C’est too hot, dog !
« Ca c’est bien vrai », lui ai-je répondu, n’ayant aucune intention de fâcher Alice, même quand elle profère de semblables énormités. Me fâcher avec Alice serait la dernière des choses que je souhaiterais.Au fait, Je ne vous ai pas présenté Alice ? Alice, c’est ma boulangère, enfin ce n’est pas elle qui fait le pain, mais elle le vend, sa boutique est juste en bas de mon immeuble. Une femme extra, comme son pain, qui sait tout sur tout, et surtout qui dit tout sur tout. Vous me direz que c’est le cas de beaucoup de monde, mais, ais-je remarqué, c’est surtout vrai en France, pays où il faut absolument avoir un avis sur tout, et où la phrase « je ne sais pas » semble avoir disparu totalement des conversations…
Bref. Alice venait de nous raconter ses vacances à la mer,
ceci incluant le récit d’un énorme coup de soleil
qu’elle s’était faite sur le
postérieur sur une plage naturiste, et la température
dans la boulangerie était montée d’un coup de dix
degrés. Pour bien comprendre, il faut que je vous dise dit
qu’Alice est une
femme absolument magnifique. Et l’idée de Alice,
allongée nue sur le sable, se
dorant au soleil, avait de quoi faire tomber jusqu’au sol la
langue de tous les
clients mâles, et je sais de quoi je parle.
C’est pourquoi personne ne la contredit lorsqu’elle nous affirma que les bombes a(na)tomiques étaient la cause du détraquement du climat, qui en retour avait causé son coup de soleil. Bien sur, j’avais envie de lui dire : « mais, Alice, tu as réussi à faire deux erreurs dans la même phrase ! D’abord les essais nucléaires n’ont rien à voir avec le climat, c’est simplement une pollution de plus, une pollution terrible, certes, radioactive, mais on peut prouver qu’une explosion atomique fait en réalité baisser la température, parce qu’une bombe envoie une telle quantité de poussières dans l’atmosphère que les rayons solaires n’arrivent plus jusqu’au sol. En cas de guerre atomique, nous aurions droit à un véritable hiver nucléaire, durant plus de dix ans, sur toute la planète, avec disparition de nombreuses espèces, gel des cultures, famine, et probablement des milliards de morts (en plus de ceux dus aux bombes) du seul fait de ce refroidissement.
Et, deuxièmement, ton coup de soleil n’est absolument pas
lié au réchauffement climatique : il est dû aux rayons ultraviolets du
soleil, alors que la sensation de chaleur est, elle, due aux rayons infrarouges
» Mais allez donc expliquer tout ça à Alice, qui n’est pas le genre de femme à
lire des magazines techniques…
« Alors, on rêve ? »
C’était la voix railleuse d’Alice. Sursautant, je m’aperçu soudain que j’étais depuis au moins une minute seul avec elle dans la boutique, à contempler rêveusement sa poitrine plantureuse et bronzée qui jaillissait de son décolleté généreux comme une source de jouvence. En rougissant jusqu’aux oreilles, je pris congé et, ma baquette sous le bras, je rentrais précipitamment chez moi.
Alfred m’y attendait. Alfred, c’est mon Internet à moi, en mille fois mieux : on lui pose des questions, n’importe quelle question, et il y répond. Le fait qu’Alfred soit un extra-terrestre ayant l’apparence d’un mini fantôme de dix centimètres de haut, avec des yeux bleus, qui vit dans mon frigo en bouffant des oignons ne doit absolument pas intervenir dans votre jugement : Alfred est une agence de renseignements personnalisée, point.
Ultra violée
« Alors, me questionna-t-il, tu as vu Alice ? ». Je lui racontais tout.
« Tu sais, ce coup de soleil, c’est une affaire sérieuse », répondit-il.
« Que veux-tu dire ? »
« Je veux dire par là que vous, terriens, vous habitez sur une planète qui se trouve très près d’une énorme bombe thermonucléaire qui a pour nom : Soleil. Et le soleil est méchant. Il vous envoie des tas de rayonnements nocifs, dont les fameux ultraviolets, ainsi appelés par ce qu’ils sont « au delà du violet » dans l’arc-en-ciel. Même s’ils sont invisibles à vos yeux (mais visibles par les abeilles), les UV sont de même nature que la lumière, mais leur longueur d’onde est plus courte. Et plus la longueur d’onde d’un rayonnement est courte, puis il est énergétique, et donc dangereux. Fort heureusement pour vous, terriens, les UV les plus nocifs, les UV C, sont arrêtés par l’oxygène, ils n’atteignent jamais la surface du sol. Et ceux qui sont moyennement nocifs (les UV B) sont arrêtés par la couche d’Ozone.
