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Dans l’arène

Publié le 30 août 2010 par Lecriducontribuable

Près de huit millions d’euros : c’est le coût partagé entre l’Etat (à 50 %), la Région Provence-Alpes-Côte-d’Azur (PACA), le département du Var et la Ville de Fréjus pour le massacre d’arènes vénérables du Ier siècle. Les travaux entrepris, ces gradins dégradants dont les photos sont aujourd’hui facilement consultables dans la presse, sont tant étonnants qu’on peinerait à les croire réels si l’on avait déjà en tête d’autres exemples malheureux d’affreuses verrues de ce genre, comme au château de Falaise.

Promoteurs de rentables spectacles contre « amateurs de vieilles pierres », comme certains appellent ceux qui trouveraient encore ces arènes belles par elles-mêmes sans qu’il soit besoin de les habiller d’une grise chape de béton lisse : c’est la loi du plus fort qui l’emporte. Une couverture intégrale qui masquera totalement les structures antiques et permettra d’accueillir un public toujours plus nombreux en respectant les règles de sécurité actuelles. On sait maintenant qui décide, de la Réunion des musées nationaux ou de la préfecture. Le silence de ceux qui ont fait profession d’aimer les vieilles pierres est d’autant plus assourdissant. On apprend seulement que l’architecte des monuments historiques en charge du projet a trouvé le travail de conception difficile. On l’imagine… Mais alors, pourquoi l’avoir mené ? Pourquoi n’avoir pas tout simplement rasé le site, ce qui aurait eu le mérite de la clarté ?

Tous les arguments invoqués : protéger le site, lui restituer sa fonction, lui rendre son âme… tombent lourdement devant le spectacle qu’offrent grues, forages, coffrages et coulages. Vision sinistre que le ministère de la Culture juge, selon le jargon de rigueur, « réversible ». Un grand nombre d’historiens nous rappellent pourtant que ces monuments étaient d’abord destinés à diffuser le prestige de Rome dans tout l’Empire auprès d’une population croissante et non à garantir une rentabilité immédiate comme cela semble le cas aujourd’hui.

Selon les concepteurs du projet, il s’agit de réaliser une « enveloppe protectrice qui planera au dessus des ruines mais ne la cachera en rien ». On se met alors à rêver avec eux d’autres enveloppes protectrices planantes sur tous ces monuments antiques et vénérables qui nous gênent : le pont du Gard qui ne sert plus à rien — si tant est qu’il ait jamais servi à autre chose qu’à manifester le génie architectural des Romains —, la Porte de Mars à Reims, le théâtre de Fourvière à Lyon, les thermes de Cluny et puis, allez, pourquoi pas, toutes ces églises décrépites et vides que l’on pourrait facilement enrober pour en faire des boîtes de nuits géantes ou des supermarchés, comme c’est aujourd’hui le cas en Angleterre. À chaque époque sa religion.

Le budget utilisé pour « restituer » les arènes de Fréjus est ponctionné sur celui qui sert habituellement à restaurer les « vieilles pierres ». Les monuments dont on ne parle pas : autant de projets plus modestes et moins onéreux qui ne pourront pas voir le jour. Alors que Buren a fait restaurer à grands frais (5,8 millions d’euros) sa délicieuse imitation de ruines antiques en plein cœur du Palais-Royal, c’est ce qui s’appelle marcher cul par-dessus tête. Un apprentissage qui ne sera sans doute pas inutile puisque pour les « amateurs de vieilles pierres », ce qui est intéressant gît désormais sous les gradins.

Bruno Sentejoie


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