J’obstrue certains détails. 15h. L’œil torve, le ventre noueux. Le petit dej’ ressemble à un fichu Macdo péniblement avalé. Le thermomètre n’est pas prêt de flancher. 15h45, l’équipe de choc est sur le près. On cherche les Clara Clara qui la veille nous avaient promis une fantasque session acoustique… Pourquoi pas une reprise de Bob Marley au djembé ? On les croise, mais ils sont affairés à balancer leur set puis à répondre à un kilomètre d’interviewers. Et ce n’est pas que l’on se refuse nous aussi à prendre un ticket pour faire partie de cette file d’intéressés. C’est surtout qu’on les a déjà fait longuement parler en mars dernier (voir par là). Pour la peine, on s’en va flairer le Yuck. Il n’en reste qu’un, esseulé à l’ombre, s’ennuyant paisiblement. Les autres sont partis à la plage. Logique. On ne se prive donc pas d’embrigader Daniel Blumberg, son teint diaphane et sa chevelure bouclée vénitienne dans une entrevue au frais dans les loges. Là, il nous parle de Silver Jews, de Teenage Fanclub et de Dinosaur Jr - ses trois références ultimes - en sus de son ancien groupe, Cajun Dance Party. De bon augure donc. Le sentiment léger du devoir accompli, on gagne l’herbe verte, histoire de se requinquer dans le calme relatif de la Villa. Une heure plus tard, on se réveille cerné de toute part. Les Mina May sont assis là et me conseillent une tisane bien chaude avec beaucoup de miel : ma voix s’extirpe passablement d’outre-tombe.
Air Waves ouvre ce dernier jour, ce dernier souffle. Outre une marque de chewing-gum en un mot et un hommage à Robert Pollard, membre des Guided by Voices et monument de ma douce enfance, le trio emmené par Nicole Schneit se matérialise jusqu’à présent à nos oreilles par une unique vidéo artisanale, Circle Of Nomes et un EP éponyme discrètement paru en 2008 via Underwater Peoples (en bonne compagnie de Real Estate et Ducktails). On se presse donc pour voir les anti-charismatiques Air Waves fendre l’atmosphère de leur pop tranquille et maculée de soleil. Remémorant les standards nineties, où les cordes sont rêches, la batterie sourde et le chant benoîtement guttural, les New-Yorkais entichent le spleen mordoré de Gems, Kingdom et surtout Keys de nouvelles chansons un brin plus rythmées. Les premières gorgées de bière siéent à merveille avec ces relents mélancoliques colportés par le groupe, et l’on se prend à gamberger : ce soir, il en sera fini de cette édition 2010.
Mais l’égarement est de courte durée. L’autre groupe français programmé cette année, Clara Clara, remet rapidement les pendules à l’heure et le moral à l’endroit. Si une qualité se dégage de l’iconoclaste trio, c’est bien de cette spontanéité trempée de sueur dont il s’agit. Débarrassé du micro portatif sur lequel on avait pas mal glosé lors d’un passage à Paris pour les dix ans de Clapping Music (report), François Virot est debout derrière ses fûts, au centre de la scène, prêt à en découdre. Dès les premiers cognements de caisse claire et de cymbale, et les premiers riffs de basse assénés par Charles, on jauge fiévreusement de la puissance rythmique dégoisée par les frangins. Le clavier d’Amélie et la voix de François en sont les contrepoints mélodiques, défiant l’équilibre et la justesse tel un acrobate se tapant une pointe de vitesse sur un fil de verre. D’entrée de jeu, ils exécutent un nouveau morceau chanté en français, puis enchainent avec ferveur leurs hymnes foutraques et cadencés (Under the Skirt, One On One et Paper Crowns), déversant sur les braises d’un public remuant l’essence d’une noise-pop déroutante mais efficace. Il est encore tôt, une lumière abondante baigne nos yeux écarquillés, peinant à reconnaître celui qui se trouvait seul, lors de l’édition précédente, au même endroit, recroquevillé sur sa guitare et pétri d’une timidité presque attendrissante. Les copains, ça aide.
