Voici un rappel de faits historiques à caractère politique, indissociables d'un personnage que l’on voudrait univoque et qui, semble-t-il, force l'admiration avec une complaisance aussi surprenante que déplacée.
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Le 9 septembre 1944, un gouvernement d'unanimité nationale est constitué sous la présidence de Gaulle jusqu’en janvier 1946.
1945 - Massacres de Sétif, Guelma et Kherrata : répressions sanglantes d'émeutes nationalistes dans le département de Constantine, en Algérie française.
8 mai 1945 : fin des hostilités et la victoire des Alliés, un défilé est organisé. Les partis nationalistes algériens, profitant de l'audience particulière donnée à cette journée, décident par des manifestations d'abord pacifiques de rappeler leurs revendications patriotiques. Un policier tire sur un jeune Algérien tenant un drapeau de l'Algérie et le tue, ce qui déclenche des émeutes entre Algériens et Européens, avant que l'armée n'intervienne.
Il y aura parmi les Européens plus d'une centaine de morts et autant de blessés.
Après l’intervention de l’armée, en représailles, le nombre des victimes autochtones (algériennes), est difficile à établir aujourd’hui encore ; les autorités françaises de l'époque fixèrent le nombre de tués à 1 165 ; pour les historiens, le nombre varie de 8 000 à 15 000 victimes.
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Le 29 mai 1958, René Coty fait appel à Charles de Gaulle qui deviendra ainsi le premier Président de la Vè République.
Guerre d'Algérie : dès 1959, de Gaulle en revient à une solution classique de répression militaire ; jusqu'à l'hiver 1961/62, il choisira de poursuivre la guerre, au prix d'un accroissement de l'usage de la torture. Jusqu'à la fin de 1961, la lutte contre le FLN est menée avec autant de vigueur, et même davantage qu'auparavant : selon Constantin Melnik, conseiller spécial de Michel Debré chargé de coordonner les services secrets, il y eut environ 500 assassinats politiques entre 1958 et 1961.
Dans la nuit du 17 au 18 octobre 1961 à Paris, au lendemain de l'assassinat de policiers par des militants du FLN, une manifestation, interdite par les autorités françaises, fut organisée : les manifestants algériens protestaient contre le couvre-feu imposé en métropole aux ressortissants d'Afrique du Nord. Cette manifestation fut férocement réprimée. Selon l'historien Alain-Gérard Slama, le chiffre total est de l'ordre d'une centaine de victimes (jetés et noyés dans la Seine, pendus dans la forêt de fontainebleau). Le préfet de police Maurice Papon couvrira ses policiers, et le gouvernement... l'ensemble des fonctionnaires.
Quelques mois plus tard, le 8 février 1962, toujours à Paris, lors d'une manifestation interdite, huit manifestants « français » contre la guerre d’Algérie sont tués par les forces de police au métro Charonne, et un autre mourra à l'hôpital ; on retrouvera le même duo : de Gaulle et le préfet de police Maurice Papon.
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26 mai 1967 : grève et massacre en Guadeloupe : des ouvriers du bâtiment réclament 2% d’augmentation et la parité en matière de droits sociaux.
Alors que des négociations sont en cours, des CRS prennent position. Très vite, la tension monte. Les CRS lancent des grenades lacrymogènes pour disperser la foule et chargent à coup de matraques, de crosses et de pieds. Le massacre qui s’ensuit fera 87 victimes civils guadeloupéennes (Papon aurait-il été muté aux Antilles ?!) tués par des gendarmes et des parachutistes français.
Décidément...
A la lumière des tous ces faits tragiques, force est de constater que… tout comme Racine et Shakespeare - mais sans le génie de ces derniers.. de GAULLE TUE BEAUCOUP !
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En Mai 68 (1), au cours de la plus grande grève dans l'histoire du mouvement ouvrier français, on retiendra que l'on ne doit l'absence de bain de sang qu'à un Préfet de Police nommé Maurice Grimaud qui a succédé à Maurice Papon et à un Georges Pompidou, (sans oublier, côté étudiants, le fait que les parents des fils et filles de Mai étaient gaullistes), alors que le Général de Gaulle avait clairement fait savoir (on ne se refait pas, manifestement !) que la police ne devait pas hésiter à tirer sur les manifestants-grévistes pour rétablir l’ordre (se reporter aux mémoires du préfet Grimaud : En mai, fais ce qu'il te plaît).
