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Poetry peut-il séduire les spectateurs français ?

Par Tred @limpossibleblog
Poetry peut-il séduire les spectateurs français ?Si j’ai pensé un moment que le cinéma coréen tenait peut-être avec Poetry un possible succès public en France, je n’en suis désormais plus sûr du tout. Je pensais qu’un prix à Cannes, celui du Meilleur scénario, et une presse à peu près unanimement enthousiaste suffirait à porter le film vers un résultat sortant le film de la confidentialité cinéphile. Bien sûr je ne pensais pas le film capable d’aller titiller le million d’entrées, mais après tout, 200 ou 250.000 entrées ne semblait pas si irréalistes que cela.
Si la sortie du film a finalement fait chanceler mon espoir, ce n’est pas tant les premiers chiffres du box-office que les réactions de mon entourage après avoir vu le film de Lee Chang-Dong qui en sont la cause. Nous étions sept à être allés voir ensemble Poetry, et à la sortie, seuls deux d’entre nous étions sous le charme, emportés par la conviction d’avoir vu là un beau film. Les cinq autres étaient amplement déçus, un ratio peu encourageant pour la carrière du film.
Je n’ai pas toujours aimé le cinéma de Lee Chang Dong. Peppermint Candy, son second long-métrage, est l’un des tous premiers films coréens que j’ai vu en salles, il y a plus de huit ans, et je me souviens clairement en être ressorti déçu. Ennuyé par un film au ton si étrange, au rythme cassé, qui ne seyait pas du tout au spectateur que j’étais alors. Mon aversion pour Peppermint Candy m’a tenu à l’écart d’Oasis, le film suivant de Lee Chang-Dong, malgré les nombreux prix collectés à l’époque par le long-métrage à la Mostra de Venise. Mais les goûts évoluent, ils sont en mouvement perpétuel.
Poetry peut-il séduire les spectateurs français ?Il a fallu que je tombe plus globalement amoureux du cinéma coréen (en 2004) pour repartir sur de nouvelles bases avec Lee Chang Dong. Il a fallu que je voie Secret Sunshine en 2007, le déchirant drame du cinéaste auréolé du Prix d’interprétation féminine à Cannes, pour comprendre que j’étais enfin prêt pour son cinéma, prêt à voir Oasis que j’attrapai lors d’un festival coréen à la Filmothèque du Quartier Latin.
Et aujourd’hui Poetry. Je suis entré en salles avec plus de conviction et d’envie que huit ans plus tôt. Je suis entré en connaissant Lee Chang Dong, son cinéma, son sens du récit à la fois mesuré dans son rythme et puissant dans son discours. J’y suis entré en sachant que ce ne serait pas un film simple et conventionnel. Je ne peux en vouloir à mes amis de ne pas avoir adhéré à Poetry comme moi j’y ai adhéré. Je suis moi aussi passé par là avec Lee Chang Dong, passé par l’ennui et l’incompréhension. Peut-être changeront-ils d’avis un jour.
Peut-être trouveront-ils ce que j’ai trouvé dans le film de Lee Chang Dong. Un regard acerbe et amer sur la société coréenne à travers le destin de cette grand-mère devant affronter les prémices d’Alzheimer sur un front, et les conséquences de la participation du petit-fils qu’elle élève seul à une série de viols sur une collégienne sur un autre front. Et c’est dans la poésie, dans l’aspiration à savoir écrire quelques vers, que Mija, la grand-mère, va trouver les ressources pour tenir debout.
La recherche de la poésie est la lumière qui guide l’héroïne, ce qui la pousse et l’élève au-dessus de la mêlée. Au-dessus d’une société machiste qui cherche la solution la plus rapide aux problèmes, la solution la moins gênante et encombrante. Dans Poetry, Lee Chang Dong dépeint des pères se souciant plus de l’honneur de leur famille et de l’avenir de leur fils que de l’horreur qu’ils ont pu commettre. Un directeur de collège craignant plus la possible atteinte à la réputation de son établissement que la tragédie réelle qui s’est déroulée au nez et à la barbe de tous. Des adolescents reprenant facilement le cours de leur existence faite de télé et de jeux vidéos après avoir commis un acte révoltant. Des hommes passant outre le malheur d’autrui pour mieux s’occuper de son propre confort.
Poetry peut-il séduire les spectateurs français ?Et au milieu il y a cette grand-mère, errante, confuse, un mélange de honte et d’insouciance lui collant à la peau, ayant bien du mal à comprendre ce que l’on attend d’elle. Lee Chang Dong brosse le portrait de cette femme avec patience et finesse, le portant à maturation au travers de ses rencontres, avec les pères désespérant, avec cette mère portant le poids de sa famille et de ses morts sur les épaules, avec ce flic droit et déconneur trouvant dans la poésie ce qu’elle cherche désespérément.
Lee Chang Dong n’a pas peur de faire un film long, il n’a pas peur de ne pas s’apitoyer sur le malheur de ses personnages, il ne cherche pas l’empathie à tout prix. Il se contente de bien écrire, de bien décrire, de bien filmer, et d’être lucide sur les hommes, les femmes, les mères, les grands-mères, les enfants de son pays. Son film est autant un hommage à la poésie qu’un froid constat sur ce qui ne tourne pas rond dans la société coréenne.Il m’a fallu plus d’un film pour apprécier à sa juste valeur le cinéma de Lee Chang Dong. J’espère que les spectateurs français sauront l’apprécier, par ce film ou le prochain, et finiront par embrasser son œuvre.

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