Le présent. L’Empire Crapaud s’est lancé à la conquête de l’univers et, pour le contrer, l’Organisation des Espèces Connues fonde la S.P.A.C.E. dont l’équipage du lapin Bucky O’Hare reste l’unité d’élite. Jusqu’au jour où ils se retrouvent en mauvaise posture face à une armada de crapauds… C’est alors que, sur Terre, le jeune mais génial Willy met en marche son accélérateur photon expérimental et se retrouve à bord de leur vaisseau, prêt à rejoindre la folle équipe dans ses aventures sidérales.
Vous avez bien lu le résumé ci-dessus et compris où je voulais en venir : Bucky ne se prend pas du tout au sérieux, et si on y trouve tous les ingrédients de cette science-fiction populaire typique des séries TV et des BD qui font le bonheur de nombre d’amateurs – comme des autres aussi, au moins à l’occasion, et même s’ils ne s’en vantent pas –, c’est pour mieux en rire à travers le détournement et la parodie – qui restent une forme comme une autre d’hommage, c’est-à-dire une preuve d’admiration sinon d’affection.
Pour être plus précis, les ingrédients viennent pour leur écrasante majorité du space opera – batailles spatiales, races extraterrestres, fédération de planètes, etc – mais dans son modèle « classique » – intrigue minimale, action abondante, effets spéciaux nombreux, etc – et sans aucune forme de réflexion particulière. À ceci s’ajoute la notion d’univers parallèle, car le jeune Willy déjà évoqué plus haut dans le résumé se trouve en fait transporté dans une réalité alternative – l’aniverse – où des espèces animales ont acquis l’intelligence – mais pas les êtres humains apparemment – de sorte qu’on trouve les personnages principaux sous la forme de lapins, de chats, de canards, de singes,… et de crapauds. Nous sommes dans la parodie, souvenez-vous…
Larry Hama, le scénariste, démontre ici une très bonne connaissance du genre, dont les ficelles les plus caractéristiques se trouvent exploitées, ou plutôt détournées avec un savant mélange d’originalité et d’humour fin (mais parfois noir aussi, un peu, à l’occasion) : de l’épopée spatiale à la fantastique, c’est presque une anthologie du genre. De sorte que si les personnages se trouvent stéréotypés, c’est pour mieux souligner l’aspect parodique du récit, celui-là même qui lui permet de franchir les limites toujours rigides du bon sens pour s’aventurer dans le domaine de l’absurde – je parle de cette forme de comique qui ne plaît pas à tout le monde, et non d’une proposition dénuée de sens en raison des limites intellectuelles de celui qui l’énonce.
Et d’ailleurs, c’est peut-être là que se trouve la réflexion dans Bucky finalement – ou du moins l’idée puisque cette pensée reste somme toute assez limitée dans ce cas précis ; à peine dénonciatrice, et encore. En décrivant un univers parallèle peuplé d’animaux mais où les passions restent les mêmes que dans le nôtre, Hama écrit bien sûr une parodie du space opera traditionnel mais aussi de notre réalité propre, de cette ménagerie caractérisée par un autre sens de l’absurde – on y revient – mais bien réel cette fois, et tout autant dramatique. Ce qui du reste n’a rien de nouveau là non plus : tous les caricaturistes de tous les temps, ou presque, ont un jour ou l’autre représenté les puissants, ainsi que leurs victimes, sous la forme d’animaux… (1)
Quant aux graphismes de Michael Golden, ils témoignent d’un grand talent : très travaillés et tout autant réussis, ils se réclament ouvertement de la tradition cartoon – ce qui somme toute convient tout à fait à un « aniverse » où la racine « ani » correspond, j’imagine, à « animation » – et renforcent ainsi d’autant plus cette notion d’absurde. D’ailleurs, on y trouve des hommages assez évidents aux personnages des Looney Tunes – le capitaine Bucky rappelle Bugs Bunny et le tireur d’élite du vaisseau Canard d’œil se réfère bien sûr à Daffy Duck, couleur et caractère compris – ainsi qu’aux productions Disney en général – les « méchants » de ce récit sont des crapauds, élément fondamental de ces contes de fées dont Walt Disney fit son fond de commerce.
Sans aucune prétention, mais avec néanmoins beaucoup d’humour et de savoir-faire, Bucky parvient à combiner les éléments classiques d’une certaine science-fiction américaine avec ceux tout autant classiques d’une autre culture tout aussi typiquement états-unienne en un ensemble à la cohérence d’autant plus surprenante qu’elle est inattendue et difficile à réaliser compte tenu de ses thèmes de base pour le moins divergents. Si ce comics ne brille par aucun de ces éléments pris à part, c’est leur juxtaposition qui donne tout son sel à ce cocktail unique en son genre.
(1) parmi les œuvres contemporaines, le recueil de travaux Ces Animaux qui nous gouvernent de Jean Mulatier, ou encore le Bêbête Show de Jean Amadou, Stéphane Collaro et Jean Roucas viennent immédiatement à l’esprit…
Notes :
Bien que fort peu connu par chez nous, ce court comics connut un succès conséquent aux USA où il se vit adapté en une série TV d’animation de 13 épisodes en 1991 ; celle-ci engendra d’ailleurs une ligne de jouets dont le destin commercial resta mitigé. L’année suivante, Konami en fit un jeu vidéo pour la NES, ainsi qu’un jeu d’arcade dont les personnages étaient doublés par les comédiens de la série TV originale.
Bucky, Larry Hama & Michael Golden, 1984
Glénat, collection Comics USA, 1988
52 pages, env. 1 € (occasions seulement), ISBN : 2-87695-049-9
- le site officiel
- l’adaptation en court-métrage 3D
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