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AUDIARD - La nuit, le jour et toutes les autres nuits

Publié le 29 août 2010 par Ruminances

Posté par lapecnaude le 29 août 2010

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Paul Michel AUDIARD est né à Paris en 1920, auteur, réalisateur et dialoguiste (120 films portent sa marque pour l'une ou l'autre des activités souvent les trois à la fois), il a écrit 10 livres, “La nuit, le jour et les autres nuits” est son dernier. Écrit en 1978, trois ans après le drame qui l'a profondément affecté, la mort d'un fils. Ce livre annonce rien moins que la fin d'un monde, il devait s'intituler initialement “En écoutant craquer la banquise”, titre étrangement prémonitoire qui devrait devenir important dans la vie de quelques snobinards qui ne voient le plus souvent Audiard qu'au travers des “Tontons Flingueurs” et autres de ses films.

Michel Audiard n'aura donc pas été QUE le plus grand dialoguiste du cinéma français . Il n'aura même pas, avec ce livre (qui fut son dernier) atteint ce fameux statut d'écrivain. Non il aura simplement été une être humain qui, dans la brève parenthèse de son passage sur terre, a écrit un texte à la fois bouleversant, hilarant, dérangeant, plein de tendresse, d'amitié, de fidélité, lucide, provocant, violent, d'une profondeur infinie (dans la désespérance, mais aussi dans la vérité d'un être), un texte dont on sort percuté, cabossé qu'on ne peut oublier dans un coin de bibliothèque.

Dans “la nuit” Audiard délimite son territoire natal, il n'est pas parisien, il est “du XIV°” et seulement de là, il fait même exception de l'avenue d'Orléans ! Il en parcourt chaque nuit les rues, les squares, avec à chaque fois des souvenirs, il s'arrête et le cinéma se met en marche dans sa tête. Au fils des errances il croise des statues, il ne aime pas toutes, celle du Lion de Belfort par exemple “Sur la question de l'éclairage, on a toujours été un peu en retard, ce qui offre quand même une compensation, on ne voit pas trop le Lion de Belfort, une crapulerie de bronze à laquelle je ne m'habituerai jamais”.

Il se considérait comme un manard de la PME cinoche, une petite main, un exécutant, un cordonnier du 7ème art à qui on apportait des godasses scénaristiques de qualité douteuse afin qu'il leur cloue des mots, leur pose des semelles là ou il faut, et qu'elles marchent une fois mises en marche en ce qui leur fait office de boite (en franglais box-office), “Voici vingt ans que je m'emmerde à écrire des trucs pour gagner des sous, pour ne pas devenir assassin“. “J'ai arrêté de picoler quand je me suis aperçu que j'écrivais le même film depuis dix ans sous différents titres. Personne ne l'avait remarqué,. J'aurais pu continuer. Oui, au fond, j'aurais pu…” Ses soit-disant réussites, il les juge avec plus de sévérité que le pire de ses détracteurs (Truffaut, le grand précurseur du cinéma coincé du croupion). Pour lui, le grand cinéma c'était Eisenstein. Comme la grande littérature, c'était Céline et Proust. Des fausses grandeurs il y en aura plein le XX° et le XXI° siècle, Molière se serait régalé, mais Molière n'est plus là et Audiard était le dernier de la lignée. Cet esprit français là ne sera plus bientôt qu'un souvenir.

Je n'ai pas du tout l'esprit à jouer … un certain temps déjà que je ne joue plus … à rien … depuis qu'une auto jaune a percuté une pile de pont sur l'autoroute du sud et qu'un petit garçon est mort… (…) Pour le reste … je mange ma soupe … je m'habille …je me déshabille … je fais des trucs intéressants comme de me raser … de vider les cendriers …voyez des occupations“. Indifférence absolue de l'existence de cette ménagerie humaine qui l'entoure et soudain “Imaginer huit cent millions de jaunets se faisant roussir la couenne n'est qu'une démangeaison sensorielle de l'immense panard que la Super-Super nous promet : l'aube enchanteresse où la fusée porteuse larguera l'ogive qui piquera, dans un hululement de chouette hystérique, sur quatre milliards cinq cent millions d'enfoirés. J'en bégaie de bonheur de les imaginer, exorbités de pétoche, béants de conneries, dans “l'éveil jaune et bleu, des phosphores chanteurs“, lorsque l'ultime et colossal champignon les aspirera avec leurs cosy-corners, leurs scènes de ménage, leurs récépissés de Caisse d'Épargne, leurs problèmes sexuels, leurs tickets de tiercé, leurs prostate, leurs machine à laver, leurs transistors ! … Quatre milliards cinq cent millions de têtes de cons qui cesseront enfin de polluer le système solaire ! …” De l'anti-Hulot quoi !

