La démocratie directe permet de débattre de sujets de société que les élites, dans leur ensemble, refusent même de considérer comme des sujets de débat. Ce sont souvent des débats de société qui intéressent au premier chef les peuples et que les élites balayent d'un revers de la main. A tort.
Il en est ainsi de la peine de mort qui a été abolie dans la plupart des pays sans que les peuples n'aient leur mot à dire. Elle a toutefois été rétablie dans un certain nombre d'Etats des Etats-Unis par voie de référendum. Ce sont bien les seules exceptions que je connaisse.
Le dépôt en Suisse, le 4 août 2010, d'une initiative intitulée "La peine de mort en cas d'assassinat en concours avec un abus sexuel" ici a eu pour effet de faire sortir du bois les fameuses élites. Elles ont poussé des hurlements quand la Chancellerie fédérale, après un examen préliminaire effectué le 10 août 2010, a publié dans la Feuille fédérale en date du 24 août 2010 ici que cette initiative répondait formellement aux exigences de la loi et que le recueil des signatures pouvait commencer.
Que demande précisément cette initiative ?
Que soient modifiés les alinéas 1 et 3 de l'article 10 sur le droit à la vie, en introduisant notamment la phrase suivante à l'alinéa 1 :
"Quiconque commet un meurtre ou un assassinat en concours avec un acte d'ordre sexuel sur un enfant, une contrainte sexuelle ou un viol perd le droit à vie et est puni de mort."
Que soit ajouté à l'article 123a un quatrième alinéa libellé en ces termes :
"Quiconque commet un meurtre ou un assassinat en concours avec un acte d'ordre sexuel sur un enfant, une contrainte sexuelle ou un viol est exécuté indépendamment de toute expertise ou des connaissances scientifiques. La Confédération exécute la peine capitale. L'exécution capitale a lieu dans les trois mois qui suivent l'entrée en force de la condamnation. Le tribunal fixe les modalités et la date de l'exécution capitale."
Que soit ajouté un chapitre 8 à l'article 197 sur les dispositions transitoires, qui dirait :
"Les art. 10, al. 1 et 3, et 123a, al. 4, concernant la peine de mort entrent en vigueur dès que le peuple et les cantons les ont acceptés. Ils sont applicables aux infractions commises avant leur entrée en vigueur dont le jugement n'est pas encore passé en force à cette date; les dispositions contraires de traités internationaux ne sont pas applicables."
Il s'agit donc, il est vrai, de crimes particulièrement odieux. Mais le refus de toute expertise ou de connaissances scientifiques, qui permettraient d'empêcher l'exécution, est, même si par hypothèse on admet que la peine de mort n'est pas un sujet tabou, une disposition exorbitante. De plus le délai de trois mois est court et ne permettrait aucun recours.
Ce qui est choquant également, c'est le caractère rétroactif du chapitre 8 de l'article 197.
Je ne suis pas en revanche choqué par la petite phrase suivante, en elle-même: "Les dispositions contraires de traités internationaux ne sont pas applicables."
Sauf en la matière, puisqu'elle vise des dispositions, pour une fois sensées, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la Convention européenne des droits de l'homme. Mais il est d'autres cas où cette petite phrase, qui sent bon la liberté, prendrait certainement tout son sens...
Face à cette initiative il y a au moins deux attitudes, je ne parle évidemment pas de celle des partisans inconditionnels du rétablissement de la peine de mort.
Il y a ceux qui estiment que le sujet de la peine de mort est tabou, qu'il ne faut même pas en discuter et que le peuple n'est pas compétent pour se prononcer dessus. Cette attitude réflexe est celle par exemple de Robert Badinter qui déclare à L'Hebdo de cette semaine ici :
"Cette initiative déshonore les Suisses.[...] Vous vous rendez compte que votre pays est un exemple, un modèle pour beaucoup d'autres et que, s'il se lance dans ce débat, il va réveiller les vieux démons ailleurs en Europe et dans le monde."
Il y a ceux qui estiment, tout en frémissant, qu'il n'y a pas de sujet tabou et qu'il ne faut pas invalider le texte. Tel Pascal Décaillet qui écrit le 20 août 2010 ici :
"Nous apprenons aujourd’hui qu’en Suisse, un comité d’initiative veut rétablir la peine de mort, abolie en 1942 dans notre pays. Auront-ils les signatures ? Je gage que oui. Faut-il invalider le texte ? Evidemment, non. Que voteront le peuple et les cantons, un certain dimanche, dans quelques années ? Rien que d’y penser me fait frémir. Je n’ai pas la réponse, évidemment. Mais juste l’ombre du frisson. Comme un voile noir. Comme si l’Histoire ne servait à rien. Comme si tout, chaque fois, était à recommencer."
En effet, en Suisse, la peine de mort a été abolie en 1942 pour les délits civils et en 1992 pour les délits militaires. Et la dernière exécution remonte à 1944. Une éternité.
Pour aboutir cette initiative devait recueillir 100'000 signatures d'ici le 24 février 2012. Si elle avait abouti, sa validité aurait été soumise alors au vote du Parlement.
J'écris tout cela au passé. En effet, le lendemain de la publication de cette initiative mal ficelée, qui collait trop à un drame personnel ici pour avoir une portée générale, les initiants l'ont retirée ici . Le débat sur la peine de mort aura donc fait long feu.
La morale de cette histoire? Cette initiative aura montré où se situaient les vrais démocrates...
Francis Richard
La photo illustrant cet article provient du magnifique film de José Giovanni, Deux hommes dans la ville.