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Sécurité : « Ce ne sera pas tout rose avec les socialistes »

Publié le 29 août 2010 par Letombe

Ordre juste, sanction contre les maires, vidéosurveillance… François Rebsamen entend démontrer que le PS n'est pas laxiste.

François Rebsamen, samedi à La Rochelle (Audrey Cerdan/Rue89)

(De La Rochelle) Accusé d'angélisme par le gouvernement en matière de lutte contre l'insécurité, le Parti socialiste s'est refusé à répondre immédiatement à l'offensive sécuritaire estivale de Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux ou encore Christian Estrosi. Dès le mois de mai, un calendrier avait été arrêté, il sera respecté : Martine Aubry a chargé François Rebsamen de rendre ses conclusions lors un forum fin janvier

Ancien second de François Hollande à la direction du PS, puis de Ségolène Royal au Congrès de Reims, d'aucuns imaginent le sénateur-maire de Dijon (Côte-d'Or) en futur ministre de l'Intérieur si le PS l'emporte en 2012. Aux accusations de laxisme, il répond par la fermeté et expose à Rue89 les axes du travail socialiste qui a déjà commencé.

« Nicolas Sarkozy ne va pas s'arrêter »

Rue89 : Comment analysez-vous l'offensive sécuritaire de Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux ou encore Christian Estrosi ?

François Rebsamen : D'abord comme un échec. Un échec et une tentative de masquer cet échec. C'est exactement l'inverse de ce qu'il faudrait faire. En matière de lutte contre l'insécurité, il faut avoir un continuum d'actions et essayer d'avoir un rassemblement républicain qui dépasse le clivage gauche-droite. Mais c'est impossible à demander à la droite car elle utilise toujours le thème de l'insécurité pour cliver, tenter de gagner des voix à l'extrême droite et faire passer les socialistes pour des laxistes.

C'est un écran de fumée, une tentative de diviser les socialistes mais pas d'agir. Pour lutter contre l'insécurité, il faut évaluer et il faut être efficace. La montée des violences est un vrai problème dans notre société et elle a été exponentielle depuis 2002.

Pensez-vous que c'est aussi une tentative de faire une nouvelle fois de la sécurité un thème central de la prochaine élection présidentielle ?

Oui, je pense que Nicolas Sarkozy ne va pas s'arrêter. Il n'a plus que ça. Echec sur le plan économique, échec sur le plan social… Il revient donc à ce qu'il croit être ses fondamentaux : « Je suis le plus volontariste pour lutter contre l'insécurité. »

Le problème, pour lui, c'est que les Français ont compris aujourd'hui qu'il faut le juger sur ses actes et sur les résultats de sa politique. Il ne peut pas dire il y a deux ans « je vais démanteler tous les camps de Roms », puis recommencer deux ans plus tard en disant « je vais démanteler tous les camps de Roms ». En plus en stigmatisant une population, en la mélangeant avec les gens du voyage et en rompant l'égalité républicaine.

Face aux accusations d'angélisme de la part du gouvernement, que répondez-vous au regard du bilan du PS ?

Je pense qu'on a un bon bilan de nos années passées au pouvoir. Pierre Joxe a sûrement été l'un des meilleurs ministres de l'Intérieur qu'on ait eus, parce qu'il a su allier rigueur et justice. On ne peut pas demander à nos concitoyens de respecter la justice si la police ne les respecte pas. C'est la République du respect.

Sous Lionel Jospin, le colloque de Villepinte a été un tournant par rapport à certaines idées, qui faisaient apparaître la sanction comme une mauvaise chose ou qui disaient que la délinquance n'était que le produit de toute une histoire sociale, alors que c'est tellement plus complexe. Aujourd'hui, on a une approche plus globale, qui tient tous les bouts de la chaîne.

« La sanction doit être exemplaire, immédiate,
effective et proportionnée »

Quelle est justement la définition socialiste de la sécurité et quelles sont les pistes que vous entendez creuser ?

