Le film avait un fort potentiel : prétendre conter le déclin de la civilisation aztèque du point de vue maya, mettant en perspective sa chute prochaine face aux déchirures internes de l’Empire et l’arrivée subite des espagnols. Un pan de l’Histoire passionnant, méconnu ou fantasmé.
Apocalypto est polémique : intéressante démarche cinématographique (et historique) trop vite obscurcie par une mise en scène privilégiant une vision tribale des populations méso-américaines.
Azteques et mayas au 16e siècle Là où le film perturbe, c’est qu’il ne prend pas la peine de remettre le récit dans son contexte historique. Remettons les choses dans l’Histoire. Au début du 16e siècle, l’Empire aztèque est le pouvoir dominant de la péninsule du Yucatan : mais l’empereur Moctezuma 2 est perçu comme un despote et peine à maintenir l’unité, faute de popularité. Cette civilisation se fragmente petit à petit, au rythme d’une contestation interne (refus du conservatisme, de l’autorité autocratique…) et d’une menace externe que forment les clans séparatistes. Les mayas, eux, ne sont plus que des petits clans indépendants les uns des autres disséminés dans la jungle, sans véritable pouvoir ni influence. (Si ce n’est le clan Tlaxcala, qui rejoindra les espagnols par la suite) Le dieu Serpent à plumes Quetzalcoatl, divinité suprême, se manifeste un jour auprès des prêtres aztèques de la capitale, Tenochtitlan, annoncant ainsi son grand retour. L’empereur ordonne alors, en accord avec les traditions, que l’on prépare sa venue par une série de sacrifices rituels. C’est ainsi qu’ils iront chercher leurs victimes parmi les petits clans mayas, ne pouvant craindre aucune représailles de leur part.Apocalypto commence là : Patte-De-Jaguar fait partie de ces mayas. Malheureusement, le film ne touche pas un mot sur la situation que je viens brièvement d’expliciter, et nous plonge sans préambule dans l’action. Le spectateur peine à comprendre le « pourquoi du comment » : qui sont les mayas? où sont les aztèques? quelle est la différence? Et pourquoi se font-ils enlevés?
Le cas Mel Gibson Depuis La Passion Du Christ, porter le nom de Mel Gibson lorsqu’on fait du cinema devient une rude affaire, médiatiquement parlant. Sur ce film, assez mal compris, il convient de rappeler que le réalisateur avait choqué par sa mise en scène percutante, nous contraignant à contempler un spectacle parfois insoutenable. Une expérience qui exigeait de son spectateur une difficile perception transcendante de l’oeuvre, qui ainsi se faisait bien plus profonde que la plupart des films pastoraux dont le siecle dernier nous avait abreuvé. Cela dit, Mel Gibson avait incontestablement fait de la violence une obsession. Il la réclamait, nous l’imposait, sous le doux prétexte de vouloir nous faire réfléchir. Démarche pertinente, loin de la violence gratuite qui envahit nos salles de cinémas, mais risquée. Alors que le film prônait l’humaniste, il fut accusé d’antisémitisme ; alors qu’il s’adressait aux non croyants, il a répugné la plupart d’entre eux et n’a touché que les chrétiens affirmés ; alors que Mel Gibson est un catholique traditionaliste, il est passé pour un intégriste radical…A quoi cela est-il du ? Mise en scène maladroite? Sensationnalisme primaire? Message chrétien éclipsé? Ou au contraire christianisme exalté? Quoi qu’il en soit, cette mésaventure cinématographique a élevé au sein de la critique spécialisée un nouveau conformisme, à savoir l’anti MelGibsonnisme, que venaient enrichir de nombreux scandales médiatiques.
En clair : Apocalypto était attendu au tournant.
Mais que fait Mel Gibson? Si c’est véritablement la pensée précédemment citée qu’il veut exposer, on se demande où et comment il la développe. Car Apocalypto n’est ni plus ni moins qu’un film d’aventures. Un très bon film d’aventures, superbement filmé, mais qui n’a rien de la fresque historique promise et par son titre (qui signifie Révélation) et par sa citation ; et si l’on peut considérer, avec beaucoup d’indulgence, que Mel Gibson fait une allégorie politique sur le déclin d’une civilisation, il faut tout de même avouer que le spectateur lambda ne verra ni plus ni moins qu’une simple chasse à l’homme dans la jungle, le tout sur fond de mayas traqués.
En ce qui concerne la violence, principale crainte et du public et de la critique, Mel Gibson a fait évoluer son concept : à l’horreur visuel (imposé par sa précédente réalisation) il a préféré une violence implicite, mais cependant omniprésente. Sa jungle se fait hostile, inhospitalière, le tout étant rendu par une succession de plans bien pensés : tantôt larges, tantôt très serrés, nous faisant alors apparaitre toute l’ampleur de la menace (pièges mayas, serpents venimeux, rochers assassins…). La mise en scène sublime le décor, rend cette jungle palpable ; et si l’on attendait du film plus qu’il ne peut offrir, on ne peut que s’émerveiller de la reconstitution minutieuse du paysage aztèque : la cité de Tenochtitlan, la langue Nahuatl… Mel Gibson est incontestablement un habile metteur en scène, mais l’on se demande si son zèle cinématographique ne sert pas plus le spectacle que le fond : en témoigne ses précédentes reconstitutions qui tiennent plus du fantasme épique que de la réalité historique.
Jean Bresson