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Solaire photovoltaïque : les collectivités locales sont-elles encouragées à s'investir ?

Publié le 31 août 2010 par Arnaudgossement

centrale_solaire_Reunion.jpgJe remercie Jason Eyrat, ou plutôt le spécialiste des questions d'énergie qui écrit sous ce pseudo, de m'avoir adressé la présente et trés intéressante note relative aux difficultés que rencontrent à l'heure actuelle les collectivités territoriales, dans la promotion de l'énergie solaire.


Par Jason Eyrat

L’anti-virus “Grenelle 2” (opérationnel depuis le 13 juillet 2010) a heureusement éradiqué le bug ayant frappé hôpitaux, collèges et lycées, qui empêchait ces derniers de bénéficier de l’obligation d’achat de leur production d’électricité photovoltaïque (le patch “décrédu4mars2009” ayant engendré un conflit avec “EDFOA”).

Or, dans sa tribune publiée dans “Les Echos” du 26 août 2010, Arnaud Gossement évoquait les “nombreuses difficultés” rencontrées par les collectivités locales dans le “montage contractuel de leurs projets énergétiques”. Un nouveau virus semble en effet frapper les collectivités locales : les symptômes vont de l’abattement à la paralysie totale.

Les difficultés rencontrées trouvent principalement leur origine dans des avis difficilement conciliables provenant d’administrations rattachées à trois ministères différents : Développement durable, Intérieur, Budget.

Les incitations du MEEDDM

Les objectifs de développement des moyens de production d’énergie renouvelable étant fixés, la décomposition par filière arrêtée, les agendas 21 pratiqués, les plans climat promus même pour les “petites” collectivités, la simplification administrative en marche (guichet unique ERDF, assouplissement du Code de l’urbanisme), le MEEDDM espère bien que la territorialisation du Grenelle prenne corps.

Sur le terrain, les collectivités locales (communes, epci, conseils généraux...), depuis des années, expérimentent, tâtonnent, agissent, dans des conditions budgétaires difficiles et un environnement réglementaire pour le moins fluctuant en ce qui concerne le photovoltaïque (combien d’arrêtés et circulaires depuis septembre 2009 ?). De fait, de nombreuses villes, agglomérations, syndicats d’énergie, conseils généraux, sociétés d’économie mixte ont réalisé et réalisent encore des projets photovoltaïques utilisant les toitures de bâtiments publics ou des zones artificialisées telles que d’anciens centres d’enfouissement. Même l’Etat s’y met, par exemple sur la base aérienne d’Istres ou en région Rhône-Alpes.

Les avertissements du Budget

Dès 2008, la direction générale de la comptabilité publique attirait l’attention des services déconcentrés sur le fait que, selon elle, la vente d’électricité photovoltaïque par une collectivité :

- présente un caractère lucratif  et n’est pas indispensable à la satisfaction des besoins collectifs des habitants et que, par suite, cette activité est imposable à l’impôt sur les sociétés (l’exonération prévue par l’article 207 du Code général des impôts n’étant pas applicable suivant cette interprétation),

- est assujettie à la TVA (en application de l’article 256 B du CGI) et à la taxe professionnelle (l’exonération prévue par l’article 1449 du CGI ne s’appliquant pas),

- doit faire l’objet d’un suivi budgétaire et comptable distinct (selon le plan comptable M41).

Il est fort probable que certaines collectivités ne connaissent pas ou découvrent trop tard cette position, de nature à sérieusement perturber l’équilibre économique de leurs projets (la publication de la fiche-réponse de la DGCP est intervenue 1 an et demi après la parution de l’arrêté tarifaire du 10 juillet 2006).

Les (fortes) réserves de l’Intérieur

La multiplication de projets conduits par des collectivités locales (notamment avec recours à des baux emphytéotiques administratifs ou des conventions d’occupation temporaire permettant à un tiers d’investir et d’exploiter l’installation) a amené la direction générale des collectivités à prendre une position étonnante, par l’intermédiaire des services de contrôles de légalité.

Si certains arguments et points de vigilance de la DGCL relatifs au montage contractuel (véhicules juridiques, montant de la redevance versée par l’exploitant...) et à la passation des marchés publics sont classiques, tel n’est pas le cas de sa position en matière de production d’électricité.

