La France travaille à la convergence fiscale avec l'Allemagne. C'est François Baroin qui le disait. En juillet dernier, Nicolas Sarkozy avait publié une belle déclaration sur le sujet, ... hors sujet ? Mardi, le ministre du budget a donc rendu visite à son collègue allemand en début de semaine. De quoi s'agit-il ? La France souffrirait-elle d'un désavantage fiscal vis-à-vis de l'Allemagne ? En termes de résultats, notre voisin fait envie: une croissance double de la nôtre, une balance commerciale ultra-positive, des déficits moins importants et en réduction (4% du PIB contre 8,5%). Mercredi dernier, lors du point presse de rentrée de Luc Chatel porte-parole du gouvernement, ce dernier a expliqué que la coordination des politiques franco-allemandes pendant la crise avait permis à ces deux économies de mieux résister. Est-ce vraiment le sujet ?
Se rapprocher...
A Berlin, Baroin a expliqué : « Quelle que soit leur sensibilité politique, tous les Allemands sont d'accord, ou presque, pour affecter les surplus de recettes au désendettement. En France, non ». Le ministre est gonflé. La France jouit sans doute d'un accord plus large qu'auparavant sur la réduction des déficits publics. Le désaccord porte plus sur la répartition des efforts pour y parvenir. De surcroît, depuis 2002, tous les gouvernements de droite ont aggravé l'ampleur des déficits à des niveaux inégalés auparavant.
L'Allemagne fait envie, mais on ne se l'avoue pas : « On ne regarde pas avec envie, ni désir ni amertume » a justifié Baroin. Son chômage, hier à 5 millions, redescend sous la barre des 3 millions. En France, quelques ministres applaudissent à chaque frémissement positif du nombre de sans-emplois, alors que le chômage de longue durée, celui des jeunes, et le temps partiel contraint (avec la précarité qui l'accompagne) ne cessent d'augmenter. On oublie que les entreprises n'ont jamais autant recruté ... de CDD.
La reprise économique outre-Rhin s'est aussi révélée très forte : la croissance du PIB est attendue à 3%, soit plus du double de celle en France (1,4%). Il faut dire que l'économie allemande profite mieux des marchés extérieurs. L'économie française reste très dépendante de la consommation des ménages. Or, sur un an, le pouvoir d'achat des ménages français a reculé de 0,4%, d'après une étude récemment publiée par 60 Millions de Consommateurs.
Bref, on a peine à comprendre en quoi la fiscalité serait le facteur-clé du succès allemand. Comme le notait Reversus, l'économie allemande est hyperspécialisée, notamment vers les exportations de biens d’équipements, et ses cycles économiques sont plus volatiles qu'en France.
Masquer les hésitations françaises
En criant ainsi à la convergence fiscale, Sarkozy cherche surtout à masquer ses propres hésitations et à donner des gages.
Le 21 juillet dernier, profitant de la venue du ministre allemand des Finances pour assister à un conseil des ministres, Nicolas Sarkozy s'était fendu d'une lettre exhortant la France et l'Allemagne à travailler à leur convergence fiscale. Cette déclaration ressemblait autant à un appel au secours qu'à une opération de diversion.
Longtemps, Nicolas Sarkozy a publiquement répété l'exemple du fameux bouclier fiscal allemand, un exemple faux, mais auquel Sarkozy s'accroche chaque fois qu'il le peut. Il n'y a pas de bouclier fiscal en Allemagne (et d'ISF non plus). Les taux de prélèvements obligatoires sont très similaires entre les deux pays: 42,8 % pour la France et 39,5 % pour l'Allemagne. Mais les comparaisons sont malaisées.
Le plan de rigueur annoncé et mis en oeuvre par le gouvernement Merkel depuis le début de l'année est-il un modèle recherché en Sarkofrance ? 80 milliards d'euros d'économies et de hausses d'impôts sur 4 ans sont prévues. Tout y passe: augmentation des cotisations d'assurances-maladie et de l'assurance-chômage, création de nouvelles taxes sur le transport aérien et l'énergie nucléaire; réduction des forces armées (avec suppression du service militaire). Mais au final, ce plan de rigueur ne doit générer « que » 11 milliards d'euros d'économies annuelles. Le niveau des déficits outre-Rhin est nettement moins préoccupant qu'en France. Sarkozy souhaiterait-il taxer l'énergie nucléaire comme Angela Merkel l'a récemment annoncé ?
