Un rêve américain, c’est le titre de l’exposition de photographies présentée au Pavillon Populaire à Montpellier (jusqu’au 3 octobre) où sept photographes (et trois vidéastes dont je n’ai pu voir le travail), Européens et Américains, s’efforcent de renouveler le genre, un demi-siècle après Robert Frank. Chaque photographe a une salle dédiée : disons que c’est inégal, mais dans l’ensemble, très attachant. Jean-Luc Bertini (avec, entre autres, une superbe photographie incongrue d’Amish à la plage) et Richard Renaldi se contentent de portraits in situ pour décrire l’Amérique comme un décor, un théâtre; Stephan van Fleteren et Robert Huber se déguisent en Elvis Presley et utilisent ce moyen caricatural pour entrer en contact avec les gens, procédé amusant mais manquant de finesse. Richard Pak , présenté un peu à part sur une mezzanine, protégé par un panneau mettant en garde les âmes sensibles, est de loin le plus intéressant du lot, avec, de l’Idaho à la Virginie de l’Ouest, ses portraits de paumés, de hillbillies vivant dans des ‘trailers’, de serveuses de bar usées par la vie : avant même de lire son journal de route, on sent la proximité du photographe avec ses sujets. Laissés pour compte de l’American Dream, ces marginaux ont néanmoins droit, eux aussi, à la ‘poursuite du bonheur’, atteint parfois ici par l’alcool, la drogue ou le sexe. “Please come again” lui chuchote Della, femme perdue dans les Appalaches, loin de ses rêves, après sa visite et ses prises de vue; et cette jeune femme s’est fait tatouer à l’envers sur le sein l’inscription “Follow my dreams”. C’est l’univers des romans de Carver et de Fante, c’est le programme de la FSA remis au goût du jour par un photographe, seul, avec tendresse et empathie, c’est une revisite moderne, triste et plus douce, des Américains de Frank.
L’autre volet intéressant de l’exposition est plus actuel, plus politique, mais, à l’exception des quatre photographies sur bâches suspendues montrant la théâtralité des meetings électoraux de Jean-Robert Dantou, ce sont les regards qui m’y ont le plus frappé. Dans la série de photographies de New-Yorkais regardant les ruines du 11 septembre de Frédéric Sautereau (N 40°42′42″, W 74°00′45“), des visages, vides ou horrifiés, regardent hors champ, tous tournés vers un point que nous ne voyons pas, leurs yeux fixés sur un spectacle que nous devinons, mais qui nous reste invisible, leur regard aimanté comme des limailles vers un pôle magnétique externe à la photographie. Cette composition photographique est en effet magnétisée, happée hors du champ, elle attire à l’intérieur de l’image quelque chose d’étranger, selon un regard qui l’organise et autour duquel elle se déploie. Cette capacité de l’artiste à construire une image dont le véritable centre, tendu par cette ligne de vision, soit hors de l’image, en faisant converger les lignes de force de la composition vers un point de fuite imaginaire, m’a rappelé la série des Turfistes d’Hermine Bourgadier, mais aussi les Ménines, où le point de fuite des regards est l’emplacement même du spectateur, là où se trouve, peut-être, le couple royal.
J’ai retrouvé une composition similaire dans certaines photographies de la série de Christopher Morris, My America, qui explore avec une ironie grinçante tous les petits signes du patriotisme américain, bannières étoilées sur un gâteau d’anniversaire et panneaux d’affichage annonçant fièrement “God, guns and guts made America free”. Certains de ses sujets, ‘all-american boys’, blancs, républicains, nouveaux chrétiens, ont des yeux d’un bleu d’acier, un regard illuminé pointé vers un idéal invisible, vers un mythe patriotique et incontestable, vers une vision du monde libre et juste assez terrifiante, et ce regard hors-champ apporte la même force structurante à la composition (Farmington Hills, Michigan 2004). À la recherche du rêve américain…