Festival: EHD 2006, Part 2

Publié le 10 mai 2007 par Strogoff
Puis après les gares qui nous laissèrent un arrière goût de ouais bôf, pas grand chose à voir de plus qu'on n'aurait déjà vu (surtout la dernière), on s'est dit (également de concert) qu'on se ferait bien le couvent de Ste Agnès, d'autant plus que depuis les quelques années que j'habite ici, je ne m'y suis encore jamais rendu, c'te honte! Nous engageâmes donc un pas décidé en direction de "na Františku" qui se trouve à proximité raisonnable de la gare du président "Masaryk".
Klášter sv. Anežky České, Anežská 12, čp. 811 - 814, Praha (le couvent de Ste Agnès de Bohême)
Le couvent de Ste Agnès mérite vraiment une visite. Il est non seulement le plus ancien édifice gothique de Prague, mais de toute la Bohême. Sa fondation remonte à la première moitié du XIII ème siècle (vers 1233 ou 1234), sous l'impulsion du roi "Václav I." dont la frangine Agnès ne cessait de casser les oreilles qu'elle en voulait un (de couvent), pour y établir l'ordre des clarisses (avec du poil aux cuisses) dont elle était la mère abbesse (avec du poil aux f...), enfin on dirait plutôt la mère supérieure en bon Français. "Oui, tu comprends Václav, vous les hommes z'avez les guerres, le pouvoir, l'alcool... enfin vous ne manquez pas d'amusement, alors que nous, les femmes, hein, qu'est-ce qu'on peut bien faire pour s'occuper toute la journée en dehors du tricot que tu ne portes même pas qui plus est parce qu'il fait trop froid au château? Alors je veux mon couvent, na!" Ouah l'autre eh, chuis scié, est-ce que t'as fini la vaisselle d'abord? Alors rapide parenthèse sur l'ordre des clarisses (aussi appelé l'ordre des Pauvres Dames).
L'ordre fut fondé en 1212 par Claire d'Assise (Claire Offreduccio di Favarone) à la demande de St François (d'Assise aussi) sur le principe de l'ordre franciscain (ou ordre des frères mineurs ,o.f.m., ordo fratrum minorum), dont il (St François) était le fondateur. "Ah ouais? Et c'est quoi ce principe des franciscains alors?" Pauvreté, prédication, prolétariat et aumône. Seconde parenthèse, entendez par prolétariat le sens premier du terme, à savoir condition du citoyen sans propriété, n'ayant d'autre bien que sa personne et non pas dans le sens de la théorie marxiste, travailleur appartenant à la classe sociale ne possédant pas les moyens de production et qui doit pour vivre vendre sa force de travail pour laquelle il perçoit un salaire et par laquelle il crée de la plus-value. Encore que... la citation d'Anatole France (L'île des pingouins) dans ce second contexte (marxiste) aurait parfaitement sa place même dans le premier (contexte): "Les prolétaires (moines) se montraient de plus en plus débiles d'esprit. L'affaiblissement continu de leurs facultés intellectuelles (...) résultait aussi d'une sélection méthodique opérée par les patrons (haut clergé + pape). Ceux-ci, craignant les ouvriers (moines) d'un cerveau trop lucide comme plus aptes à formuler des revendications légitimes (paiement des heures supplémentaires, promotions, voire mariage?)." Allez, on referme la seconde parenthèse, puis la première, et l'on en revient à notre couvent.
