Fillon, presque neutre.
Le porte-parole du Parti socialiste Benoît Hamon s'est énervé pour rien lundi matin, après l'intervention de Fillon sur France inter. Il a dressé un parallèle entre le premier ministre et Marine Le Pen à cause de deux phrases prononcées par Fillon sur les ondes de la station publique. Pourtant, ce dernier est apparu bien calme, mesuré, presque distant, après l'été « gesticulatoire » et agité que Sarkozy et ses proches nous ont livré depuis juillet.
Le premier ministre voulait visiblement paraître calme et confiant, alors que ses ministres, a contrario, s'affolent. Eric Woerth dénonçait la « lapidation médiatique » dont il ferait l'objet; Bernard Kouchner confiait sur RTL qu'il a pensé à démissionner cet été ; Brice Hortefeux et Eric Besson ont lancé une nouvelle charge contre les Roms et leur « mendicité aggressive »; et Hervé Morin, ministre de la Défense, a livré la plus forte critique du moment émanant d'un membre du gouvernement contre le virage sécuritaire pris depuis le discours de Grenoble. Fillon s'est clairement démarqué de cette agitation, y compris et surtout de celle de Nicolas Sarkozy, en évitant les formules choc, et en prenant le soin de répondre longuement, .... quitte à abuser de langue de bois.
Sur la baisse des moyens dédiés à la police et à la gendarmerie, Fillon a récusé la critique, sans fournir de chiffres alternatifs à ceux qui lui étaient opposés. Il s'est abrité derrière la réorganisation des forces de l'ordre. A-t-il été choqué par le discours de Grenoble ? Il botte en touche : « chacun a sa sensibilité » mais, « ces décisions, je les mets en oeuvre sans aucun état d'âme. » Ou encore : « Nous n'accusons pas la gauche d'être responsable de l'insécurité ». Estrosi s'est fait taclé au passage. « Je n'ai pas approuvé cette déclaration » a-t-il déclaré à propos de la proposition estivale de son ministre de l'industrie Estrosi de sanctionner les maires défaillant en matière de sécurité.
La réforme des retraites française serait l'une des plus « raisonnables » des pays européens. Fillon faisait allusion au projet espagnol qui prévoit un recul à 67 ans de l'âge de départ à la retraite. Il oublie qu'en France, la durée de cotisation sera l'une des plus longues d'Europe (42 ans à terme).
Sur l'affaire Woerth, le supplice « continue », et Fillon le « regrette », convaincu que le dossier à charge contre Woerth est vide. Et s'il faut passer par une saisine de la Cour de Justice de la République, comme l'a demandé ce weekend Corine Lepage, Fillon reste serein : « J'aurai préféré que cette procédure n'ait pas lieu. Eric Woerth est innocent. »
A propos de l'arrangement intervenu entre Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et Bertrand Delanoë, Fillon reconnaît, à demi-mot, que c'est un aveu de culpabilité.
Répondant à certaines inquiétudes, Fillon a aussi expliqué que le crédit impôt recherche ni la défiscalisation partielle de l'ISF en faveur des PME ne seraient pas affecté par la chasse aux niches fiscales. Quand au recul récent de Sarkozy à propos de l'APL, Fillon s'en excuse presque : sa proposition de suppression du cumul des aides au logement étudiant avec la demi-part supplémentaire par enfant étudiant était trop rude pour les foyers modestes.
Neutraliser Woerth ?
Dans les colonnes du Parisien, Eric Woerth se voulait plus combattif. Il est en « forme olympique », malgré une « lapidation médiatique » dont il ferait l'objet. Le ministre a le sens des comparaisons. Dégagé de la trésorerie de l'UMP, qui lui a trouvé un successeur « à l'unanimité » ce lundi, Eric Woerth lutte surtout pour sa survie gouvernementale.
