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L’art fera école

Publié le 24 décembre 2007 par Willy

Education. Selon un rapport que s’est procuré «Libération», l’histoire des arts deviendrait obligatoire dans le primaire et le secondaire dès la rentrée 2008.

«A l’école, les enfants apprennent à lire mais pas à voir.» Dans ces colonnes, au lendemain de l’élection présidentielle, l’historien de la peinture Pierre Rosenberg, ancien président du Louvre, rappelait au candidat Sarkozy sa promesse de faire entrer l’histoire de l’art à l’école. Si l’on en croit un rapport dont Libération a pu avoir copie, «dès la rentrée 2008, l’enseignement de l’histoire des arts» deviendrait «obligatoire» dans le secondaire et même le primaire.

Détermination. Chargé fin juillet d’une mission de réflexion par Christine Albanel et Xavier Darcos, Eric Gross, inspecteur général de l’Education nationale, a rendu le 14 décembre son devoir aux ministres de la Culture et de l’Education ainsi qu’à l’Elysée et Matignon, concluant par «28 propositions et recommandations» qui ne manqueront pas de faire débat.

L’unanimité devrait se faire sur un constat : l’absence de l’art à l’école est une aberration dans un pays dont chaque grande période est imbriquée avec la création et qui en a hérité du patrimoine le plus riche au monde. C’est la première fois qu’on sent une détermination politique aussi forte à sortir de cette triste exception française. Parallèlement, le gouvernement a confié une autre mission, sur le contenu des programmes, à un professeur, Pierre Baqué, lequel a déjà rendu une note d’étape.

Eric Gross reste prudent, choisissant de ramener cette ambition à l’aune des moyens. Ce pragmatisme se nourrit de la répétition des échecs : le corps enseignant a toujours résisté à une innovation qu’il conçoit mal, surtout sans moyens ni formation attachés. Le rapport répond par la mise en place d’une académie ouverte du XXIe siècle, mais risque de frustrer par la modestie des mesures immédiates. Chaque mot compte dans ses formules : «histoire des arts», alors que l’Elysée et Matignon dans leur lettre de mission parlaient, à dessein, d’«histoire de l’art». Manière de ne pas se cantonner à la grande peinture. Mais aussi réticence de l’éducation nationale, habituée à ses pratiques du dessin et de la musique. Surtout, «enseignement» ne veut pas dire «discipline». Les élèves n’auraient donc pas, lundi de 10 à 11 heures, cours sur les mains négatives du néolithique, et, la semaine d’après, sur l’esthétique mortuaire de la pyramide. En pleine réduction d’effectifs, appelé à alléger des programmes déjà trop lourds, le ministère n’a nul moyen de recruter des professeurs d’histoire de l’art en un délai si court. Il faudrait 10 000 postes.

Gratuité. Même si le rapport précise que l’histoire de l’art ne peut être instaurée en discipline séparée «à ce stade», on aurait aimé que l’objectif soit posé, alors que cet apprentissage est courant dans les autres pays occidentaux. Il préconise cependant la création d’un Capes et d’une agrégation du genre afin de former des formateurs d’enseignants et de composer un bassin d’expertise dans chaque académie.

En attendant, le rapport suggère de «mettre l’accent sur la dimension artistique et culturelle» des disciplines existantes : en histoire, on parlerait davantage de Le Brun et Lully, en philo de l’esthétique de Hegel et en géométrie de l’architecture palladienne. En lettres, les enseignants seraient incités à se distancier d’une approche formaliste du texte pour redonner sens au contexte. La formation et les concours, surtout en sciences humaines, seraient revus pour prendre en compte cette exigence. Eric Gross appelle ainsi les deux ministères à fonder un nouveau partenariat pour assurer la formation continue des maîtres. Il propose la mise en place de «directions régionales de l’éducation artistique», qui, logiquement, pourraient être mises en commun. Il recommande le rétablissement pour les enseignants de la gratuité des musées et monuments, ce à quoi Christine Albanel est favorable.

L’objectif est de faire entrer la culture à l’école et de sortir l’école vers la culture. La France se doterait d’une bibliothèque numérique des arts, lance le rapporteur, qui insiste sur le principe d’une «gratuité» des services. Il souligne que cette base apporterait, dans la confusion du Net, une validation «juridique et scientifique» des données. Sans préjuger de l’impact de cette intention sur les éditeurs de livres d’art, il revient sur le volet de «l’exception pédagogique» au droit d’auteur prévu par la loi Donnedieu. Avant même son entrée en vigueur prévue en 2009, il recommande d’en abandonner les dispositions «confuses» et «inapplicables». Pour «mieux protéger usagers et ayants droit», il propose une mesure législative instituant la «gestion collective» des droits plutôt que de laisser chaque enseignant se débrouiller.

Tension. La télévision publique pourrait jouer sa part dans cette mobilisation, à l’occasion des révisions du cahier des charges. Est lancée l’idée d’un site de vidéos éducatives proposées aux écoles, commun aux chaînes publiques et fédéré par France 5. Le rapporteur souhaite une rencontre de l’école avec les artistes et un renfort des pratiques artistiques, tout en notant l’écueil des moyens.

Sur ce point, plutôt qu’un programme dicté d’en haut, il en appelle à l’éclosion de mille fleurs : sorties dédiées au patrimoine de la région, invitations d’artistes, incitations au mécénat. A travers la «généralisation de contrats de développement de l’éducation artistique et culturelle», les collectivités seraient conviées à devenir des «partenaires à plein titre» de cette mobilisation pour une nouvelle école de l’art. Une certaine prudence du rapport s’explique par les risques de blocages, qui ne sont pas insignifiants.

La tension était déjà perceptible dans certaines auditions. Evidentes, les difficultés matérielles se doublent de querelles programmatiques plus sourdes. Les historiens de l’art aimeraient bien profiter de la brèche ; professeurs et artistes se retranchent sur la pratique. C’est la bataille des Abstraits et des Concrets. Ce débat, qui peut déconcerter par ses aspects techniques, est crucial si l’on veut espérer que les générations à venir puissent reprendre goût aux églises et aux musées : 60 % de Français n’ont jamais mis le pied au Louvre.

Par VINCENT NOCE - http://www.liberation.fr/

 


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