"Ce n'est pas un rêve et c'est trop oppressant pour être un cauchemar. Cela doit être un souvenir.
Ici, près du Jourdain et du Tizza, le problème ne devrait pas être l'eau, mais, en Cisjordanie, le problème est toujours l'eau. Il y a des sources dans les montagnes, des puits dans les vallées, des rivières souterraines, des captages, des aqueducs, des citernes, portant l'eau ne manque pas moins qu'ailleurs, mais pas à tout le monde: Les Israéliens en consomment chacun quatre cent litres par jour, les Palestiniens quatre-vingts. Ce n'est pas que les Palestiniens ont moins besoin d'eau, c'est que les Israéliens se comportent comme s'ils vivaient en Europe, les citadins surtout, mais pas qu'eux. Dans les territoires occupés, les colons consomment le double de leurs concitoyens des villes; ils cultivent et ils arrosent beaucoup. Les Palestiniens cultivent peu; en zone rurale, ils pratiquent plutôt l'élevage par petits troupeaux de moutons et de chèvres. Pour certains, c'est l'unique source de revenus. Pour beaucoup, cela couvre à peine les besoins alimentaires. Pour tous, c'est une activité qui décline d'année en année, au fur et à mesure que se complique l'accès à l'eau.
Le réchauffement climatique n'est certes pas étranger à la sécheresse croissante, mais le souci des éleveurs palestiniens est ailleurs, quoique peu éloigné, très exactement à portée de fusil. C'est un souci barbelé, muré, tyrannique et vindicatif, arrogant jusqu'au ségrégationnisme, armé jusque dans son lit, et protégé par des blindés qui ne sont jamais bien loin, par des missiles qui volent bas, par des contrôles qui n'en finissent pas. C'est un souci qui paie le mètre cube d'eau sept fois moins cher que tous les Palestiniens pour ses cultures et presque deux fois moins cher pour son usage domestique, et qui ne connaît pas de coupures arbitraires d'alimentation. Dans le village où Naïs s'est réfugiée, l'eau coule quand elle coule, quelques heures par semaine, et un handicapé se tient toute la journée à côté de la vanne principale, la main sur le conduit, pour donner l'alerte quand l'eau circule ( de nuit, c'est l'instinct et l'agitation des bêtes qui réveillent les villageois).Naïs est arrivée furieuse, avec l'idée que se mettre au vert la calmerait. Quatre jours après, sa colère ne retombe pas. Depuis qu'elle est entrée dans les territoires que contrôle Israël, elle ne croise que haine, cruauté, souffrance, iniquité, peur, lâcheté et l'inévitable ineptie qui rend tout ça possible. Au nom de Yahvé, au nom d'Allah, au nom de la liberté, de la sécurité, de la propriété du sol, de la propriété tout court, de la loi du talion, et même au nom de la paix.Elle est entrée par le Liban, elle est descendue par Haïfa et Tel-Aviv où elle a séjourné chaque fois quelques jours, elle a passé une semaine à Jérusalem et deux dans la Bande de Gaza. Partout, Tsahal. Partout en armes. Patrouilles, contrôles, barrages, frappes punitives, frappes préventives, démonstrations de force, arrestations, enlèvements, déplacements de population. Tsahal est une junte militaire furtive qui exerce la répression et l'oppression avec la même absence de scrupule que les moudjahidine lui offrent ses enfants en martyrs.L'armée cible trop large, la résistance frappe à l'aveuglette, toutes deux s'exhibent dans leurs propres rues pour que la guerre soit omniprésente et que les pacifistes des deux camps ne leur pondent pas de négociations dans le dos. Les peuples pleurent ou tremblent, l'un est fébrile, l'autre est exsangue. Beaucoup n'ont plus pour mémoire que des écritures qui ne sont pas l'histoire et qui leur font oublier les tourments qu'elles leur a infligés. Et Naïs se demande si d'autres, les plus cyniques, ne jouent pas de l'histoire comme d'un piano de cuisine.A Jabaliya, elle a rencontré un Ecossais qui lui a dit:"-Ce que nous faisons subir aux Palestiniens ressemble à s'y méprendre aux horreurs commises par les Anglais en Irlande pour briser toute vélléité de rébellion.Il expliquait ce "nous" par se judéité et son sentiment de responsabilité pour ce qui se produit au pays de Canaan depuis que la Knesset a entrepris de l'annexer dans son intégralité au nom des tribus d'Israël qui l'on conquit par le nettoyage ethnique (chapitres 1à12 du livre de Josué) . Il a été tué sur la Terre promise le lendemain, fauché par un éclat d'obus israélien pendant qu'il portait secours à une famille palestinienne coincée sous les décombres du bombardement de la nuit.../..."
-extrait de Résurgences- Thriller de Ayerdhal-Editions: Au Diable Vauvert
"Cette blessure
Où meurt la mer comme un chagrin de chair
Où va la vie germer dans le désert
Qui fait de sang la blancheur des berceaux
Qui se referme au marbre du tombeau
Cette blessure d'où je viens
Cette blessure
Où va ma lèvre à l'aube de l'amour
Où bat ta fièvre un peu comme un tambour
D'où part ta vigne en y pressant des doigts
D'où vient le cri le même chaque fois
Cette blessure d'où tu viens
Cette blessure
Qui se referme à l'orée de l'ennui
Comme une cicatrice de la nuit
Et qui n'en finit pas de se rouvrir
Sous des larmes qu'affile le désir
Cette blessure
Comme un soleil sur la mélancolie
Comme un jardin qu'on n'ouvre que la nuit
Comme un parfum qui traîne à la marée
Comme un sourire sur ma destinée
Cette blessure d'où je viens
Cette blessure
Drapée de soie sous son triangle noir
Où vont des géomètres de hasard
Bâtir de rien des chagrins assistés
En y creusant parfois pour le péché
Cette blessure d'où tu viens
Cette blessure
Qu'on voudrait coudre au milieu du désir
Comme une couture sur le plaisir
Qu'on voudrait voir se fermer à jamais
Comme une porte ouverte sur la mort
Cette blessure dont je meurs" -Léo Ferré-