Il fut construit sur l'emplacement d'un hôpital, et se composait à l'origine de 2 bâtiments, le couvent des clarisses (femmes) et celui des frères mineurs (hommes). Signalons que le premier bâtiment (des clarisses) est également la plus ancienne construction en briques de tout Prague. Perpendiculairement et contre ce couvent se trouve l'église St François d'architecture gothique, composée d'une nef à 2 vaisseaux, longue de 6 travées, d'un chevet constitué d'une abside à 5 pans encadré de chapelles à fond plat sous 6 voûtes pseudo sexpartites et 4 voûtes quadripartites (je simplifie). L'apparence du choeur de cette église est pratiquement d'origine, en dehors des fenêtres... sauf une, sur le mur sud du vaisseau latéral. C'est la plus ancienne fenêtre gothique de toute l'Europe Centrale, reconnaissable à ses deux lancettes surmontées d’une petite rosace à trois lobes (vous n'pouvez pas vous planter). Toujours dans le choeur se trouvent des fragments de peinture datant des années 60 à 70 du XIV ème siècle. Signalons encore que le complexe nommé couvent de Ste Agnès se compose en fait de la précédemment mentionnée église, des 2 couvents également déjà mentionnés, d'une cuisine-réfectoire (construite entre 1245 et 1260), d'une chapelle Marie-Madeleine (pièce où vivait Ste Agnès en personne, mais transformée en chapelle après sa mort), d'une église St Salvator (ou Salvador? Construite entre 1270 et 1280), d'une chapelle Ste Barbara, d'une enceinte en bonne pierre de (bonne) taille et de la résidence particulière de la mère-abbesse (privilège de la fonction).
Et donc ce couvent fondé vers 1230 fut le premier édifice religieux de la branche féminine des franciscains au nord des Alpes. La construction dura pratiquement 40 ans sous la surveillance constante du pape (faut qu'il fiche son blaire partout celui-là) et de la famille royale des Prémyslides qui finançaient également ainsi leur tombeau familial. Puis il y eu les guerres hussites. Les clarisses furent chassées manu militari et le couvent tomba en désuétude, puis doucettement mais sûrement même en ruine. Sur une estampe de 1611 représentant l'invasion des Bavarois (de Passau) dans Prague lors des problèmes de succession entre le bon roi Rudolf II et son fumier de frère Matthias, l'on peut apercevoir l'église St Salvator sans toit. Le complexe fut utilisé comme entrepôt-stocke-fourbi, hôtel de la monnaie, puis fut envahit par les dominicains en 1556, bien contents d'irriter ainsi les franciscains (les 2 ordres ne s'aiment pas vraiment, c.f. il nome della rosa, le nom de la rose d'Umberto Eco). Le couvent des frangines sera l'objet de toutes les attentions, restauré en renaissance à partir de 1570, tandis que le couvent des frangins sera en partie vendu, en partie loué, mais plutôt délaissé. Apres la bataille de la montagne blanche (8 novembre 1620), en 1629, les clarisses reprendront possession de leur domaine, et après l'incendie de 1689, feront reconstruire leur couvent en baroque, puis en baroque tardif vers 1750. Mais pas de bol, en 1782 l'empereur Josef II fermera le couvent (comme beaucoup d'édifices religieux dans Prague), et fera utiliser les locaux comme range-nécessiteux, ou HLN (habitation à loyer nul). Le complexe faillit être totalement détruit au tout début du XX ème siècle dans le cadre du plus énorme plan de dévastation architecturale (mais sans doute nécessaire) intitulé assainissement de la vieille ville. Il ne doit sa survie qu'à l'insistante ténacité des membres de la "jednota pro obnovu kláštera blahoslavené Anežky" (société pour la restauration du couvent de la bienheureuse Agnès, elle ne fut sainte que plus tard, vous allez voir). Signalons pour l'anecdote, que lorsque les membres de la société pour la restauration... prirent les choses en main (entendez la restauration), ils trouvèrent dans les locaux du couvent une usine à chicorée. Signalons encore et toujours pour l'anecdote, qu'un autre bâtiment unique survécût à ce carnage à but prophylactique, la synagogue vieille-neuve dont la construction remonterait également au XIII ème siècle. Bref, retour au couvent. La vraie reconstruction commença dans les années 60 du XX ème siècle pour les besoins de la galerie nationale (j'en parlerai plus loin).