Car Audiard a une conviction terrible, les gens capables de tout, d'un peu de bien certes, mai aussi de vénalité et surtout de toutes les turpitudes, toutes les horreurs, absolument toutes. Jeune, il a vu, lui, au lieu de la grande fraternisation des livres d'histoire, il a vu l'ignominie surgir au coin d'un ordre lancé par quelques résistants de la 11ème heure (comme on aime dire). Certains ont morflé, certaines encore plus (s'attaquer aux faibles est un acte de résistance pour ces gens) parce qu'une pointe d'humiliation des femmes est toujours bonne à prendre dans les défoulements barbares, ce sont quand même les mêmes neuropeptides qui commandent l'envie de sang et l'envie de sexe. Le point de fixation d'Audiard c'est Myrette, son amie, avec qui il faisait l'amour par amitié, par tendresse, elle lui a appris à jouer du banjo. C'était une fille facile, pas trop regardante sur la provenance nationale de ses clients.

A la Libération, un certain colonel Palikar a trouvé judicieux d'aller, avec quelques assoiffés de fausse vengeance, mais surtout de sexe et de sang, lui faire son affaire, et là Audiard est précis “Myrette fut certainement très martyrisée puisqu'elle avait les jambes brisées lorsqu'ils la tirèrent par les cheveux sur la petite place et l'attachèrent au tronc d'un acacia. C'est là qu'ils la tuèrent. Oh ! sans méchanceté, plutôt, voyez-vous, à la rigolade, comme on dégringole les boites de conserves à la foire, à ceci près : au lieu des boules de son, ils balançaient des pavés. Quand ils l'ont détachée, elle était morte depuis longtemps déjà, aux dires des gens. Après l'avoir jetée sur un tas de sable ils lui ont pissé dessus, puis s'en sont allés par les rues pavoisées pour, comme on dit, arroser çà. Quelle merde ! On a vu des tontes de femmes, des pendaisons de (supposés) collabo, des concours d'extraction dentaire par claquage de gueule.

Depuis ce son et lumière de l'été 44 Audiard ne se fait plus aucune illusion sur les gens et surtout sur les Français - poivrots, combinards, délateurs, lèche-train, anonymographes. A lire ces lignes en 78, on se rend compte en 2010 qu'ils n'ont pas changé sinon en pire. Le destin fut clément avec la justice immanente puisque Palikar chuta incidemment sous les chenilles d'un char Sherman, juste devant la boutique du coiffeur qui avait rasé le crâne de Quenotte, une autre amie, et juré Bébert n'était pas là.

Depuis, il a gardé le banjo de Myrette, il l'a suspendu dans son couloir, chez lui. Il n'y a pas eu que Myrette, il y a toute une suite qui défile dans la substance grise qu'il déverse sur le papier. Quenotte, rapport à sa virtuosité dans la fellation, Sophie Clodomir lesbienne gourmande devenue sur le tard bovidé peu remuante sans cesse baignant dans ses bains d'algues vertes et broutant ses salades de régime, Sucette à l'académie Terpsichore, Hortense passée de la collaboration à l'épuration sans prendre le temps de changer de culotte, sa fille Raymonde ….

Raymonde qui donne à Audiard l'occasion des quelques pages “légères” du livre , quand il raconte sa manière sournoise de l'avoir possédée dans l'eau, alors qu'il se baignait avec elle au Tréport, en août 39, en lui faisant fallacieusement miroiter les pires cauchemars si les allemands remportaient la mise : “Là dessus, je suis parti dans une adaptation très libre des évènements d'Autriche, de Bohême, ajoutant plein de viols de religieuses que j'avais lu au moment de la guerre d'Espagne et qui faisaient parfaitement l'affaire. En hypocrite, je commençais à me branler dans l'eau, pour pas qu'on voit de la plage, parce que ce n'était pas un spectacle pour les enfants. Je brossais en traits appuyés la volée que l'on n'allait pas nous manquer de se prendre si on se mêlait de ce qui ne nous regardait pas à Dantzig, que les Allemands brûleraient Paris, que les Françaises finiraient dans les bordels nazis, et que, de toutes façons, on ne verrait rien de tout çà puisqu'on serait fusillés. Çà marchait bien. Elle fait glisser, en se tortillant, son slip à fleurs jaunes sur ses chevilles et a passé ses bras dorés autour de moi. “T'as raison, on va sûrement mourir ! convint-elle. Vas-y ! Ce fut un moment rare et çà reste un grand souvenir. Je l'ai pinée, comme çà, dans une eau à même pas quinze degrés ! Un pareil exploit aujourd'hui m'extasie“.- Il leur rend souvent visite au cimetière de Montrouge et leur raconte la vie tout en fleurissant leurs tombes.

Même s'il affirmait qu'il s'employait dans ses livres à ne rien écrire qui puisse être réutilisable dans un film, où serait l'acteur, le héros audiardesque qui arriverait à dire avec le juste ton à propos de la relève des miliciens FFI -”un type qui porte un brassard est toujours une ordure, sauf s'il est en deuil. Un type qui porte un béret basque est toujours une ordure, sauf s'il est basque. Et voilà que les voitures à brassards succédaient aux ordures à béret ! Çà recommence bordel de merde !

