173ème semaine de Sarkofrance : un président déséquilibré, agacé, et mauvais joueur.

Publié le 28 août 2010 par Juan

Sarkozy, 27 août 2010

Il s'est rasé, a remis son costume de rigueur et ses chaussures de ville. Après 20 jours de vacances et de communiqués célébrant les victoires sportives de certains athlètes français, Nicolas Sarkozy est revenu secoué par une cascade de critiques. Début août, il pensait avoir dégagé l'horizon, et déminé les polémiques sur les conflits d'intérêt et abus de privilèges qui minaient son équipe. Mais sa bombe insécuritaire du 30 juillet dernier à Grenoble a surtout divisé son camp, et terni l'image de la France à l'étranger. Les « affaires » qu'il croyait oubliées, ont refait surface; l'agenda social et économique reste chaud et, à l'étranger, la France indigne autant qu'elle inquiète.
Chatel, également à la peine
La rentrée scolaire s'annonçait mal. Mardi, Luc Chatel devait justifier le retard à l'impression des manuels de seconde. Le gouvernement a changé les programmes au printemps dernier dans la précipitation. Les professeurs n'ont pas reçu les nouveaux ouvrages. Des matières ont disparu du programme obligatoire, comme l’histoire-géographie en Terminale scientifique, ou les sciences économiques. Au collège, un collectif s'est également constitué pour protester contre la dégradation de l'enseignement de l'histoire. Même Max Gallo s'inquiète d'un « zapping » dans l'enseignement.
Lundi, le syndicat UNEF révèle que le coût de la vie étudiante augmentera de 4,3% en cette rentrée, dont 3,3% pour les dépenses obligatoires. L'inflation des loyers, de la restauration universitaire, des droits d'inscription dans certaines universités sont pointés du doigt. Valérie Pécresse, ministre de l'Enseignement Supérieur, se tait et se terre. On rappelle également l'un des funestes plans gouvernementaux pour trouver quelques économies dans les niches « sociales » identifiées par François Baroin en juillet dernier : les familles ne pourraient plus cumuler l'avantage fiscal de la demi-part supplémentaire et le versement d'aides au logement aux étudiants (APL ou ASL) pour leurs rejetons étudiants. Il faudra choisir. Baroin espérait économiser 80 millions d'euros par an. 650 000 étudiants sont concernés.
Jeudi, apeuré par la protestation, Nicolas Sarkozy cède : le cumul demeurera possible. Autre dispositif, le Revenu de Solidarité Active spécial jeunes prend effet mercredi 1er septembre, ... près d'un an après son annonce, le 19 septembre 2009 ! Martin Hirsch, quand il était au gouvernement, s'en était félicité. En fait, loin d'apporter un solution de revenu aux 6 millions de moins de 25 ans, cette extension ne concerne que les jeunes pouvant justifier de deux années d'emploi à temps complet dans les trois dernières années ! Il y a un an, Sarkozy promettait 250 millions d'euros pour 160 000 jeunes chaque année. Cette semaine, Marc-Philippe Daubresse, le quinquagénaire secrétaire d'Etat à la Jeunesse a refusé « de fixer au doigt mouillé des objectifs qui ne sont pas atteignables ». En fait, l'effort sera modeste. Le gouvernement a budgété 20 millions d'euros pour quatre mois, soit moins de 15 000 bénéficiaires d'ici décembre... De qui se moque-t-on ?
Jeudi encore, Luc Chatel y est allé de son petit couplet sécuritaire, dans les colonnes du Figaro : « à l'école, toute sanction doit être sanctionnée. » Sans blague ? L'ex-DRH de l'Oréal propose l'établissement d'une charte de civilité, le développement des sanctions alternatives à l'exclusion (comme les travaux d'utilité collective), ou la suppression des exclusions temporaires de plus de 8 jours. Il insiste : « une sanction, pour être efficace, doit être compréhensible et éducative. » Dans ses propos, le ministre de l'Education reste infiniment plus mesuré que ses collègues Besson ou Hortefeux. Ces deux-là continuent de se livrer à une course à l'échalote plutôt inattendue.
Le Rom, bouc-émissaire de secours.