Bon, pis on ne peut pas parler du couvent de Ste Agnès sans parler de Ste Agnès en personne, la Sainte Patronne de la Bohême. Elle serait née le 20 janvier 1211 des suites du croisement naturel entre son papa, "Přemysl Otakar I." et sa maman "Konstancie Uherská" (Constance de Hongrie, en seconde noce), soeur de André II de Hongrie (dit le hiérosolymitain, du latin Hierosolyma, de Jérusalem) ce qui fait qu'Agnès est la cousine germaine de Ste Élisabeth de Hongrie, eh oui. Elle aura (entres-autres) un frère qui, comme son papa, sera roi, "Václav I." et un neveu qui sera roi aussi, "Přemysl Otakar II". Puis elle décèdera le 6 mars 1282, mais entre-temps, elle laissera quand même derrière elle une oeuvre bien remplie dont je m'en vais vous dire quelques mots.
Dès son plus jeune âge, la pauvre petite subît l'influence pesante de la religion. D'abord comme interne d'une abbaye cistercienne en Silésie (entre 3 et 6 ans), puis dans un couvent prémontré (du doigt). Ensuite l'on essaya de la marier comme il faut, parce que quand même, faut bien que ça serve à quelque chose une fille de roi, non? On essaya donc d'abord le Henry (numéro VII), fils de "Friedrich II", mais ça ne marcha pas, l'Henry en épousa une autre. "L'est pas drôle l'Agnès, fait rien que de prier et parler du bon dieu. Ca va vite devenir chiant toute une vie avec elle" aurait-il dit. Alors retour en Bohême pour Agnès en 1225, après avoir passé 6 ans en Autriche à la cour de Léopold VI pour apprendre les bonnes manières (autrichiennes?). Puis l'année suivante, on essaya de la refourguer à Henri III Plantagenêt (d'Angleterre). "Oui je sais Constance, il est Brit l'Henry, mais que veux-tu? Au moins il ne sera pas trop regardant sur la qualité de la viande" (eh oui, déjà) aurait avoué son père Otakar pour justifier un choix aussi impitoyable. Ben ouais mais non, parce qu'en 1229, Henry III rompit les fiançailles pour, semblerait-il, les mêmes raisons que l'autre Henry, le VII. Or ben justement, ce dernier alors marié à Margareth d'Autriche, commença de nouveau à s'intéresser à Agnès. "Certes, elle est chiante, mais elle a de belles fesses." Et bien que la principale concernée ne manifesta pas le moindre intérêt pour notre bougre, l'affirmation n'en tomba pas pour autant dans l'oreille d'un sourd mais dans celle du père, "Friedrich II" en personne qui, alors veuf, commença à reluquer sérieusement notre tendron. "J'en peux plus de tous ces foutres!" hurlait Agnès, "qu'on me foute la paix et qu'on me laisse me consacrer au bon dieu!" Et elle fut entendue, par son frère ainsi que par le pape Grégoire IX (né Ugolino di Conti) et Ste Claire d'Assise avec lesquels elle aurait entretenu des correspondances.
Elle va donc embrasser la carrière de clarisse, fonder un hôpital (1232), un couvent (1233), un ordre religieux, le seul ordre religieux vraiment tchèque, "řád křížovníků s červenou hvězdou" (l'ordre des croisés -ou chevaliers de la croix- à l'étoile rouge, Ordo militaris Crucigerorum cum rubea stella, ça ne s'invente pas, on sent déjà l'influence marxiste). En 1249, elle réconciliera le roi "Václav I." avec son bouillonnant et pubertaire fils (et futur roi) "Přemysl Otakar II." évitant ainsi une guerre civile. En 1252 elle sera à l'origine d'un l'hôpital et d'une église d'à côté du pont Charles. Elle aurait même sauvé la Bohême et la Moravie de l'invasion des Tatares (ou des Mongols?) à la suite de quoi elle aurait imposé aux clarisses le port de chaussettes thermolactyls en fibres naturelles anti-transpirantes (les historiens recherchent toujours le lien origine-conséquence entre les 2 évènements). A cause d'elle (ou grâce à?) le caveau des rois de Bohême se déplacera au couvent (il était auparavant en la cathédrale St Guy). Y sont enterrés le roi "Václav I.", sa première femme la reine "Kunhuta Štaufská" (Cunégonde de Hohenstaufen, parfois Staufer), "Kunhuta Uherská" (Cunégonde de Hongrie, parfois von Halitsch, seconde femme du roi "Přemysl Otakar II.") et même Ste Agnès. Mais elle n'y est plus, sa pierre tombale si, mais plus sa dépouille qui fut perdue après 1322, véridique.