Selon la DGCL, la possibilité donnée aux collectivités territoriales d’aménager, exploiter, faire aménager et faire exploiter des installations de production d’énergie renouvelable (article L2224-32 du Code général des collectivités territoriales) n’est ni une compétence, ni une mission de service public, ni d’intérêt général. Par suite, ne pouvant justifier de l’intérêt public d’une telle opération, le juge administratif considérerait que celle-ci ne viserait seulement qu’à procurer des ressources financières à la collectivité. Ces arguments interdisent le recours à un BEA ou à une COT constitutive de droits réels, schémas pourtant utilisés par de nombreuses collectivités.

Enfin, toujours selon la DGCL, la conduite d’un projet photovoltaïque s’inscrivant dans le cadre concurrentiel, l’intervention des collectivités pourrait constituer une distorsion de concurrence, ce qui serait vu d’un mauvais oeil par la Commission Européenne, d’autant plus que le marché intérieur de l’électricité est ouvert.

En conclusion, la DGCL recommande aux collectivités de consommer une partie de l’électricité produite (vente du surplus) pour renforcer la sécurité juridique de leur projet (la satisfaction des besoins en électricité du bâtiment de la collectivité conférant un caractère d’intérêt général à l’opération).

Devant cette position de leur contrôle de légalité certaines collectivités renoncent à leur projet.

Et maintenant?

Les collectivités peuvent contester la position de leur contrôle de légalité avec, par exemple, les éléments suivants :

- En matière de compétence, si l’article L2224-32 du CGCT et l’article 88 de la loi du 12 juillet 2010 ne suffisaient pas, les communes (ou leur syndicat d’énergie) s’appuieront sur la loi du 10 février 2000 (qui a introduit l’article L2224-32), qui définit le service public de l’électricité et vise explicitement la production d’électricité, sachant qu’elles sont de plus “autorités organisatrices du service public de la fourniture d’électricité”. Elles pratiquent d’ailleurs depuis longtemps la “production d’électricité de proximité” (au sens de l’article L2224-33 du CGCT et du décret n°2004-46), qui vise à éviter “l’extension ou le renforcement des réseaux publics d’électricité relevant de leur compétence”.

- En matière d’activité économique, les collectivités ne peuvent se voir reprocher leur intervention puisqu’il s’agit pour elles, outre les considérations relatives au développement des énergies renouvelables et à l’atteinte des objectifs en la matière, d’obtenir la meilleure rentabilité de leur domaine (ce qui suppose le versement d’une redevance, en application de l’article L2125-1 du Code général de la propriété des personnes publiques). S’il n’y a pas carence d’initiative privée en matière de production d’électricité photovoltaïque, force est de constater que les collectivités ne se positionnent pas en concurrence d’acteurs privés (sauf peut-être dans le cas d’EPCI comme les syndicats d’énergie), puisqu’elles permettent l’exercice de cette initiative sur leur domaine (bien en respectant les règles de mise en concurrence).

-Enfin, les craintes de la DGCL relatives aux foudres de la Commission Européenne paraissent infondées :

* le droit européen de la concurrence est indifférent à la nature publique ou privée des acteurs du marché, pourvu qu’ils concourent à armes égales (à ce titre, l’assujettissement à l’impôt sur les sociétés, à la TVA et à la taxe professionnelle paraît défendable, surtout s’il s’agit d’un EPCI comme un syndicat d’énergie qui exerce en concurrence d’opérateurs privés),

* les directives relatives à la libéralisation du marché intérieur de l’électricité ne visent nullement à restreindre l’intervention des personnes publiques en matière de production. Au contraire, les directives successives et la dernière en date (2009/72) autorisent les Etats à avoir recours aux appels d’offres pour de nouvelles capacités, à condition de respecter des “critères objectifs, transparents et non discriminatoires” et au cas où la procédure d’autorisation n’est pas suffisante pour atteindre les objectifs de la directive 2009/28 (ce qui est à mon avis le cas en matière d’électricité d’origine renouvelable pour la France compte tenu du retard pris sur l’éolien terrestre et maritime). La France utilise d’ailleurs ce moyen depuis quelques années et le fait savoir à la Commission Européenne, notamment en page 57 de son plan d'action national pour les énergies renouvelables.

En conclusion, il faut espérer que les ministères concernés s’accordent rapidement pour clarifier cette situation particulièrement dommageable aux intérêts des collectivités locales, alors même que l’Etat s’autorise ce qu’il interdit à ces dernières.


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