Cet été, les deux ministres se sont distingués dans la polémique alliant insécurité et immigration. Brice Hortefeux s'est montré partout, le plus souvent possible, marchant allègrement sur les plates-bandes de son collègue de l'identité nationale. Ce dernier a senti que son propre ministère était en passe de lui échapper. Par médias interposés, Besson et Hortefeux se livrent une « guéguerre » de position. Ils se disputent en fait le futur poste de super-ministre de la Tranquillité Publique (Sécurité, immigration, etc) que Nicolas Sarkozy envisagerait de créer à l'occasion du remaniement gouvernemental d'octobre.
Cette semaine, Eric Besson s'est cru sauvé. Un opportun sondage révèle que 48% des personnes interrogées sont favorables aux expulsions de Roms, contre 42% qui se déclarent opposées. Au Figaro, on respire. Mercredi, le ministre de l'identité nationale pouvait jouer à l'entente cordiale avec deux ministres roumains dépêchés à Paris pour le rencontrer, avec Brice Hortefeux, son collègue de l'intérieur, et Pierre Lellouche, le secrétaire d'Etat à l'Europe. Jeudi, 300 Roms sont à nouveau embarqués dans des avions direction la Roumanie.
Vendredi, les différents amendements à la législation sur la déchéance de nationalité concoctés sont révélés par Libération et le Figaro. Trois ministres, trois projets pour la future loi sur l'immigration qui sera déposée au Parlement le 27 septembre prochain. La cacophonie est à son comble. Sans surprise, Brice Hortefeux est le plus outrancier. Il propose d'inventer un «délit de polygamie de fait, escroquerie, abus de faiblesse», une salade juridique qui mélange deux délits existants, la fraude aux prestations sociales et l'abus de faiblesse, à son fameux concept de polygamie de fait qu'il ne veut surtout pas confondre avec l'adultère. Eric Besson, lui, exprimait des doutes sur ces extensions de la déchéance de nationalité à d'autres cas que ceux du discours de Grenoble, comme la polygamie ou l'excision avancés par Hortefeux. Il suggère de déchoir de la nationalité « celui qui a été condamné à 8 (...) en France ou à l'étranger pour un acte qualifié de crime par la loi française et commis en particulier contre une personne dépositaire de l'autorité publique. » Quant à Michèle Alliot-Marie, elle se contente d'une version plus juridique, étendant la déchéance à certains meurtres (de magistrat, juré, avocat, officier public ou ministériel, gendarme, etc).
Le piège sécuritaire s'est, semble-t-il, refermé sur le camp sarkozyen. Certains ténors de l'UMP ont toujours bien du mal à digérer la polémique sécuritaire, surtout depuis qu'ils constatent qu'elle n'a servi à rien. Après Juppé, Raffarin, voici Balladur qui exprime ses doutes. A l'étranger, les inquiétudes sont loin d'être calmées. Vendredi, le comité pour l'élimination de la discrimination raciale de l'ONU (CERD) a appelé la France à « éviter » les expulsions collectives de Roms, soulignant le « discours politiques de nature discriminatoire » dans le pays. Le CERD a lancé une procédure. Pierre Lellouche répond dans la journée que ces critiques sont caricaturales et excessives. Il y a trois semaines, cet hommes déclarait que « La France n'a pas vocation à accueillir les 2,5 millions de Roms roumains, ou les 9 millions de Roms européens. » . Qui est excessif et caricatural ?
Bernard Kouchner, l'absent ministre des Affaires Etrangères, est sorti de son silence, vendredi, devant les ambassadeurs du pays, pour une déclaration ambigüe : « Nous n'acceptons pas la caricature, nous n'acceptons pas les amalgames. » Mais, à l'issue de son discours, Kouchner a esquivé toute question. Autre absente de l'été, Fadela Amara a craqué, acculée par les journalistes lors d'une visite d'un lycée : « ça me fait mal au coeur » a-t-elle déclaré à propos des expulsions. Même François Fillon s'est permis d'organiser mardi une réunion imprévue sur le sujet, à l'issue de laquelle il a déclaré que « la lutte contre l'immigration irrégulière ne doit pas être instrumentalisée de part et d'autre ». Et paf !
