S’il grandit avec la culture manga comme beaucoup d’enfants japonais, c’est néanmoins l’animation qui l’attira le plus, et surtout les œuvres de science-fiction – notamment
Space Battleship Yamato (
Leiji Matsumoto, 1974),
Conan, le Fils du Futur (
Hayao Miyazaki, 1978) et
Mobile Suit Gundam (
Yoshiyuki Tomino, 1979), mais c’est
Astroboy (
Osamu Tezuka, 1963) qui est resté son œuvre de prédilection tout au long de sa vie. Mais il consomma beaucoup de mangas aussi, et devint vite admirateur de
Katsuhiro Ôtomo, dont la création-clé de celui-ci,
Dômu /
Rêves d’Enfants (1980), l’impressionna énormément – à l’instar de beaucoup d’autres créateurs…
Et c’est bien dans le manga qu’il commença à créer, alors qu’il étudiait le design visuel à l’Université d’Art de Musashino : en 1985, sa première œuvre dans le domaine,
Toriko, parut dans
Young Magazine et obtint le prix
Tetsuya Chiba d’excellence ; puis il collabora avec
Ôtomo comme assistant sur
Akira et continua à travailler avec lui quand celui-ci délaissa peu à peu le manga pour se tourner vers le cinéma et l’animation : après
Kaikisen, sa première création parue en format relié chez
Kôdansha en 1990, il participa au film
World Appartment Horror d’
Ôtomo qu’il adapta aussi en manga, avant de suivre son « maître » sur la réalisation de
Roujin Z où il fit de la conception artistique mais aussi, surtout, de l’animation – ce dont il avait toujours rêvé.
Poursuivant dans cette voie, il collabora sur divers projets, tels que
Hashire Melos! (
Osumi Masaaki, 1992), comme scénariste, et
Jojo’s Bizarre Adventure (1993), pour lequel il fit ses premiers pas dans la réalisation, ainsi que
Patlabor 2 (
Mamoru Oshii, 1993), où il participa à l’agencement général du film. Mais c’est au cours de la réalisation du segment
Magnetic Rose du film d’animation
Memories (
Katsuhiro Ôtomo, 1995) qu’il utilisa pour la première fois cette notion de «
réalité subjective » dont le poids sur l’ensemble de sa production personnelle à venir deviendra déterminante : cette fois chargé du scénario et de la direction artistique, il put enfin laisser libre cours à son inspiration que la lecture des romans hyper fictionalistes de
Yasutaka Tsutui a si fortement influencée.
Pourtant, ce n’est pas avant 1997 qu’il réalisa son véritable premier film,
Perfect Blue, d’après un roman de
Yoshikazu Takeuchi, dont il retravailla beaucoup le scénario d’origine pour lui donner cette patte qui deviendra sa marque de fabrique : celle d’une réalité devenue folle – à moins qu’il s’agisse d’une
perception de la réalité devenue folle, ce qui au fond revient au même. Le succès tant public que critique se trouva au rendez-vous, et le film se vit primé dans de nombreux festivals.
Il fallut néanmoins attendre cinq ans pour son second film,
Millenium Actress, où cette fois le temps lui-même se trouve tout autant bousculé que le réel : dans un ultime retour sur sa carrière qu’elle a abandonné alors qu’elle était au sommet de la gloire, une actrice de renom voit les étapes fondamentales de sa vie se confondre avec les scènes de ses plus grands films – une œuvre unique, à la poésie et à la beauté rares comme bien peu y parviennent, même avec bien plus de moyens.
L’année d’après, en 2003, il réalisa
Tokyo Godfathers, un film à la fois comique et poignant mettant en scène trois sans-abri qui découvrent en période de Noël un nourrisson dans des poubelles : tranchant de façon nette avec ses réalisations précédentes, ce film montra que
Satoshi Kon savait aussi manier le burlesque avec grand talent ; pourtant, c’est aussi le portrait sans concessions d’une face sombre du Japon moderne que bien trop de fans d’animes tendent à ne pas vouloir considérer…
Il revint à un thème plus sombre en 2004, avec la courte série TV
Paranoia Agent, une critique acerbe de l’industrie japonaise actuelle du divertissement et une dénonciation virulente de l’infantilisation dont elle afflige ses consommateurs – notamment par l’exploitation à outrance de tous les
goodies et autres produits dérivés qui inondent les magasins en entretenant ainsi l’addiction des spectateurs à des œuvres dont la portée reste bien trop souvent assez limitée…
Le retour au cinéma d’animation se fit en 2006, avec
Paprika, d’après un roman de cet auteur qu’il admirait tant, et depuis si longtemps :
Yasutaka Tsutui. Certainement son œuvre la plus aboutie, tant sur le plan artistique que celui de la réflexion, ce film nous plonge dans les méandres de l’inconscient et explore l’influence des rêves dans notre perception du réel à travers une réalisation sans faille où l’humour se mêle à l’angoisse avec une
maestria comme on aimerait en voir plus souvent.
Quant à son dernier projet, The Time Machine, il pourrait bien demeurer inachevé – mais un message posté par M. Kon sur son site web nous rassure : « Quand j’ai transmis mes inquiétudes pour Yume-Miru Kikai à M. Maruyama, il a répondu : « Ça va. Ne vous inquiétez pas pour ça, nous ferons tout ce qu’il faut. » Alors j’ai pleuré. J’ai pleuré à voix haute. »
Il a conclu ce message par deux phrases :
« Reconnaissant pour toutes les bonnes choses dont j’ai pu faire l’expérience dans ma vie, je pose ici mon stylo.
Maintenant je m’en vais. »
Autant de courage devant la Grande Faucheuse me laisse sans voix…