En France, le « plan de rigueur » est disparate, flou, mal assumé, voire contradictoire. On rogne sur des niches, fiscales ou sociales, sans dire encore lesquelles alors que le sujet est sur la table depuis près d'un an. On annonce ces coups de rabots mais on promet de ne pas augmenter les impôts. On met en exergue des mesures financièrement symboliques (comme le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, soit environ 500 millions d'euros par an) alors que les enjeux - 100 milliards d'euros à économiser - sont colossaux. On assure que les prélèvements obligatoires sont trop importants, mais on feint d'ignorer qu'une grosse partie d'entre eux - l'assurance maladie - n'est qu'un transfert: que la santé soit financée par cotisations publique ou souscriptions individuelles, elle a un coût.
En matière de régulation financière, l'Allemagne a été plus discrète mais plus active auprès de ses propres institutions. Mercredi, le ministre allemand des Finances a présenté le projet de taxation des banques, dont le produit, estimé à 1,2 milliards d'euros par an, servira à gérer leur risque prudentiel. Toutes les institutions de crédit ayant leur siège en Allemagne et surveillées la « Bafin », mais pas les compagnies d'assurances, sont concernés. Le projet de loi prévoit aussi la possibilité de nationaliser une banque au bord de la faillite, de la démanteler et de ne garder que les actifs jugés stratégiques.
« L'instauration de prélèvements sur les banques, assis sur leur bilan » avait été annoncée par la France, l'Allemagne et le Royaume Uni en juin dernier. L'Allemagne y travaillait depuis mars dernier. Mais la France, comme souvent en la matière, tarde. Primo, Christine Lagarde avait prévenu, le 22 juin dernier, que le projet français ne serait prêt qu'à l'automne, dans le cadre de l'examen de la loi de Finances. Secundo, les ambitions étaient plus modestes : Lagarde évoquait en juin quelques centaines de millions. Tertio, le gouvernement français a bien l'intention, à ce stade, de récupérer les éventuelles recettes de ce nouveau prélèvement pour financer ses déficits publics. En Allemagne au contraire, la taxe bancaire abondera un fond de stabilisation du secteur.
Au final, Sarkozy cherche à nous divertir. Après avoir un temps déstabilisé le couple franco-allemand en privilégiant une ouverture diplomatique tous azimuts (Union pour la Méditerranée, rapprochement franco-britannique, etc), le président français a changé son fusil d'épaule. Il n'a surtout plus le choix.
Cacher son impuissance
Mercredi, pour sa journée de rentrée, Nicolas Sarkozy recevait les ambassadeurs, pour la traditionnelle Conférence des Amabassadeurs, la 28ème du genre. Cet exercice est toujours savoureux. Sarkozy y plaida pour un « véritable gouvernement économique de l'Union », jugé « nécessaire et même indispensable ». En décembre dernier, le président français avait tout fait, avec d'autres, pour que l'Union se dote d'un président insignifiant. Mais le voici qui rappelle désormais que « la France et l'Allemagne ont fait des propositions ambitieuses », « que nous allons mettre en oeuvre prochainement. » Le chef de Sarkofrance fait référence au compromis, minable pour lui, qu'il a du avaler/accepter en juin dernier.
On se souvient en effet du clash franco-allemand, en juin dernier, quand Angela Merkel souhaitait que l'Europe n'accorde des aides financières aux Etats nécessiteux qu'à condition d'un contrôle de leurs budgets. La chancellière n'en démordait pas, au point d'annuler à la dernière minute un dîner de travail avec Sarkozy à Berlin. Le président français voulait, lui, institutionnaliser davantage l'eurogroup, avec un secrétariat permanent, voire une présidence tournante qu'il se voyait bien assumer. In fine, Nicolas partit à Berlin et ravala ses grandes idées. Angela avait eu raison de son projet de gouvernance économique. Il fut même contraint d'accepter le principe de sanction (sous forme de privation de droits de vote au Conseil européen) contre les Etats européens aux finances défaillantes. On comprend mieux les belles déclarations sur la convergence fiscale !
Pire, depuis des mois, la Commission européenne émet des doutes récurrents sur la faisabilité des promesses de redressement budgétaire émises par le gouvernement français. Il faut dire que Sarkozy avait mal démarrer son mandat quand, à peine élu, il était allé réclamer (et obtenir) un délai supplémentaire d'un an pour rétablir le déficit français sous la barre des 3% du PIB. Trois ans et une crise plus tard, en juin dernier, le commissaire en charge des affaires économiques et monétaires avait critiqué les prévisions de croissance (2,5% dès 2011) et des rentrées fiscales du gouvernement Sarkozy.
Aujourd'hui, l'objectif premier n'est donc finalement que de recouvrir un minimum de crédibilité, tant vis-à-vis de l'Allemagne que des marchés financiers et des agences de notation. Et quoi de plus efficace que de s'afficher le plus près possible du grand gagnant européen de la reprise mondiale. Le véritable message de François Baroin, à Berlin, était que la Sarkofrance était décidée à mener une cure d'amaigrissement...