Écrire le théâtre

Par Richard Le Menn

Le théâtre c'est de la poésie : le verbe qui se fait action … qui rassemble … du mouvement mis en rythme pour du plaisir pur … le geste, la voix, les mots ... mesurés … la vie sublimée et réinvestie par l'humain qui en cadence la respiration … la connaissance de cette humanité transcendée et dansée … et mieux que tout : une distraction qui rend plus heureux, plus sage, qui apaise par la catharsis, qui relativise chaque chose, raisonne, moralise et qui fait aimer. Si depuis le Moyen-âge la religion chrétienne semble bannir les acteurs, ce sont pourtant les clercs qui propagent l'oeuvre du dramaturge comique Térence (vers 190 – vers 159 av. J.-C.) et se servent de ses oeuvres pour transmettre un latin pur aux jeunes élèves. Oublié aujourd'hui, son ouvrage est pourtant le plus publié en Occident après la Bible jusqu'au XIXe siècle. Il est de la lignée d'un théâtre dont le verbe est bâtisseur d'empires, commençant avec Ménandre (empire grec hellénistique), se prolongeant avec Térence (empire romain), Shakespeare (Angleterre) et Molière (France)… autant de royaumes qui propagent un verbe rassembleur, une parole nouvelle … une vision de la vie comme l'est chaque langue. J'ai déjà écrit un long article sur Le théâtre antique et les conventions … classiques …  et un autre sur le masque (Sortir masqué) dans lesquels il est question de Térence. Et maintenant quel est le verbe qui portera le XXIe siècle, ce troisième millénaire ?

Photographies : Illustrations d'un livre du XVIIIe siècle avec trois des six pièces de l'auteur comique romain Térence : Publii Terentii Afri, Comoediae Sex, Ad Optimorum Exemplarium Fidem Recensitae. Accesserunt variae Lectiones e libris MSS. & Eruditorum Commentariis depromptae, Tomus I, Lutetiae Parisiorum, Apud Natalem Le Loup & Jacobum Merigot, 1753, Cum Approbatione & Privilegio Regis. 254 pages. In-12 (15 x 9 cm). Tome I avec les comédies en latin : Andria, Eunuchus, Heautontimorumenos, avec argumentaires et prologues, une Vie et un Éloge de Térence. Reliure d'époque. Frontispice par De Lafosse (Jean-Charles Delafosse : 1734-1789) d'après Hubert Gravelot (1699-1773), médaillon de Térence sur page de titre par Jacques Philippe Lebas (1707-1783) d'après H. Gravelot. Trois vignettes par De Lafosse, une par Dominique Sornique (1708-1756), deux par J. P. Lebas,  toutes d'après H. Gravelot. Elles représentent des putti ayant des occupations. Une gravure illustre chaque pièce. Une est de De Lafosse, une autre de D. Sornique, une autre de P. Lebas, toutes d'après H. Gravelot. Jolis culs-de-lampe (avec notamment des masques de comédie et une représentation de Ménandre dans un médaillon) et lettres illustrées.
Térence est une figure du théâtre tout à fait remarquable dont la postérité est grande. Ses six comédies ont traversé les siècles sans jamais faiblir si ce n'est au XXème. Non seulement ses textes ont été transmis mais aussi les illustrations de ceux-ci : cet auteur du IIème siècle avant J.-C. représentant le nec plus ultra de la maîtrise de la Rhétorique et du bon et beau latin. Alors qu'au Moyen-âge l'Église condamne le théâtre et que celui-ci n'existe presque plus du tout dans la première moitié de cette période (la seconde possède quelques Mystères et fabliaux ou distractions de foires), les moines vont copier fidèlement les manuscrits illustrés de ses pièces dont l'ensemble est sans doute le livre le plus publié en France après la Bible du Moyen-âge jusqu'au XIXe siècle. La Comédie est une part importante de notre société occidentale telle qu'elle ne l'est nulle part ailleurs dans le monde, et cela depuis la haute Antiquité. J'ai étudié pendant plusieurs années les images de la Comédie nouvelle antique et en particulier celles des pièces de Térence, en rassemblant un corpus immense de plus de mille diapositives prises dans le cadre d'un DEA et d'une thèse dans les plus grands musées archéologiques grecs et italiens ou achetés à des musées et bibliothèques du monde entier et que j'ai offertes pour moitié au Musée du théâtre d'Athènes et pour l'autre à la Bibliothèque de l'Arsenal à Paris. J'ai découvert une tradition ininterrompue de transmission identique depuis l'Antiquité jusqu'au XIIe siècle, depuis Ménandre, sur au moins 1500 années ; une tradition où chaque geste, chaque mouvement, chaque masque, chaque attribut, chaque vêtement, est scrupuleusement codifié, telle une langue de magie (cela reste du théâtre et du plaisir) ayant son pendant dans des textes étudiés pendant toute cette période et jusqu'au XIXe dans les écoles pour appréhender le latin … Une langue humaniste comme l'est avant le grec, tout à la fois d'une profondeur insondable et d'une légèreté qui l'est tout autant.