Econduit de la réunion du Brégançon, le 20 août dernier, Eric Woerth a eu droit à une petite séance de rattrapage personnalisée, et imprévue à l'agenda officiel du président français, jeudi 26 août, à l'abri des caméras, dans le bureau de Nicolas Sarkozy. Le communiqué de presse qui s'en suivit fut laconique, Sarkozy se contentant de rappeler qu'il demandait à son ministre du travail de tenir « compte de la situation de ceux qui ont eu une vie professionnelle plus dure que les autres. » Ce weekend, le JDD révélait que le procureur général de la République envisageait de saisir la Cour de Justice de la République à propos des infractions présumées de prise illégale d'intérêt et de favoritisme du ministre du Travail. La nouvelle fait tâche, même si cette Cour, composée de parlementaires, est habituellement très clémente avec les siens comme on a pu le voir dans le jugement récent de Charles Pasqua. Corine Lepage, députée européenne ex-Modem, serait à l'origine de ce coup judiciaire : « J'estime, au regard de la Constitution, que le procureur Nadal a le droit d'actionner la Cour de justice. Je lui ai demandé de le faire, quitte d'ailleurs à ce qu'à l'arrivée, elle lave M. Woerth de tout soupçon. » Elle ne visait que deux infractions en particulier, alors que l'affaire Woerth est carrément protéiforme: « son intervention éventuelle en matière fiscale pour un contribuable employeur de son épouse et aussi la vente des terrains de l'Oise. »
Le procureur général se serait fait remettre le rapport du directeur de l'Inspection Général des Finances publié le 11 juillet dernier. Ce rapport est entaché de soupçon : son auteur a travaillé seul avec trois « juniors » du service de l'IGF, et avait été nommé directement par Eric Woerth quand ce dernier était ministre du budget.
Les tourments d'Eric Woerth ne s'arrêtent pas là : des anciens délégués du personnel de l'usine Molex de Villemur-sur-Tarn (Haute-Garonne) ont mis la main sur un rapport du ministère du travail sur le traitement d'une affaire similaire, le licenciement des délégués du personnel de la société Tyco Electronics, demandé par les dirigeants de l'entreprise. Une situation quasi-identique, notent les délégués, à celle de leur usine. Sauf que ... dans ce cas précis, le ministère du travail a suivi les recommandations de l'inspection du travail qui s'opposait à ce licenciement. « L'avis de l'inspection du travail est donc ici écouté. l'inspecteur avait mis en avant les mêmes raison économiques « non justifiée ». Le même schéma que pour Molex ! À la différence près que nous avons eu la malchance d'avoir ce Monsieur De Serigny qui a joué contre nous », souligne Denis Parise, l'un des ex-délégués, faisant référence au conseiller bénévole d'Eric Woerth qui travaillait également pour le compte de la société Athéma qui conseillait la direction de Molex.
Neutraliser Bettencourt
L'hebdomadaire Marianne, dans son édition du 28 août dernier, publie d'étonnantes révélations sur les déclarations fiscales d'André et Liliane Bettencourt. Les chiffres donnent le tournis. Le journal révèle notamment la sous-évaluation manifeste de nombre de biens immobiliers du couple Bettencourt : une villa de 25 pièces et 3,9 hectares de terrain dans les Côtes d'Armor pour 827 500 euros ; une autre à Majorque, en Espagne, 7 pièces et 275 mètres carrès, pour 255 000 euros; une maison à Saint-Maurice-d'Etelan (Seine-Maritime) de 221 mètres carrès et 7 hectares pour 250 000 euros; une autre, au même endroit, avec 590 mètres carrés et 3,3 hectares pour 240 000 euros.
Autre révélation, Liliane Bettencourt s'est faite rembourser 32,6 millions d'euros (et non 30 millions) au titre du bouclier fiscal début 2007 sur ses revenus 2006 déclarés à 77,7 millions d'euros. Or la milliardaire reçoit plus de 200 millions d'euros annuels de dividendes de l'Oréal chaque année. Aussi incroyable que cela puisse paraître, les services du fisc n'ont pas réalisé de contrôle fiscal depuis 15 ans. Comment expliquer une telle clémence ?
