île au trésor).
Christian Boltanski, dont on aurait pu attendre pareille pièce, a, lui, occupé les arcades avec une dizaine de vieilles chaises en bois, dépareillées. Pour peu que l’on s’y assoit pour mieux contempler les sculptures de Bourdelle dans le jardin devant nous, une voix jaillit, avec ces Questions, interrogations d’outre-tombe sur notre vie, ce que nous en avons fait: la première sur laquelle je m’assis m’a demandé “Quel est ton amour ?” On joue après à chercher la chaise adéquate, celle qui nous posera la question à laquelle nous voulons répondre : quelles sont tes craintes, ou tes espoirs, tes oublis ou tes désirs, ou tes souhaits, quelle est ta tristesse ou ta maladie, quel est ton remords, qu’as-tu fait de ta vie, de ton talent, quelle sera ta mort ?
Jean-Luc Moulène a revisité Bourdelle de diverses façons, remettant la beauté des ‘Fruits‘ au goût du jour et assemblant quatre Dos du sculpteur (Baigneuse accroupie, Adam, Guerrier allongé au glaive, La première victoire d’Hannibal) pour en faire cette masse étrange, fermée, imbriquée, bête non à deux mais à quatre dos. Lequel est le dos féminin ?
Sur la terrasse,
Élisabeth Ballet, face à la frise d’Apollon, a construit cette sculpture vibrante de jaune et de rouge, qui semble prendre son envol au-dessus du jardin (Flying Colors).Photos Lévêque 1&2 et Moulène de l’auteur. les quatre artistes étant représentés par l’ADAGP, il n’y aura plus aucune image pour illustrer cet article dans un mois.