Avec ces derniers événements…
Entre panique, incompétence et ignorance de cette France avec laquelle il n’hésitait pourtant pas à rebattre les oreilles du monde entier, ironie de l'Histoire, on ne pourra s'empêcher de penser au Pétain des années 40. En effet, de Gaulle a près de 80 ans au moment des événements de Mai : en juin, un vote de soutien tout relatif, lié au désir de l'électorat de retrouver un Etat fort, le maintiendra dans ses fonctions avant une démission précipitée dix mois plus tard ; démission sans gloire, dans une indifférence quasi ... générale ; de Gaulle n'étant déjà plus une solution d'avenir pour la société française (2).
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Haut en couleurs (celles de notre drapeau avec le rouge comme couleur dominante… celle du sang ?!), ce personnage « culte » semble forcer autant l'amnésie que l’admiration, et chez ses détracteurs, le dédain ; ceux d'une extrême droite qui, aujourd’hui encore, n’est pas loin de lui reprocher de ne pas avoir tué assez.
Aussi...
Il serait temps que l'Histoire reconnaisse les milliers de cadavres qui jonchent le parcours de cet homme équivoque à l’autoritarisme finalement bien moins éclairé qu’il n’y paraît (3).
Et si au royaume des imbéciles et des aveugles, les admirateurs et les borgnes sont rois, nul ne saurait nous empêcher de renvoyer dos à dos les uns et les autres pour mieux nous empresser d’emprunter d’un pas léger et confiant le chemin qui mène à un belvédère à la vue imprenable : celle des faits. Et pour peu qu’un kiosque à musique, non loin, nous propose une nouvelle interprétation d’un Chant des partisans qui, au sortir de la Deuxième guerre mondiale, méritait une autre postérité et d’autres hommes avec lesquels partager cet héritage…
On pourra, une fois encore, constater à quel point les héros d’hier voyagent mal dans le temps lorsqu’ils s’obstinent à vouloir encore, et contre toute raison, influencer son cours car, s'il faut savoir partir, il semblerait qu'il soit plus important encore de savoir ne pas revenir.
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1 - Au sujet de Mai 68, si ses fils et filles avaient été algériens, africains ou antillais, et si le passé nous est d’un enseignement quelconque, on doit malheureusement pouvoir légitimement penser que Pompidou aurait un peu moins insisté auprès de Gaulle pour qu’il n’y ait aucun bain de sang.
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2 - Certes, de Gaulle c’est... une certaine idée de la France mais... une idée de classe ou de race (comme on aurait dit dans les années 20 et 30) : son passé monarchiste - l’aristocratie et l’église.
Et si, sur un plan politique, de Gaulle a su se rendre indispensable tant en France qu'à l'étranger, et si ce Général a aimé cette France, Pinochet a très certainement lui aussi aimé le Chili, et Staline l’URSS ; et tous deux ont su se rendre tout aussi indispensables. Quant à la politique de non-alignement vis à vis des Etats-Unis, celle-ci n’était pas plus louable ou méritante que celle d’un Tito vis à vis de l’URSS.
3 - Personnage équivoque à l’autoritarisme finalement bien moins éclairé qu’il n’y paraît, en d’autres termes plutôt euphémistiques, il faut bien reconnaître que de Gaulle, qui était un militaire et qui l'est resté, a eu beaucoup de mal avec la liberté (surtout quand il s'est agi de celle des autres), la démocratie et la justice sociale (sous son régime, pas de redistribution des fruits d'une croissance pourtant record ; pour s'en convaincre, il suffit de se pencher sur la condition ouvrière avant Grenelle).
Et s’il lui est arrivé d’avoir une très haute idée de la France, c’était très certainement parce qu’il avait une très, très haute idée de lui-même et de la classe dont il était issu : une classe née pour diriger...
Devinez qui ou quoi ?!
Des oies, ou bien plutôt... pour rendre à de Gaulle les propos qui lui appartiennent : des veaux.