J’avais le bouquin sous le coude depuis plusieurs mois, acheté trois sous dans une brocante, en repoussant la lecture toujours à demain car La guerre des boutons est tellement connue que tout le monde s’imagine l’avoir déjà lue – ce qui n’est certainement pas la réalité, je suis prêt à le parier.
L’auteur Louis Pergaud né dans le Doubs (1882-1915) est instituteur comme son père avant de devenir romancier et exceller dans le domaine animalier. Il périra durant la Grande Guerre, sans que son corps soit jamais retrouvé.
Son roman le plus célèbre, La guerre des boutons dont le sous-titre est Roman de ma douzième année date de 1912. Les gamins de deux petits villages voisins, Longeverne et Velrans, regroupés en bandes, s’affrontent depuis plusieurs générations suite à un différent cadastral quasi oublié depuis mais qui perdure dans les esprits. A la sortie de l’école, les gosses filent dans la campagne et s’affrontent verbalement, à coups de cailloux tirés de leurs lance-pierres, d’épées en bois ou de coups de poings si le combat rapproché s’impose. Petit à petit cette guerre va s’intensifier, les leaders organisent leurs troupes comme à l’armée chacun petits et grands ayant son rôle bien déterminé et le but des combats devient plus dur, désormais quand on fait un prisonnier on lui coupe les boutons de ses vêtements, on récupère ses lacets ou passants de ceinture et on le malmène férocement avant de le renvoyer vers ses copains qui jurent de le venger. Quand le gamin aux vêtements dévastés rentre chez lui, nous sommes dans le monde de la paysannerie pauvre qui se tue à la tâche, les parents n’ont pas de punition assez dure pour châtier le malheureux déjà déshonoré.
Louis Pergaud réussit là un roman magistral qui nous plonge dans la France rurale de la fin du XIXème siècle, la salle de classe et le maître, les élèves grands et petits, les conciliabules près des cabinets dans la cour, les leçons pas apprises avec le copain qui souffle, le tableau noir et les retenues, la vie aux champs et à la ferme. Mais c’est aussi l’occasion de dresser une esquisse de la III République, le conflit entre l’Eglise et la République, chaque village s’identifiant à l’un et l’autre camp « car on était calotin à Velrans et rouge à Longeverne », d’évoquer par allusions l’esprit de revanche après la Guerre de 1870. Ces grandes lignes sociopolitiques en toile de fond sont complétées par de savoureux détails sur la vie de ces pauvres petites bourgades à l’époque, et pour ajouter à la crédibilité de ces tranches de vie, les dialogues sont émaillés de termes issus du patois de Franche-Comté ou des fautes grammaticales des garnements bien souvent cancres car « on conçoit qu’il eût été impossible, pour un tel sujet, de s’en tenir au seul vocabulaire de Racine » écrit Pergaud dans sa préface.Dire que je me suis régalé à cette lecture serait encore loin de la vérité, un très grand roman qui dépasse le pauvre résumé que je viens d’en faire. Ce n’est pas un livre d’histoires d’enfants pour des gamins - « ce livre qui, malgré son titre, ne s’adresse ni aux petits enfants, ni aux jeunes pucelles » - ici les enfants ne sont pas considérés comme des mioches par l’auteur, il les décrit comme il les connaît et en tant qu’instituteur on peut lui faire crédit. Je n’avais encore jamais lu ce livre, ma seule approche en était la version cinématographique de Yves Robert (1961) avec Jacques Dufilho, Jean Richard et Michel Galabru dont je n’ai d’ailleurs qu’un très lointain souvenir car je n’ai du le voir qu’une seul fois, et les noms des garnements Tigibus et Grandgibus. Il était temps de combler cette lacune.
« - Couille molle ! … Des couilles, on sait bien ce que c’est, pardine, puisque tout le monde en a, même le Miraut de Lisée, et qu’elles ressemblent à des marrons sans bogue, mais couille molle ! … couille molle !... – Sûrement que ça veut dire qu’on est des pas grand-chose, coupa Tigibus, puisque hier soir, en rigolant avec Narcisse, not’ meunier, je l’ai appelé couille molle comme ça, pour voir, et mon père, que j’avais pas vu, et qui passait justement, sans rien me dire, m’a foutu aussitôt une bonne paire de claques. Alors… L’argument était péremptoire et chacun le sentit. – Alors, bon Dieu ! Il n’y a pas à rebeuiller plus longtemps, il n’y a qu’à se venger, na ! conclut Lebrac… - C’est t-y vot’idée, vous autres ? – Foutez le camp de là, hein, les chie-au-lit, fit Boulot aux petits qui s’approchaient pour écouter ! Ils approuvèrent le grand Lebrac à l’inanimité, comme on disait. »
Mon exemplaire de cette Guerre des boutons date de 1947 aux Editions Littéraires de France avec des illustrations en noir et blancs ou en couleurs de Ralph Soupaultun célèbre dessinateur de cette époque mais une personne peu fréquentable et condamné en 1945 pour « intelligence avec l’ennemi ».