Sarkozy enrage. Son premier ministre, toujours trop populaire, l'agace.
Jeudi, le réseau Romeurope, un collectif d'une trentaine d'associations de soutien et de défense des Roms en France et en Europe de l'Est, publiait son rapport annuel. Il souligna l'absurdité de la politique d'expulsions : la France dénombre 10 à 15 000 Roms chaque année sur son territoire, et elle en expulse environ le même nombre (8 000 depuis janvier) : chercher l'erreur ! Ces gens du voyage expulsés reviennent...
« Nous ne cèderons pas »
Mercredi, Nicolas Sarkozy retrouvait l'ensemble de ses ministres. Même Eric Woerth. Ce dernier avait été décommandé à la dernière minute de la réunion de Brégançon. Cette éviction était inattendue, car la réforme des retraites est au coeur du plan de rigueur à l'ordre du jour de la rencontre. Le malheureux ministre a eu droit à un point d'étape, organisé jeudi dans la précipitation, assorti d'un communiqué laconique. Il paraît que Sarkozy ne voulait pas s'afficher publiquement aux côtés de son toujours fidèle ex-trésorier. A l'Elysée, on commencerait à s'inquiéter de la désinvolture avec laquelle le ministre a géré ses relations avec le monde économique. Les révélations s'accumulent sur le rôle d'Eric de Sérigny, son conseiller bénévole, Roland Branquart, un ancien conseiller en communication, en attendant celles sur Sébastien Proto, le jeune dircab du ministre très (trop) actif dans la libéralisation des marchés en ligne. Elles inquiètent.
En début de semaine, il se murmurait qu'Eric Woerth devrait à nouveau être auditionné, cette fois-ci par le procureur Courroye lui-même. Ce dernier a fait démentir. Il a en revanche fait à nouveau interrogé Claire Thibout, l'ex-comptable de Mme Bettencourt, et Patrice de Maistre.
On comprend pourquoi Sarkozy n'a mis en place la fameuse commission de réflexion sur les conflits d'intérêt qu'il avait promise pour la fin juillet lors de son entretien télévisuel le 12 juillet dernier...
Comble de malchance, les enquêteurs du procureur Courroye ont trouvé le dossier de Légion d'Honneur de Patrice de Maistre, le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt : il apparaît que c'est Laurent Solly, à l'époque au cabinet du ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy, qui, le premier, a fait la demande de décoration. Une vraie curiosité car un homme d'affaires n'a habituellement rien à faire sur le contingent de légions d'un ministre de la sécurité publique. Mieux, la demande a été faite... en mars 2007.
Le parti présidentiel s'agace aussi d'avoir à faire preuve de solidarité tardive avec Jacques Chirac, à l'occasion de son procès pour emploi fictif à la Mairie de Paris avant 1995. Il y a trois semaines, quand le deal Sarko-Chirac-Delanoë fut révélé, les ténors de l'UMP (Bertrand, Paillé, etc) niaient en bloc. Luc Chatel renvoyait vers le parti présidentiel. Et voici que l'affaire est enfin confirmée: la Mairie de Paris recevra 2,2 millions d'euros, pour l'essentiel de la part de l'UMP, en échange du retrait de sa plainte au sujet des emplois fictifs entre 1992 et 1995. La transaction sera même présentée au Conseil de Paris à la fin du mois.
L'ancien président a bien fait répondre, par avocat interposé, qu'il n'avait commis aucune infraction. Il ne souhaitait qu'un « remboursement » des sommes contestées à la Mairie: « Le président Jacques Chirac a toujours contesté avoir commis quelque infraction pénale que ce soit et maintient que les emplois litigieux étaient légitimes et utiles à la Ville de Paris et aux Parisiens (...) Dans le souci d'apaiser une source de polémique préjudiciable à Paris et à ses habitants, quelles que soient leurs opinions politiques, il a souhaité qu'il soit mis fin au litige civil et que la Ville de Paris soit remboursée purement et simplement des montants litigieux qu'elle a manifesté l'intention de recouvrer judiciairement ». Tant de dévouement désintéressé fait sourire. Voudrait-il également rembourser ses frais de bouche, un temps épinglés ?