Hop, anecdote. En cette année (1322), la ville de Prague (et tout le pays d'ailleurs) faisait face à une pluie incessante précédée par un été sec et à rides. Et comme à chaque inondation lors de la montée des eaux, les employés communaux avaient du pain sur la branche (et du vin sur la manche). "Bon, ben vous savez comment ça marche les gars, vous me déménagez les clarisses, les franciscains et tout le frusquin qui va bien, sans oublier les saints macchabs qui pourrissent dans le sous-sol." Les inondations terminées, les bâtiments asséchés, les clarisses repeintes et les franciscains dessoûlés, l'on remit tout en place. Mais comme le prouve un enregistrement d'époque conservé au "Klementinum" sur une bande en peau d'âne de Buridan, les préposés au rangement du copieux chambard se trouvèrent confrontés à un épineux problème lors de l'inhumation des sacs d'os:
L'un, devant un trou: "Tiens, passe-moi une Cunégonde."
L'autre: "Laquelle, celle qui sent le kolbász au paprika ou celle qui a de la choucroute entre les dents et un bock à la main?"
L'un: "Ben chais pas, c'est marqué en latin sur la porte."
L'autre de rajouter: "Et c'est pas la date d'arrivée qui va nous aider à les ranger dans les bonnes boîtes, dans le sale état où qu'elles sont les Cunégonde."
L'un: "Bon ben hein, on s'en fout après tout, du moment qu'on n'y met pas le barbu emballé dans l'écharpe 'Allez Slavia'."
Puis quelques minutes plus tard:
L'un devant le dernier trou: "Presque fini, alors passe moi la dernière, emballée dans l'écharpe 'Allez Louya'."
L'autre: "?! ben y a pas."
L'un: "Comment-ça y a pas?! Faut bien qu'il n'en reste un peu puisque ce trou là est vide, alors qu'il ne l'était pas quand on a creusé il y a quelques mois de cela!?"
L'autre: "Ben oui mais non, y a pas. Ou y a plus."
L'un: "Sacré nom di diou d'tonnerre de d'là, mais qu'est-ce qu'on va bien pouvoir faire maintenant? L'est quand même pas montée au ciel entre-temps (encore que ça se serait déjà vu)." C'est ainsi que la dépouille de Ste Agnès fut à jamais perdue, ce qui devint l'obstacle majeur à sa canonisation (vous verrez plus loin). Signalons aussi que le complexe subit durement les inondations de 2002, et vous pouvez voir sur mes photos, dans les couloirs du couvent, la hauteur d'eau qui se trouvait dans les bâtiments, mais fort heureusement, cette fois-ci rien ne se perdit.
