L'envers de tous les endroits, de Lambert Schlechter (par Jean-Pascal Dubost)
Par Florence Trocmé
Immédiatement le lecteur pense au Testament de Villon ; laquelle pensée
n’est point incongrue si on sait que Lambert Schlechter est de la catégorie des
grands lecteurs, avides et gourmands et passionnés (il suffit de lire ses
précédents ouvrages en prose, dans lesquels la littérature chinoise et
Montaigne, notamment, et entre autres, soufflent leur verve) ; il n’est
nullement étonnant que le coquillard mystérieux des Lettres françaises figure
dans son panthéon personnel. Sauf que, cet « envers » est un
non-testament, un principe actif de non-mourir (le « testament »
dudit Villon, si caustique, si ironique, si vivifiant, n’est-il pas de cette
farine également, finalement ?) Dès le poème liminaire on s’en doute, en
effet, rappelant Du Bellay (le « Ceulx qui » des Regrets), le poème « celui qui » va sur le tempo de
l’anaphore et se joue quelque peu de la mémoire du poète de Liré en impulsant
autre chose que de la mélancolie dans le filtre anaphorique, regrettant non pas
le lieu natal mais le lieu qu’est la vie passée vite, l’envers de tous les
endroits est la mort, attirante, conjurée et moquée, approchée sans véritable
philosophie pour apprendre à mourir ; arrivé en âge certain, le poète
médite avec un désespoir tourné en humour. L’inquiétude est combattue par la
joie d’écrire, et dans cette joie se trouve un peu d’apaisement (pas de
sagesse). Pour ce faire, pour résister à la dépression de l’âge avançant, il
faut « goûter sombrement à la volupté absolue du néant », et ce
néant, chez Lambert Schlechter, tourne autour de l’érotisme (plusieurs livres
de Lambert Schlechter tiennent de l’érotisme, La robe de nudité par exemple). Le corps féminin est incitation à
la plongée céleste, si on peut dire, à l’élévation et à l’alliance du corps et
de l’esprit, l’érotisme est vécu comme activité humaine totalement vivante
(« De l’érotisme, il est possible de dire qu’il est l’approbation de la
vie jusque dans la mort », Georges Bataille), au creux et au cœur de la
femme, à l’approche du néant, le poète « prend un bain de
femellitude ».
par Jean-Pascal Dubost
Lambert Schlechter
L’envers de tous les endroits
éditions Phi, 2010