En matière de lutte contre l'insécurité, il y a quatre axes. Le premier, c'est la prévention. Ce sont toutes les politiques qui consistent à éviter le flux de ces jeunes qui arrivent en rupture à seize ans dans les quartiers. Dans les Zep (zones d'éducation prioritaire), c'est fini d'avoir un enseignant pour vingt élèves, il en faut un pour dix. Et pas pendant deux ans ; pendant quinze ans.

Le second axe, c'est la dissuasion. C'est la présence policière. Comme on parlait d'un lien armée-nation, il faut un lien entre services publics de la sécurité et citoyens. Pour que ce lien existe, il ne faut pas que la police soit uniquement perçue comme une police de répression, ce qu'en a fait Nicolas Sarkozy, retournant ainsi trente ans en arrière. Il faut donc recréer, avec des moyens budgétaires qui sont limités, une police de gardiens de la paix des quartiers, qui prennent aussi soin des victimes pour lutter contre le sentiment d'insécurité. Et il ne faut pas craindre d'y ajouter des moyens modernes, comme la vidéoprotection qui peut aider à contribuer à la dissuasion.

Le troisième axe, c'est la sanction. Là-dessus, on a été accusé de tout. Nadine Morano nous a accusés d'être « les amis des assassins », entres autres choses absolument insupportables. La sanction doit être exemplaire, immédiate, effective et proportionnée à l'acte. Au premier acte de délinquance, il doit y avoir une sanction. Dans les pays où il y une sanction au premier acte de délinquance, il y a beaucoup moins de récidive. Mais Nicolas Sarkozy mène une politique de gribouille, avec notamment les peines plancher qui ne permettent pas d'adapter la sanction. C'est forcément la prison ; et vu que les prisons sont pleines, ils ne font pas leur peine.

Le quatrième axe, c'est la réinsertion. Ça va mieux dans nos quartiers, quand il y a du travail. Quand vous voyez des jeunes, parce qu'ils habitent dans les quartiers, parce qu'ils sont d'origine maghrébine, qui ont des diplômes et qui ne trouvent pas de travail, c'est encore pire. On est dans cette période-là en ce moment.

François Rebsamen, samedi à La Rochelle (Audrey Cerdan/Rue89)

Certaines mesures sont susceptibles d'être source de blocage au sein du PS. Pierre Moscovici a affirmé notamment qu'« il faudra s'interroger sur ce qui n'a pas marché dans la police de proximité », alors que les socialistes vantent le bilan de cette force qu'ils avaient créée…

On n'a eu que très peu de temps pour la mettre en place. Durant les cinq années de Lionel Jospin au pouvoir, il y a eu l'accident de Jean-Pierre Chevènement, les réticences de l'administration policière… Finalement, c'est Daniel Vaillant qui a mis en place la police de proximité en seulement un an et demi.

On a aussi fait une erreur : il faut cibler davantage la police de proximité dans les quartiers de la politique de la ville. Et puis les moyens feront qu'on ne pourra pas recréer une police de proximité partout. Mais la police de proximité, c'est important là où il y a « les incivilités qui pourrissent la vie des gens », selon la formule de François Fillon. Il ne faut pas laisser penser que demain ce sera tout rose avec les socialistes.

« Les élus locaux ont profondément
fait évoluer le Parti socialiste »

Ségolène Royal a, elle, repris son concept d'« ordre juste » avec l'« encadrement militaire des jeunes délinquants ». Le PS est-il désormais prêt à l'accepter ?

Oui. Les élus locaux ont profondément fait évoluer la conscience du Parti socialiste. On a beaucoup plus de maires qu'en 1997 et ce sont les premiers soldats de la sécurité publique. Ils sont pour la sanction et l'ordre juste. Si on ne s'occupe pas des jeunes délinquants maintenant, ceux qui suivront seront beaucoup plus violents.