On en est là, entre spleen et remue-ménage, quand le quatuor Yuck, tout droit issu d’une fourmillante blogosphère, s’apprête à étrenner sur le sol français une réputation pour le moins taillée dans le velours d’unanimes louanges. Car que ce soit avec ou sans parenthèses (Y(u)ck / Yuck), avec ou sans électricité, les Londoniens subjuguent et magnétisent tout un petit monde s’étant déjà épris de leur split single sur le label-blog Transparent, Georgia, en sus de leur cassette Weakend, sur Mirror Universe Tapes. En somme, un autre bon pari sur l’avenir après ceux sur les Mancuniens d’Egytian Hip Hop et de Wu Lyf. Daniel Blumberg nous avait prévenu, ce soir, il n’est pas question de chichis, ni de parenthèses, de piano, ni de douceur, mais bien de guitares, de saturations et advienne que pourra. L’ex-Cajun ne ment guère, le début comme la moitié et la fin du set ne déméritant pas dans l’art d’envoyer à vau-l’eau d’immédiates distorsions dans la plus pure tradition alternative rock chère aux années quatre-vingt-dix (décidément). Pas de doutes, Jay Mascis et Lou Barlow ont dû apprécier ce bel hommage lors du dernier festival All Tomorrow’s Parties : jouant en compagnie de Built to Spill et de Dinosaur Jr, les Yuck ont dû en mettre plein la vue et les oreilles à leurs prédécesseurs, bien obligés de leur passer la main. Mais s’il y a quelque chose d’attrayant à voir l’infatigable Coubiac touffu s’affairer derrière une batterie, qui semble miniature, quelque chose ne colle pas avec le lieu et nos attentes. Trop heavy, trop consistant, trop rugueux, à tel point que l’attention reflue, on commence à s’enquérir de la fin de soirée d’untel, de celle d’un autre, qui avait l’air en grande forme, etc… Peut-être tout simplement une incompatibilité d’humeur. L’essentiel étant que l’on puisse tirer ça très vite au clair : à savoir en octobre au Point FMR (là) et au festival dijonais Novosonic, en première partie de Veronica Falls. C’est dit.
Avec The Strange Boys, me voilà en territoire connu. Point de martingale foireuse et point d’avant-propos inutile, j’avais déjà tout dit, ou presque, de ce que m’inspiraient ces joyeux drilles texans (ici). Et rien pour me faire mentir : les accords crapoteux de Night Might retentissent tel un appel au grabuge, le public s’empressant, dans un véritable nuage de poussière, à exhumer ses dernières forces. Surpris d’un tel accueil, la petite bande, aux visages poupins et à l’allure négligemment débraillée, ne s’embarrasse que de peu de ses comptines pour faire sauter et slammer les premiers rangs, muni d’un garage rock aux forts accents blues. Be Brave et A Walk On The Beach finissent de convaincre toute l’assistance à tressaillir et répudier le lendemain dans la frénésie de rythmiques endiablées, substantiellement agrémentées d’un harmonica éraillé, de guitares enrhumées et d’un saxo à la volatilité extatique. On pense à Chuck Berry violenté par les Seeds ou aux Wave Pictures efflanqués des turbulents Black Lips. La communion avec Ryan Sambol et ses ouailles se fait totale, chacun ayant au moins renversé sa bière sur le voisin, quand ce n’est pas sur soi-même. Le rappel est scandé, le rappel ne viendra pas, la paix des braves. Be Brave mec. Juste le temps de me siffler un verre prohibé et de cracher la terre inhalée que Virginie m’empoigne avec conviction : tâchons de ne pas louper pour de bon les Clara Clara. Cela va loin, trop loin. Ma voix fait de la peine à entendre, les réponses sont imbibées mais censées : François trouve le moyen de nous causer de Reveille, son troisième (récent) projet. L’année prochaine au Midi ? Chiche.
Blague à part, Lonelady est déjà en piste. Faut dire, elle n’a pas trop envie de s’éterniser. Celle adoubée par la presse telle l’anti-La Roux, dans sa manie à ne garder des eigthies que du noir et du gris, traîne depuis déjà une demi-heure son mal-être délétère lorsque je pointe le bout de mon nez au beau milieu d’un auditoire passablement refroidi. Je ne retiendrai pas grand chose de la prestation de Julie Campbell et de son acolyte aux machines - mise à part sa jolie marotte post-punk Nerve Up et ce goodbye, glacial et sans appel, lancé à un parterre en droit d’en attendre plus. Léger malaise. Surtout lorsque l’on se remémore les touches finales apportées à l’édition 2008 et 2009 par Zombie Zombie et Skeleton$. Il est minuit et Virginie nous quitte. Patrice, le teint blafard m’implore de ne pas trop le tancer. Je n’ai ni la voix, ni la force de m’y risquer. On se laisse glisser dans la nuit non sans avoir préalablement remercié toute l’équipe du festival réunie autour de cubitainers de rosé, LE péché mignon du coin.
Qu’il est dur de ne pas tomber dans l’instantanée nostalgie. Le train qui m’arrache dès le lendemain midi à ce sud varois pétri de bonnes intentions aurait eu moult raisons pour me savater le moral. Mais je garde en tête cette petite lueur qui sera peut-être mon soleil de décembre : pour la première fois le Midi aura son édition hivernale, les 10 et 11 décembre. Les explications avec les mots de la fin de Frédéric Landini ici.
Merci à Frédéric Landini et à toute l’équipe du MIDI Festival, en particulier à Lætitia pour sa patience et sa disponibilité.
Merci aussi à tout ceux qui nous ont si bien reçus et accompagnés : Hervé, Flo, Julien, Vinz, Sofia, Nadia & tous les autres…
Relire / Midi Festival jour 1 ; Midi Festival, jour 2 .