Chaque fin d'été, à l'heure de ranger les serviettes de plage ou de redécouvrir les 357 courriels qui polluent votre boîte (dont 42 vous expliquent que "your mailbox is over size limit"), on se demande vaguement si c'est la rentrée : on circule encore à peu près bien à Paris, on ne fait pas trop la queue à la cantine.... Bref, on est dans un entre-deux qui dure la dernière semaine d'août.
Un critère détermine ce qu'est la rentrée : non, je ne parle pas des universités d'été des partis politiques (qu'allez-vous chercher?), mais du discours du PR aux ambassadeurs. Et le géopolitologue le scrute avec attention, d'autant que le site de l'Elysée a repris la bonne habitude de mettre rapidement le texte en ligne, sans se croire obligé de nous infliger la longue retransmission vidéo en ligne (les géopolitologues sont paresseux et, surtout, n'ont pas beaucoup de temps). (billets de 2009 et 2008)
Que nous raconte donc cette édition ?
1/ Que l'introduction un peu pompeuse ("Il est des moments de l'Histoire où le sort hésite entre le meilleur et le pire. ") annonce bien le plan en trois partie (arc de crise, Europe, G 20) avec pourtant un passage digne des journalistes sportifs ("si nous ne sommes pas capables de jouer collectif ") que je conseille d'éviter aux candidats.
2/ Première partie qui commence par "la lutte contre le terrorisme", le long d'une "chaîne continue liant les bases terroristes de Quetta et du Sud-afghan à celles du Yémen, de la Somalie et du Sahel". L'Iran recevra un traitement particulier, on y reviendra. Sur l'Afghanistan, je note la mention "des calendriers artificiels" : artificiels ? n'est-ce pas là une critique indirecte de la ligne américaine qui annonce le début d'un retrait en 2011 (ligne Gate) ? ou s'agit-il d'un soutien au général Petraeus qui a suggéré que cette date n'était pas inéluctable ?
3/ Je note également l'insistance sur le cas Somalien et les milices Shebab : "Leur victoire à Mogadiscio transformerait la Somalie en base de départ d'Al Qaïda. Elle achèverait de déstabiliser toute une région déjà fragilisée par les déchirements du Soudan. " Cela me paraît nouveau, et je crois qu'il y a là une inquiétude, et qu'on n'a pas fini, cette année, d'évoquer la Corne de l'Afrique.
4/ L'Iran, donc : tout d'abord, le PR rappelle sa ligne dure d'il y a un an et qui a finalement été suivie par ses partenaires. Du coup, il peut appeler à la négociation, "mais des négociations sérieuses, concrètes, allant au cœur du sujet". A défaut, "si un accord crédible ne pouvait être conclu, alors l'isolement de l'Iran s'accroîtrait inexorablement. Face à une menace qui se préciserait, il faudrait aussi nous organiser pour protéger et défendre les Etats qui se sentiraient menacés" : voici une nouveauté qu'on n'avait pas remarquée jusque là, l'extension d'une sorte de garantie ou d'accord de défense, certes dans la continuité du LBDSN (qui nous emmenait aux bords de l'Océan Indien) et de la création de la base d'Abu Dhabi (l'IMFEAU) : il reste que cette phrase prépare les esprits.
5/ pour le Proche Orient, notons tout d'abord la volonté de distinguer cette crise du reste de l'arc (décidément, je suis sceptique avec cette notion vague d'arc de crise), et cette phrase un peu sceptique : "un accord de paix, dont tout le monde connaît les paramètres, peut être signé dans le délai d'un an".
6/ La deuxième partie évoque l'Europe, finalement pas si impuissante que ça, malgré le défaitisme ambiant (la crise grecque) et nous ne pouvons que suivre le président quand il affirme "comme toujours, l'Europe a surmonté ses difficultés ".
7/ J'ai bien sûr été très attentif au passage sur la sécurité. après la mention de la "dissuasion nucléaire", "les Européens prennent du retard, alors qu'il leur faut aussi participer à la sécurité des mers, essentielle pour notre commerce, à celle de l'espace et, désormais, du cyber-espace" : voici les thèmes émergents qui sont présentés comme des voies de progrès, sans qu'on sache quel cadre les accueillera (UE ou Otan). S'agissant de l'alliance, on note qu'elle doit "dégraisser ses structures" (sic) et "mieux coordonner action militaire et action civile" : voici qui énonce la ligne française lors du prochain sommet de Lisbonne.
8/ La dernière partie évoque le G 20. Les commentateurs s'en sont régalé, à cause de la présidence française et de l'instrumentalisation prétée au président dans une perspective de campagne électorale. Je constate, en comparant avec les discours de l'an dernier, qu'on a abandonné la notion de G 14 et d'OME (org. mondiale de l'Environnement), que le climat qui était la priorité avant Copenhague reste un peu mentionnée (dans le cadre du G 20). Mais comme il faut bien dégager une ligne, on se propose trois objectifs : la réforme du SMI, celle du prix des matières premières, celle enfin de la gouvernance mondiale. Deux sujets économiques pour un politique, ce dernier ayant peu de chances d'aboutir. Le prix des matières premières (blé, pétrole, gaz) est un sujet intéressant : on verra ce qu'il sortira.
9/ Quant à la réforme du système monétaire, pourquoi pas ? toutefois, si le G5 (puis G7 puis G8) fut créé en 1975 à la suite de la décision de 1971 de non-convertabilité du dollar (le club des pays "riches" évoquait des problèmes économiques et monétaires), on comprend qu'on veuille assigner la même mission au G20 : à ceci prêt que la Chine, acteur majeur du nouvel environnement multipolaire, ne veut pas parler du Yuan et n'a pas l'air de considérer le G 20 comme très utile. Mais je dois être trop sceptique.
10/ C'est peut-être une des raisons qui amène le président à évoquer l'utilité du G8, justement. mais en le "recentrant sur les questions de sécurité et son partenariat avec l'Afrique." Sécurité ? mais alors, quelle valeur ajoutée par rapport à l'Otan ou la PCSD
11/ Quels sont les omissions du texte? Je note qu'on ne mentionne pas l'Union pour la Méditerranée, ni la Russie, ni l'Asie centrale, ni l'Amérique latine, ni le pôle nord....
Ainsi, comme toujours, un texte intéressant qui mérite surtout par sa comparaison. Il est très marqué par deux sujets : l'arc de crise (pour reprendre l'expression) et la gouvernance économique.
O. Kempf