Ségolène Royal avait été en avance en proposant un encadrement militaire pour ces jeunes. C'est un peu ce qu'essaye de faire actuellement le gouvernement avec les Epide (établissements publics d'insertion de la Défense), sauf que c'est sur la base du volontariat. Je suis pour le faire sur la base de la sanction, de la peine judiciaire.

Le problème est cependant qu'il faut réfléchir à des lieux : soit des établissements qu'on construit, soit dans d'anciennes casernes. Et il faut savoir qui peut l'assumer, vu l'état des finances de la société. Des militaires ? Pourquoi pas. Mais je dirais plutôt des individus de type militaire. Il faudra faire appel à des retraités de la police, de la gendarmerie, qui seraient volontaires. Ce serait l'idéal, mais nous ne formerons pas 80 000 éducateurs spécialisés du jour au lendemain.

Qu'en est-il de la vidéosurveillance ? Certains maires de gauche, tels que vous à Dijon, en installent dans leur ville, alors d'autres s'y refusent…

D'abord, je préfère dire vidéoprotection. Mais, là aussi, ça évolue au Parti socialiste. Martine Aubry m'a dit elle-même qu'elle en avait 4 000 à Lille. Rien que de le dire montre qu'elle ne craint plus d'en parler. Alors qu'il y a un an et demi, au bureau national, on a eu un petit affrontement.

On ne peut pas avoir une position idéologique là-dessus. Je sais très bien que la vidéoprotection est bien souvent là pour compenser le retrait de la police nationale, mais on ne pas se priver de cet outil quand il est géré intelligemment, quand il y a une commission d'éthique… parce qu'il peut être efficace.

Ce n'est pas la panacée, il ne faut pas en mettre à tous les coins de rue. A Dijon, avec la police nationale, on a identifié les endroits du centre-ville où il avait le plus de petits actes de délinquance. On en a mis aussi dans tous les bus, à la demande des organisations syndicales. Et ça marche, on a fait baisser la délinquance. Je suis pour qu'on utilise tous les moyens, dans le respect de la loi et des libertés individuelles.

« C'est ça, la République du respect »

Le gouvernement entend également amplifier le démantèlement des camps illégaux des gens du voyage. Les élus locaux socialistes peuvent-ils se contenter d'appliquer ici les décisions de l'Etat ?

Il y a une loi qui existe et qui doit être appliquée par toutes les communes : elles doivent avoir des aires d'accueil de gens du voyage et le rôle du gouvernement est de faire appliquer la loi. Quand on pense qu'il n'y a que cinq aires d'accueil des gens du voyage en Ile-de-France…

On doit le respect aux gens du voyage, comme ils doivent respecter aussi les lois de la République. C'est ça aussi, la République du respect. S'il s'installent dans des lieux qui ne sont pas autorisés alors qu'il y a des aires d'accueil, il est du devoir du maire, après une décision de justice, de les expulser. Mais on peut le faire dans la dignité humaine.

Christian Estrosi a proposé de sanctionner les maires qui ne respectent pas cette obligation. Y êtes-vous favorable ?

Bien sûr, parce que les maires doivent appliquer la loi. Mais Christian Estrosi me fait sourire : il devrait demander au président de la République pourquoi il ne l'a pas fait à Neuilly, pourquoi il n'y en a pas dans les Hauts-de-Seine.

Quel sera précisément le calendrier du PS pour l'élaboration de ses propositions ?

Tout n'est pas encore calé avec Martine Aubry. Est prévu aujourd'hui la réunion de nos maires le 2 octobre, pour établir un guide des bonnes pratiques des élus locaux. Ça donnera aussi à Martine Aubry l'occasion de s'exprimer sur un certain nombre d'axes ou de propositions. Puis, il y aura trois ateliers : un sur la sécurité, un sur l'autorité, un sur la citoyenneté. Enfin, nous terminerons par un forum fin janvier, où nous présenterons nos propositions globales.

 

Par Julien Martin | Rue89 |

 

Photos : François Rebsamen, samedi à La Rochelle (Audrey Cerdan/Rue89).


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