Le journaliste Raymond Cartier qui écrira un jour le fameux “La Corrèze avant le Zambèze” a été chargé de rédiger le grand éditorial de ce numéro exceptionnel de Match intitulé “De Gaulle devant l’Histoire” Nous livrerons ici, en plusieurs notes, des extraits de cet écrit. Il montreront bien sûr la vision que pouvait avoir le journaliste du “grand homme” mais aussi l’excellence du langage de l’éditorialiste.
Et puis celà nous changera un peu de l’époque grise en hommes …
Le cœur s’est arrêté de battre. Simple et sublime. Il avait battu avec ampleur, avec ferveur, parfois avec fureur. Il avait été, à certaines époques, le cœur même de la nation française prise dans les tourbillons de l’Histoire. Il cessa de battre et les yeux qui avaient regardé le destin en face, ne furent plus, devant l’écran lumineux de la télévision, que des choses mortes. La France n’en sut rien. Il y aurait eu, dans Plutarque, des présages, un deuil, un faire-part spontané du ciel.
De Gaulle, c’est l’œuvre et c’est l’homme. L’œuvre est offerte au jugement de l’Histoire et soumise à la libre appréciation de tous les esprits indépendants. L’homme est l’une de ces figures sans lesquelles il manquerait à l’humanité une dignité éminente. Ils apparaissent au fil des siècles. Ils ont, au milieu du commun des mortels, le même genre de dimension que les artistes primitifs donnent aux personnages principaux de leurs tableaux en s’affranchissant des règles de la perspective. Ils ne sont pas nécessairement des surhommes, au sens où l’entend Wilheim Friedrich Nietzsche exigeant qu’ils fussent soustraits aux règles de la moralité et affranchis de toute faiblesse et de toute compassion. Mais ils sont plus que des hommes. Le nom qui leur revient en vertu de l’étymologie, est celui de héros.
Charles de Gaulle n’était pas né dans la pourpre. Il ne sortait même pas d’une famille qui put en imposer par sa richesse ou par sa célébrité. Il fut un collégien, un Saint-Cyrien, un officier subalterne parmi des égaux. Cependant, dès ces époques insignifiantes, il se détacha comme une personnalité exceptionnelle dont le maintien, dont l’assurance, dont les certitudes produisent chez la plupart un effet paralysant. Il possédait déjà le premier secret des grandes réussites, qui consiste dans la considération de soi-même qu’on appelle l’orgueil. Il fut peu aimé dans les groupes où il vécut. Mais il est probablement sans exemple qu’il n’ait pas produit une impression ineffaçable chez ceux qui l’approchaient pour la première fois.