Mais même les UV A, que les fabricants de crèmes solaires appellent « bronzants » ou « sans danger », sont quand même dangereux en cas d’exposition prolongée. Les UV A et B provoquent le cancer de la peau, accélèrent son vieillissement, et dégradent le système immunitaire, quel que soit le type de peau (même si les personnes à peau claire sont plus susceptibles d’attraper le cancer de la peau). En outre ils endommagent les yeux. Les animaux, même s’ils sont mieux protégés à cause de leur pelage, subissent les mêmes effets. Et on a prouvé que les UV B empêchent la croissance de pratiquement tous les types de plantes, et même du plancton. Quant aux UV C, ils détruisent carrément les cellules. S’il n’y avait pas la protection de l’atmosphère terrestre, toute vie serait impossible sur terre.
Et justement, cette protection tient à un fil. Ce fil, c’est
la fameuse couche d’Ozone… »
« Ok, je connais ! » , l’interrompis-je.
Alfred a une conversation passionnante, mais ça tient souvent du monologue.
Disons qu’il a le monologue passionnant…
Trou d’eau, zone
Mais Alfred ignora l’interruption :
« Tu ne connais rien du tout. Sais-tu que l’Ozone stratosphérique est un gaz qui se forme naturellement, par dissociation de l’oxygène sous l’effet (justement) des UV, dans la haute atmosphère entre vingt et cinquante kilomètres d’altitude, mais que si on ramenait tout l’Ozone qui se trouve là haut au niveau du sol, cela ferait une couche de seulement trois millimètres d’épaisseur ? Et c’est cette couche infime qui protège la terre des UV B et d’une grande partie des UV C. Or cette couche d’Ozone est très fragile chimiquement. En particulier l’Ozone est dégradé très facilement par les composés à base de chlore.
Et justement, depuis 1938, les gens de ton espèce ont commencé à lâcher massivement dans l’atmosphère des composés chlorés, les ChloroFluoroCarbones ou CFC. Ces gaz sont ininflammables, facilement compressibles, non solubles, et comme ils n’ont qu’une faible réactivité chimique (sauf vis à vis de l’Ozone…) on les croyait sans danger pour l’environnement, et ils constituaient le gaz idéal pour les aérosols, et pour les liquides frigorigènes dans les frigo comme celui dans lequel tu as l’amabilité de m’héberger. Jusqu’en 1999, la production de ces CFC a doublé tous les dix ans. Et elle continue à augmenter, bien qu’à un rythme moindre.
En effet, dans les années 1980, on a mis en évidence le fameux trou d’Ozone, une région au-dessus de l’antarctique dans laquelle à chaque printemps la concentration en Ozone tombe pratiquement à zéro. Et cette zone ne cesse de grandir, et le trou de durer plus longtemps, à tel point qu’on recommande aux populations du sud de l’Amérique Latine de ne pas s’exposer au soleil. Il est indubitable que l’accroissement de ce trou est dû aux CFC… »
« Mais depuis, on a fait ce qu’il fallait,
non ? » L’interrompis-je. On ne fabrique plus de CFC ! »
« Faux, archi faux ! » Rétorqua Alfred. « C’est vrai qu’en 1989, cent quatre vingt pays ont signé le protocole de Montréal,qui réglemente la production de CFC (-50% en dix ans). Mais les CFC mettent quinze ans à monter dans la haute atmosphère. Par exemple les CFC qui étaient présents dans la haute atmosphère en 2007 sont ceux qui ont été produits avant 1992. Les autres, qui représentent plus de la moitié du total produit, sont encore en train de monter. Et comme les CFC mettent entre vingt ans et un siècle pour être détruits, le trou d’Ozone va continuer à grandir.Et les gens auront de plus en plus de cancers de la peau, s’ils persistent à faire des bronzette débiles sur les plages en été »
Je méditais en silence ces paroles terribles.
C’est à cet instant que la sonnette de la porte d’entrée se fit entendre. J’ouvre, et me retrouve face à Alice, souriante et belle comme un jour sans UV nocifs. « Vous étiez tellement pressé de sortir de la boulangerie que vous n’avez pas attendu que je vous rende la monnaie », dit-elle en me tendant un paquet de pièces et de billets. « Et vous m’aviez payé avec un billet de cinquante euros ! Heureusement que je sais où vous habitez ! » Sur le coup, je me sens tout bête. Mais elle me sourit… et je craque.
« Oh ! Merci beaucoup. Mais… entrez ! Un petit café ? »
Quelques faits
Le trou d'Ozone est le premier exemple d'action internationale sur la composition de l'athmosphère (l'autre est bien sur la lutte contre le réchauffement climatique). Les scientifiques ont tout d'abord prouvé que le trou était majoritairement causé par les CFC (chlorofluorocarbone), des gaz qui étaient utilisés dans presque tous les aérosols (crème à raser par exemple), et également émis par le isolants des frigos lorsqu'ils sont mis à la décharge et pourrissent lentement. En 1987, le protocole de Montréal a été le premier accord limitant les émissions CFC. 180 pays l'on ratifié, et la production de CFC, après avoir atteint un maximum dans les annnées 90, ne cesse de baisser. Cependant, il faudra plus de 60 ans avant que l'ozone retrouve un niveau normal dans la haute athmosphère.Le point positif est que l'affaire du trou d'Ozone montre que la coopération internationale en matière de climat, et la coopération entre scientifiques, industriels et politiques, peuvent conduire à des résultats positifs. C'est déja énorme !