Dimanche soir, à la salle El Mougar à Alger, le tawasoul du groupe béchari El Ferda, Ya krim el kourama, du poète marocain Sidi Kaddour El Alami, a mis les nombreux présents dans une ambiance presque rituelle.
Ö^Toi le plus Généreux des généreux, Apporte-nous le soulagement. Jamais ne sera déçu celui qui croit en Toi», chanté pendant vingt minutes par les sept membres du groupe, et servi en plat d’entrée par El Ferda. Manière de rendre hommage au Cheikh Sidi Mebarek, petit-fils de Sidi M’hamed Ben Bouziane de la zaouïa Ziania de Kenadsa, qui avait donné son avis sur le poème de Sidi Kaddour El Alami et auquel il avait même ajouté un passage. Il était de coutume à l’époque que les poètes consultent les hommes de religion lorsque la poésie porte des louanges à Allah. A la fin de la qacida Ya krim el kourama, appelée le zerb, l’équivalent du m’kihless pour l’andalou, un musicien a pris sa ferda (un soulier) pour taper sur la «gasaâ» en bois (le fameux deff pour el melhoun). Cela donne un son particulier qui rappelle l’origine africaine de ce type de percussions. Et lorsque le chant s’est arrêté, les instruments sont déposés sur scène et le rythme continue à l’ancienne : les musiciens tapent des mains.
Le public en fait autant. La communion est l’âme même d’El Ferda qui, à l’origine, s’appelait «El aâma» (un regroupement). El ferda, comme ahellil du Gourara, est un genre musical interprété en groupe, souvent en milieu fermé, d’où la tendance à être assis pour les musiciens. Karkabou, oûd, derbouka, violon, guembri, tar et bendir sont les instruments les plus sollicités. El Ferda, dès son retour sur scène en 1991, s’est donné comme défi de faire sortir le patrimoine culturel de Kenadsa de l’oubli. Avec l’Office national des droits d’auteur (ONDA), le groupe travaille pour enregistrer et protéger toutes les qacidate comme Youm el djemâa likit ould al aray que le public d’El Mougar a découvert. Pour beaucoup de chercheurs, une bonne partie du patrimoine musical de Kenadsa a été perdue faute d’entretien.
Amateurs de diwan
Les amateurs du diwan n’ont pas été déçus puisqu’ils ont pu apprécier Sidi Belahmar laâfou rani djay et Ben Bouziane. Cela a incité les présents à faire un peu de jedba, même si la transe n’était pas complète ! Ben Bouziane, qui est un véritable hymne du peuple gnawi des places branchées d’Alger, fait partie du premier album d’El Ferda. Sidi M’hamed Ben Bouziane est considéré comme le fondateur de la zaouïa Ziania à Kenadsa. Il avait vécu pendant longtemps dans la région de Tafilelt au Maroc. Dans la pure tradition du melhoun marocain, le groupe a interprété Roufi ya ghal fatma, après un prélude en mode hawzi, Sabahtouhou fi el massa fa kal li ma hada el kalam. Après un istikhibar chaâbi, lahfi ala limdha maa lahbab ou fat, El Ferda enchaîne avec Mahla nozha par nass lekdam puis avec Ya bent bladi de Abdessadek Chekara. Grand maître de la musique Ala de Tetouan, au Maroc, Abdessadek Chekara, décédé en 1998, est célèbre par des chansons telles que Ana Manî Fîyâche, largement reprise par les chanteurs chaâbis algériens, Allah Ihdik Ya Ghzali et Alach Katibki. Ouvert sur toutes les sonorités et adepte de la tradition soufie, El Ferda, qui est mené par Hocine Zaidi, puise sans complexe autant dans le melhoun que dans le diwan, l’andalou et le sahraoui. Son premier album est sorti en 2004, au festival de musique plurielle de Constantine. A noter enfin que le groupe El Ferda animera un concert demain au palais de la culture Moufdi Zakaria à Alger à partir 22h.