( TITUS D'ENFER )
traduit de l'anglais par Patrick Reumaux
Le début fut difficile, ça s'annonçait vraiment mal, d'ailleurs chez Mango, alors qu'on s'enquiérait de l'avancée de chacune dans l'histoire, j'avais écrit en juin:
C'est que quand on rentre dans l'univers de ce livre, c'est comme si l'on entrait dans le chatêau de la Belle au bois dormant et que l'on assistait à l'éveil un par un de chaque partie du décor et des personnages... et chacun de s'étirer de tout son long, et chaque détail de cet étirement de nous être rendu... C'est particulier, ça participe à la création certaine d'une atmosphère à part, nous voici dans le château de Gomengharst et nous en faisons la visite guidée avec chaque partie qui nous est présentée minutieusement, pierres et personnages inclus.
Le plus qui fait que je ne me suis pas tout à fait endormie, c'est que c'est un monde un peu excentrique. L'image qui m'est venue en découvrant tout ce beau monde, c'est celle des caricatures un peu grotesques, burlesques, fantasques, des personnages des couvertures des Annales du Disque-Monde de Terry Pratchett.
Dans ce fatras de mouvements divers mais extrêment ordonnés mine de rien, à travers lesquels l'auteur nous mène avec un sens du détail impressionnant, il se passe des choses (enfin, l'expression est forte) qui finissent par éveiller notre curiosité, et une fois qu'on a pris la température de ces lieux, si on se laisse aller et guider par le fil d'Ariane, on commence à prendre ses aises.
On finit en effet par s'habituer à suivre le rythme étrange de la vie au château de Gomengharst, gouverné par des rites sans fin, habité entre autres par un lord à la ramasse, une comtesse entourée de chats, leur fille Fuschia, et Titus, le fils qui vient de naître. C'est ce dernier qui va être à l'origine (malgré lui) du changement, imperceptible au départ, à Gomengharst, et bousculer l'ordre établi dans ces lieux - car jusqu'à présent, ce château était la demeure d'un peuple mort, tué par des rites absurdes, errant dans un enfer sans fin.
Il y a de très bons passages dans ce récit, ponctués d'absurdités à la Ionesco et de burlesque à l'anglaise. Les dialogues, les situations et les personnages eux-même se rapprochent parfois du n'importe quoi, à un point que ça en est cocasse.
J'ai entre autres adoré le personnage d'Irma, la soeur du docteur, excellente avec sa manie de se répéter. Le personnage de Finelame, le moins "atteint" dans l'histoire et terriblement perspicace, est très intéressant aussi.
Quant aux différentes cérémonies et rites absurdes qui rythment la vie au château, j'en ai parfois pleuré de rires tellement c'est grave. J'ai en mémoire la cérémonie du baptême avec Grisemer, docteur des lois, pendant laquelle rien ne se passe comme il veut. Désopilant! L'épisode de l'incendie aussi est très bon, l'occasion pour l'auteur de mettre tout ce beau monde face à l'imprévu, les descriptions de leurs réactions sont vraiment très drôles et excellentes!
Un petit extrait au hasard:
"Les convives mangent par à-coups, chaque fois qu'ils ont cinq minutes entre les interminables formalités du rituel compliqué que Brigantin fait respecter aux instants voulus. Dérouler dans le détail le catalogue où est consigné le rituel du Déjeuner, déjà au dernier degré lassant pour les convives, serait à peine moins fastidieux pour le lecteur."
Un exemple de passage que je trouve comique, chiquement barge et représentatif à mon sens du talent de l'auteur pour les descriptions soigneusement détaillées mais non moins amusantes:
"S'agenouillant soudain, il colla l'oeil droit contre le trou de la serrure, contrôla les oscillations de sa tête et les velléités errantes d'un oeil gauche qui essayait désespérément d'embrasser toute la surface du panneau, et réussit enfin, grâce à un prodige de concentration, à distinguer un oeil comme le sien enchâssé dans le trou de la serrure, à moins de deux pouces, un oeil qui ne lui appartenait pas, car non seulement il était d'une autre couleur que sa propre prunelle de marbre, mais, ce qui était encore plus convaincant, il se trouvait de l'autre côté de la porte. [...] l'oeil de Craclosse était de toute évidence collé au trou de la serrure, devant la porte de la galerie des Brillantes Sculptures, et il était probable que le reste de sa personne s'y trouvait aussi."
Une oeuvre surprenante, devant laquelle je ne saurais trop quoi penser... Je ne pourrais résumer mes impressions en "aimé/pas aimé" mais j'ai été fortement impressionnée par le talent de l'auteur à avoir bâti cet univers fantastique avec une cohérence et une rigueur dans les détails qui m'ont plus d'une fois surprise. J'ai trouvé très fort aussi son talent à mélanger burlesque, absurde, poésie, légèreté et profondeur, tout en maîtrisant l'évolution de son intrigue. Les personnages m'ont marquée par leur folie, leur côté "à côté de la plaque", tout en étant très très réalistes.
J'ai fini par être gagnée par le charme de cet univers malgré les longueurs des descriptions et de certains événements (l'histoire de Keda par exemple, bien qu'elle ait un sens à la fin).
Premier d'une trilogie - si au début je m'étais dit, "ouh la ce truc-là je le finis et après on oublie", en tournant la dernière page je me suis dit que je lirais bien les deux tomes suivants quand même. C'est que mine de rien, ça m'intéresse assez de savoir ce que devient Titus une fois adulte...
Lu dans le cadre du défi
(DAL 2010 - 5 / reste 10)
Egalement commenté par Isil, Lilly, et bien sûr, Mango (lecture commune avec cette dernière).