Méroé, un royaume sous le sable (2/2)

Publié le 26 août 2010 par Gabrielsiven
Nous sommes paradoxalement mieux renseignés sur les périodes de Kerma et de Napata que sur celle de Méroé, les hiéroglyphes égyptiens étant alors abandonnés au profit d’une écriture autochtone phonétique, présentant deux formes, hiéroglyphique et cursive. Bien que déchiffrée au début du XXe siècle, cette écriture n’a pas encore été traduite. Nous pouvons lire les phrases, mais leur sens nous échappe, le méroïtique ayant disparu au cours du IVe ou Ve siècle sans laisser de descendance. L’étude des langues parlées de nos jours au Soudan et au Tchad permet toutefois de réaliser des progrès non négligeables.

1.
Stratégiquement placés le long du Nil, les royaumes kouchites successifs ont bénéficié des échanges avec l’Egypte puis avec la Grèce hellénistique et l’Empire romain. Plusieurs chefs-d’œuvre découverts lors de fouilles en témoignent : lampe à huile avec centaure sur l’anse, flacon en forme de tête de chérubin, statue porte-flambeau de Dionysos…Cadeaux diplomatiques, taxes douanières ou butin de guerre, ils enrichissent et influencent l’art méroïtique comme en témoigne la statue d’un roi archer en bronze recouvert de feuilles d’or, d’une stylisation raffinée et pleine de vie. L’art méroïte fait cependant le tri dans les influences qui lui parviennent. Une céramique très épurée, à motifs blancs sur patine noire, se maintient tout au long de la période à côté d’une céramique plus sophistiquée, influencée par le monde hellénisé (polychromie, rinceaux de vigne…) y compris chez les classes les plus aisées. De même en matière religieuse. Si Dionysos semble avoir retenu l’attention des souverains, comme, peut-être, Zeus Hélios, il semble qu’il faille l’attribuer à des similitudes avec des cultes déjà installés (respectivement Isis/Osiris et le dieu autochtone Masa) plutôt qu’à un attrait pour les nouveautés religieuses.
Au sommet du panthéon méroïte figurent Amon, dieu dynastique d’origine égyptienne, dont le nom se retrouve chez celui de nombreux souverains, et Apedemak, dieu-lion autochtone luttant contre les forces du Chaos. La relation entre le roi et Apedemak est étroite, la mission du monarque étant de sauvegarder l’intégrité de son territoire, condition primordiale à la prospérité du royaume. De dieu guerrier terrassant des nuées d’ennemis, Apedemak passe ainsi à son second rôle, celui de dieu nourricier. Des statues de lion ont été retrouvées aux abords des bassins aménagés pour collecter les eaux pluviales, assurant une double fonction de protection et de fertilité. Cet aspect permet de mieux comprendre les nombreuses scènes de triomphe et de massacre de prisonniers enchaînés, dévorés par des vautours, des lions ou encore transpercés de pieux, hampe pour l’étendard d’Apedemak. Symboliques et magiques, ces scènes visent à exalter et renforcer la puissance du dieu et du roi son serviteur, et non à illustrer des faits réels.
2.
Dieux nubiens et égyptiens plus ou moins réinterprétés semblent avoir formé à Méroé un ensemble homogène et original, qui conserve une bonne part de son mystère. Parmi eux la déesse Isis jouit d’une grande importance. La proximité du sanctuaire de Philae, à la frontière de la Basse-Nubie, a familiarisé très tôt les kouchites avec le culte de la « Grande Magicienne » considérée comme la mère symbolique du roi, représentant d’Horus sur terre. A l’instar d’Apedemak, Isis apparaît comme une pourvoyeuse de vie, pouvoir qui s’étend par-delà de la mort, en référence à son époux Osiris, qu’elle ramèna temporairement à la vie. La déesse apparaît en bas-relief sur les parois des chapelles funéraires des rois et de l’élite. Par glissement, le couple Isis/Osiris est associé, comme en Egypte, au phénomène de crue et décrue du Nil, qui en Nubie aussi permettait, conjugué à une courte saison des pluies, de pratiquer l’agriculture. Les eaux du Nil sont ainsi parfois présentes en contexte funéraire : les méroïtes les plus modestes se font enterrer avec une jarre de l’eau du Nil, disposée près de la tête du mort.
Les élites locales et la famille royale faisaient quant à elles édifier des pyramides précédées d’une chapelle permettant de réaliser des libations en l’honneur du défunt. La chambre funéraire se situait à l’aplomb de la pyramide, plusieurs mètres en dessous, creusée dans la roche. Comme en Egypte, le corps reposait dans un sarcophage. Avec l’affaiblissement progressif de l’empire de Méroé à partir du IIIe siècle, des pratiques anciennes comme le tumulus et la position recroquevillée du corps, genoux ramenés vers le menton, réapparaîtront.
Au début de notre ère, la voie nilotique perd peu à peu de son importance au profit de la mer Rouge, entraînant l’affaiblissement de Méroé au profit du royaume abyssin d’Axoum qui contrôle cette zone. Les tribus nomades noba et nobades finissent par envahir Méroé, tout en préservant l’apparence de certains rites. On adore encore sporadiquement Amon à la fin du IVe siècle, alors que l’empereur Théodose proclame le christianisme religion officielle de l’Empire romain en 380 puis interdit les cultes païens en 392. Ainsi s’achève la seconde vie, africaine, des dieux et rites égyptiens, au-delà de la première cataracte du Nil. Il faudra attendre le XIXe siècle pour que l’essor de l’archéologie leur en offre une troisième.
L'exposition "Méroé, un empire sur le Nil" se tient jusqu'au 6 septembre 2010 au musée du Louvre ( aile Richelieu).
Pour en savoir plus :
Méroé, un empire sur le Nil , catalogue de l’exposition sous la direction de Michel Baud, Musée du Louvre Editions, 2010.
Le dossier thématique consacré à l’exposition sur le site du musée du Louvre.
Photographies issues de Connaissance des Arts n°681 :
1. Temple d'Apedemak (à gauche) et "kiosque romain" à Naga, Ier siècle.
2. Temple d'Apedemak à Moussawarat es-Soufra, défilé des dieux sur le mur extérieur, IIIe siècle av. J.-C.