Mercredi, donc, Sarkozy avait de quoi être surpris et agacé par ce mauvais bruit médiatique. Toujours sans gêne, l'homme responsable des grands amalgames insécuritaires de l'été, mêlant braquage, émeutes, immigration, polygamie, excision, insécurité et nationalité, a demandé à ses ministres de ne pas céder à la « polémique systématique » et à la « confrontation stérile ». Il faudrait « redoubler de courage ».
Visiblement, Sarkozy ne comprend pas, ne comprend rien, ne comprend plus.
La France isolée
Mercredi, Sarkozy recevait également les ambassadeurs français, pour leur délivrer la bonne parole diplomatique de la France: à l'écouter, les médias sont responsables de tout, y compris des guerres passées, ou de la déstabilisation des marchés financiers ou de l'euro. Mais son cap se veut clair. Il espère beaucoup de la prochaine organisation du G8 par la France début 2011. En Europe, il rappelle les « propositions ambitieuses » de gouvernance économique commune qu'il défendra avec Angela Merkel dans les mois à venir : quel déni de réalité ! En juin dernier, Sarkozy avait dû ravaler ses grandes idées d'institutionnaliser l'eurogroup, et accepter la proposition allemande de sanctionner les Etats défaillants par la privation de leurs droits de vote au sein du Conseil européen. Une capitulation en bonne et due forme qu'il feint aujourd'hui d'ignorer !
Le timing est mauvais. La France, à l'étranger, a perdu son image. On dépeint la Sarkofrance comme une héritière du régime de Vichy. Mais on raille également ses piètres performances économiques et ses déficits publics : Baroin est allé à Berlin, mardi, faire quelques génuflexions devant son collègue allemand. Sarkozy avait appelé, en juillet dernier, à une grande convergence fiscale franco-allemande. Une façon de donner des gages de sérieux à Angela Merkel et la communauté financière. La croissance française s'est affichée à un petit 0,6% au second trimestre, quand le Royaume Uni était à 1,2% et l'Allemagne à 2,2%. Sur la fiscalité, la France est la remorque de l'Allemagne. Le problème convergence fiscale entre la France et l'Allemagne n'est pas là où l'on croit : le gouvernement allemand prévoit de taxer durement l'énergie nucléaire, et, surtout, met en place la fameuse taxe bancaire destinée à couvrir le risque prudentiel des établissements de crédit. En France, Christine Lagarde a prévenu : elle attendra le débat de l'automne sur la loi de Finances 2011.
En comparaison, la France fait pâle figure. Son plan de rigueur reste flou, mal assumé, voire contradictoire. On se rappelle les 23 milliards d'euros d'allègements fiscaux gâchés depuis 2007 par le gouvernement Sarkozy: la défiscalisation des heures supplémentaires (inutile et dangereuse), celle des intérêts d'emprunt immobiliers (inefficace et prochainement enterrée), l'exonération supplémentaire des droits de succession ou l'abaissement du bouclier fiscal (injustes et incompréhensibles), ou la réduction de TVA sur la restauration.
Vendredi, Sarkozy est allé, pour la sixième fois depuis janvier, soigner le monde agricole. Il a rendu visite à quelques brebis, dans les Alpes-Haute-de-Provence, le fief de son fidèle Christian Estrosi. On lui avait dressé une grande tente, placé des caméras, et invité une centaine d'agriculteurs. Il dû gouter quelques produits locaux, avec la réticence qu'on lui connaît. Il a répété, quasiment mot pour mot, les mêmes constats et messages de soutien que lors de ses précédentes visites. Sarkozy radote, mais ne le réalise pas. Il a promis que les 460 millions d'euros d'aides agricoles ne seraient pas affectés par les mesures de rigueur.
Critiquant une nouvelle fois les attaques du moment, il a lâché : « Les Français ne se reconnaissent nullement dans cette agitation. La France est un pays d'équilibre et de bon sens, pas de démesure et d'excès. »
Sarkozy qui en appelle au bon sens et à la mesure... Quelle audace !
Ami sarkozyste, où es-tu ?
Crédit illustration: capture d'écran Elysée.fr