Neutraliser Chirac
On en sait un peu plus sur l'accord tripartite conclu entre Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac et Bertrand Delanoë sur l'affaire des emplois fictifs de la Mairie de Paris. Le président français s'est attaché les faveurs de son prédécesseur, histoire de neutraliser quelques dommages collatéraux. Il faut dire que Chirac a de quoi de balancer sur les coulisses de son ancien fidèle de Neuilly-sur-Seine. De l'affaire Clearstream au Karachigate, on devine que les dossiers sont fournis.
Dans son édition du 28 août, le Journal du Dimanche détaille les modalités de calcul des 2,2 millions d'euros que l'UMP et Jacques Chirac se sont donc engagés à verser à la municipalité parisienne en échange du retrait de sa plainte: les 21 emplois fictifs finalement retenus dans le procès qui doit débuter à la fin de cette année ou au début 2011, on relève quelques cas qui n'ont aucun rapport avec le RPR : trois collaborateurs de Jean de Gaulle (le petit-fils du général), des collaborateurs de l’ancien parti de droite, le CNI, des membres de « la cellule corrézienne » de Chirac, Marie-Thérèse Poujade, l’épouse du maire de Dijon, et François Debré, fils de Michel. Au final, Chirac doit payer 550 000 euros, et l'UMp le solde de 1,65 millions.
A Paris, certains élus de la majorité enragent. A l'UMP, on s'agace. Xavier Bertrand, secrétaire général de l'UMP, a déclaré dimanche qu'aucune tractation n'était intervenue entre l'UMP et Bertrand Delanoë, pour avouer ensuite, que l'UMP accepterait la transaction.
Faute de mieux, il fait de la sémantique.
Neutraliser les conflits d'intérêts ?
Le mensuel économique Capital, peu suspect d'antisarkozysme primaire, détaillait le mois dernier les fonctions, salaires et carrières de quelques ministres et secrétaires d'Etat du gouvernement Sarkoy/Fillon. Certains cas sont connus, comme celui de Christine Ockrent. Professionnelle indiscutable, l'ancienne journaliste et compagne de Bernard Kouchner a rejoint, en tant que directrice générale, le pôle « Audiovisuel Extérieur de la France » (France 24, RFI et TV5Monde), chapeauté par ... Bernard Kouchner. Jusqu'en juillet dernier, Kouchner avait confié à son secrétaire d'Etat à la Coopération Alain Joyandet, cette supervision. Mais ce dernier a depuis quitté le gouvernement, sans être remplacé. D'autres le sont moins. On s'attardera à peine sur Brice Hortefeux, qui pourfendait récemment « la gauche milliardaire », est marié à Valérie Hortefeux. Cette dernière est gestionnaire de fortune (et non pas chargée de communication comme nous l'indiquions par erreur) au sein de Natixis.
Le cas de Jérôme Pécresse, mari de Valérie Pécresse, attire également assez peu l'attention. Il est directeur général adjoint d'Imérys, une société qui compte un conseiller d'Eric Woerth, Eric de Sérigny, à son conseil d'administration.
Jean-Pierre Philippe, le mari de la secrétaire d'Etat à l'économie numérique Nathalie Kosciusko-Morizet, est plus intéressant. Ayant quitté EADS en juin 2007 - pour des raisons sans rapport avec la nomination de son épouse au gouvernement - il a créé successivement trois sociétés de conseil. La première fait du conseil en gestion. Baptisée Sagitta01, elle a été créée 1er juillet 2007, et a enregistré 300 000 euros de chiffre d'affaires dès sa première année, 435 000 euros de chiffre d'affaires l'année suivante; Deux ans plus tard, Philippe créé une seconde société de conseil en gestion, En Way le 13 mai 2009. Entre-temps, il a aussi créé Seven Ways le 9 septembre 2008, pour « l'organisation d’évènements politiques ». On ne sait pas quelles manifestations politiques sa société a organisé. Pour ses 4 premiers mois, elle a affiché 60 000 euros de chiffre d'affaires, puis 265 000 euros en 2009. Elle a été dissoute le 17 août 2010. Pourquoi donc ?