Quelle était la couleur des yeux de Myrette ? La partie centrale du live est occupée par une lente dérive nocturne, dont une part en Rolls, celle de Paloma De Sweert, née Bachu, comtesse au cul moult fois honoré et pour le coup cousu d'or, qui se targue de culture, conduite par Mehdi dit “le bic” puisqu'Audiard a le goût de se rendre aimé par les gens de gauche, Mehdi figure ancillaire homme, qui doit accepter les assauts sodomites du mari de la comtesse, toujours si l'on en croit Audiard, qui n'en est pas à une provocation près, ayant décidé de faire “chier” sous le prétexte d'aller chercher des cigarettes. Ce trio improbable va rouler rive gauche, de Montsouris au Panthéon (dont la description sous les traits d'un temple stalinien vaut à elle seule tout le livre. Ils larguent l'emperlousée et passent rive droite, remonte jusqu'à Pigalle; A cette heure-ci, pourquoi Pigalle vous tombe dessus comme un vieux tapis de chien ! Le Bic Mehdi raconte ses histoires de guerre d'Algérie, “qu'est-ce que j'en ai à foutre ? “, “Cerné, tel est mon lot depuis la maternelle rue d'Alésia, jusqu'au studio de Billancourt en passant par les bons pères, les flics, les adjudants, les contremaitres, les balluchonneurs, les funambules du clair de lune, qu'est-ce que j'ai pu remorquer comme imbéciles ! Leurs Livre d'Or ! Ceux qui valaient quelque chose sont partis. Cause à qui ? Je ne peux parler qu'aux morts. Alors je parle aux cons ! - Ils se quittent, Mehdi rentre.”

Arrivé au parc Montholon, il rencontre Maugréant, un habitué des bancs, il pue, mais est de bonne conversation et a des bancs - en habitué - Audiard tracte la possession d'un banc pour plus tard. Audiard, lui, son destin, il le voyait sur un banc, “je les repère depuis des années …les bons endroits … pas trop ensoleillés, ni venteux … j'ai une option sur un banc du Trocadéro … sous un arbre de Judée … vers mai, c'est joli, çà fleurit bien … en perspective de l'été, j'en ai débusqué un autre, tout à fait ombragé, aux Tuileries, mais en pierres … gaffe aux hémorroïdes “.

Et ce filament noir qui court au long des pages, cette sortie d'autoroute du sud l'avait un peu sorti de la vie. Quand ce fils était hospitalisé, il lui disait, “tu sais, tu peux rester encore une peu“. Avec l'instinct peureux de ceux qui savent bien ne plus intéresser personne, qui appréhendent la nuit qui commence à descendre derrière les croisillons et qui savent qu'ils vont rester tout seul à interroger la petite veilleuse bleue jusqu'au matin où l'infirmière viendra avec ses pilules et les potions à rendre la vie gaie, les euphorisants comme on dit.

L'hôpital occupe de plus en plus de place dans le texte quand Audiard se fait interpeller par Aristide, le patron du bistrot “chez l'Ancien”, celui qui raconte sans cesse le déraillement du train où ont péri sa femme et son fils, il en fait des cauchemars- ” Y s'en passe des choses, Y s'en passe, Nanar a pété un boyau dans la tête !” - “Pas possible, Nanar, je l'ai rallumé cette nuit Métro D'enfer, il était normal !). Nanar, celui du couple de clodos le plus crado de Paris, errant depuis 35 ans à la recherche du 18 bis rue Billancourt , immeuble extrait de la rue par une bombe comme une vulgaire dent pourrie en 44, et dans lequel ils avaient tout de même laissé à la nourrice leur seul petit garçon et qui finit son épouvantable destinée entre quelques tuyaux bien propres, aseptiques même, du service de réanimation de l'hôpital Cochin. Audiard a quelques réflexions sur l'hôpital “J'ai découvert peu à peu (l'inexorable déglingue de mes proches entraînant une fréquence de visites) la vénéneuse supercherie florale de l'Assistance Publique. Les cinéraires de Montrouge ne sont pas chimériques alors que les géraniums de Cochin ont un côté trompe-l'œil dans leur façon de faire accroire que le mal suit le cycle des saisons et que, par conséquent, les cancéreux vont se rebecter aux premiers bourgeons“.

De toute façons Audiard n'a guère d'illusions sur l'intérêt qu'il suscite, sur le plan professionnel, amical et amoureux. il a notamment une phrase en parlant de lui -” D'un abord agréable, je lasse rapidement. Je déplais aussi vite que j'ai plus. Comme les baigneurs qui bronzent trop vite, çà s'en va.

Il y a encore tant et plus à écrire sur ce livre, ses personnages, sur Audiard la tendresse …. que je vous envie de le lire, moi , je vais encore le relire.


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