Sabine Wespieser
Traduit l’anglais (Irlande) par Pierre-Emmanuel Dauzat
Titre original : The light of Evening
ISBN : 978-2-84805-087-4
Parution le 2 septembre
Quatrième de couverture :
Edna O’Brien écrit ici le roman tumultueux et enfiévré de l’amour maternel. Il faudra un long chemin à Eleanora pour comprendre la vraie nature de sa mère, Dilly, qui pour elle avait toujours représenté le poids de la morale et de la tradition.
Dilly avait eu beau vouloir dans sa jeunesse échapper à son destin de fille d’Irlande, elle était revenue au pays, résignée, et s’était mariée, après sa tentative avortée de fuite aux États-Unis. Sa fascination pour New York, son premier travail comme bonne à tout faire, et puis le rêve qui tourne court et, dès son retour, l’installation à Rusheen, cette campagne perdue où elle a vécu la majeure partie de sa vie : elle a tout le temps de se les remémorer dans l’hôpital de Dublin où elle attend un diagnostic. Âgée et malade, elle ne désire plus qu’une visite de sa fille, à qui elle n’a jamais cessé d’envoyer des lettres aimantes et fascinées.
Eleanora, elle, a fui très jeune pour Londres l’étouffante campagne irlandaise. Elle y est désormais célèbre et détestée pour ses romans sulfureux. Quand enfin elle se rend au chevet de sa mère, c’est en coup de vent : elle prétexte un rendez-vous, et part retrouver un amant. Dans sa précipitation, elle oublie son journal intime…
Quand elle s’en aperçoit, sa panique est vaine : la vie affranchie et passionnée qu’elle y consigne a sans doute tendu à sa mère un troublant miroir où celle-ci a pu reconnaître l’ombre de ses désirs passés. Eleanora découvrira, trop tard, la dimension de l’amour que lui vouait Dilly.
Mon avis :
Crépuscule Irlandais est un roman écrit de manière assez fragmentaire où les voix, les époques et les angles de vues se mêlent, se confondent pour former une polyphonie riche de sens mais qui demande une certaine attention de la part du lecteur, les différentes parties ne s’enchaînant pas forcément de manière formelle ou attendue.
Cette -relative- complexité au niveau de la construction narrative contribue à donner du relief puisque l’histoire n’est pas linéaire mais par bribes, un peu à la façon d’un album de photos très richement légendé où s’intercaleraient des extraits de lettres et de journaux intimes (je précise que cette comparaison est bien à prendre au figuré). Chaque partie met l’accent sur un personnage et/ou une période. Ainsi la période où Dilly travaille à New York en tant que bonne correspond aux années de guerre civile en Irlande, guerre durant laquelle son frère trouvera la mort, tué par les Black and Tans.
La langue employée se métamorphose presque imperceptiblement tout au long du récit, changeant de forme et de vocabulaire pour retranscrire les souvenirs, les dialogues, les paysages. Les descriptions de ces derniers sont de toute beauté, venant soutenir l’histoire, lui apporter une réalité tangible. Ceci étant, c’est une écriture particulière qu’il faut apprécier, et si magnifique soit cette nature luxuriante, elle pourrait lasser un lecteur adepte de réçit moins contemplatif.
La quatrième partie est entièrement constituée de scènes de la vie conjugale d’Eleonora et de son mari. Terriblement bien écrites, percutantes, elles établissent un tableau sans concession de ce que la vie de couple peut avoir de plus mesquin et petit. On ne peut s’empêcher, par moment, de se demander si ce roman ne contient pas une part d’autobiographie, et jusqu’où.
En dépit de quelques interrogations par rapport à la traduction -la sensation désagréable que la langue française ne parvient pas à coller à l’écriture originale d’Edna O’Brien, sans que les qualités du traducteur ne soient remises en cause, mais parce que certains écrivains possèdent une souplesse et un scintillement stylistique impossible à reproduire sans en briser quelque peu le charme- et de certaines longueurs, Crépuscule irlandais, à défaut de m’enchanter véritablement, m’a donné envie de lire la trilogie Les filles de la campagne, curieuse que je suis de savoir à quoi ressemblent ces romans jugés « sulfureux » à l’époque de leurs parutions.