Ste Agnès s'est donc éteinte le 6 mars 1282, à l'âge avancé pour l'époque de 71 ans. Elle aura consacré sa vie à aider, secourir, protéger, assister, défendre, conforter, nourrir, s'occuper des pauvres, des déshérités, des va-nu-pieds, des désespérés, des égarés, des affamés, des qui exhalent des pieds, des qui ont verrue sur nez, des miséreux, des laids preux, des pouilleux, des galeux, des tuberculeux, des mains-moiteux, des nécessiteux, des nidoreux, des rachitiques, des boulimiques, des anémiques, des lymphatiques, des tétraplégiques, des syphilitiques, des alcooliques, des crève-la-faim, des mendiants, des SDF, des moribonds, des chétifs et des malingres, des grabataires, des éclopés, des pèlerins, des sans plats pieds, des avec pieds plats, des ficients et des biles, des crétins q'ont géni tôt, des drogués toxicos, des qui ont mal aux dents, des qui n'en n'ont plus, des incontinents de la vessie, des impotents de la biroutte, des que ça leur gratte la fiasse, des qui fouettent du goulot au réveil, des qui n'se rasent pas le d'sous d'bras, des qui s'rongent les ongles, des rhinotillexomaniaques sur le périph... (j'espère que j'en n'ai pas oublié). Bref, la bonne sainte était l'amie de tous ceux qui fréquentent aujourd'hui la gare centrale de Prague (c.f. ma précédente publie). Vraiment dommage qu'elle n'ait pas vécu plus longtemps, parce qu'en ce moment il y a gras en besogne dans le social. Et compte tenu de son abnégation, désintéressement, honnêteté, altruisme, obligeance, amabilité, humanité, dévouement, affabilité, et de sa simplicité, tendresse, générosité, gentillesse, magnanimité, mansuétude, pitié, prodigalité, grandeur, sensibilité, serviabilité, tolérance, valeur, bienfaisance, miséricorde, philanthropie, bienveillance, candeur, charité, clémence, compassion... l'on voulu la faire sainte. Nombreux ont essayé, "Eliška Přemyslovna", son mari Jean de Luxembourg, leur fils, le bon roi Charles IV, même Léopold (I ou II, chais plus, 400 ans après les premières tentatives), mais les papes étaient hermétiques aux demandes et aux prétextes qu'ils n'avaient pas suffisamment de preuves tangibles prouvant miracle, martyre, guérison, et apparition, mais surtout parce qu'à l'instar du meurtrier, il ne peut y avoir de saint sans cadavre (ce qui somme toute a du sens, comment voulez-vous commercialiser les reliques sinon, eh?). Puis d'insistance en insistance, le cardinal "Bedřich Josef Schwarzenberg" réussît à faire béatifier Agnès en 1874 (par Pie IX), ce qui était déjà un bon début car il faut être bienheureux avant de pouvoir être saint. Et finalement Jean Paul II nous la canonisa quand même, l'Agnès nationale, le 12 novembre 1989, 5 jours avant la révolution de velours, sans plus de preuves ni de dépouille que 700 ans auparavant (comme quoi tout peut arriver, avec un peu de bonne volonté et de négociation).
Et n'oublions pas la necdote et les gendes qui entourent le couvent, l'Agnès, et tout l'fourbi qui va avec. La première est impressionnante de laconisme et de concision mais elle est connue de tout Praguois (ah, et pourquoi?). Lors des guerres hussites (c.f. ma publie sur "Jan Žižka"), le général en personne arriva aux portes du couvent à la tête de ses troupes afin d'accomplir son oeuvre dévastatrice à laquelle il se livrait assidûment depuis le début des évènements: pillage, massacre, incendie et totale destruction de tout ce qui était en rapport (parfois lointain) avec l'église catholique romaine. Ayant entendu sonner avec insistance, la mère supérieure alla ouvrir la porte du couvent, et aperçut "Jan Žižka". Eh bien rendez-vous compte, que la mère supérieure était la nièce de "Jan", qui du coup était son oncle, mais aurait pu être sa tante si... Dingue une telle coïncidence! Et grâce à ce lien de parenté, le couvent ne fut pas dévasté, parce que la nièce supplia à genoux son oncle de foutre la paix aux clarisses comme aux édifices. Et il le fit, avertissant cependant sa nièce que c'est la dernière chose qu'il ferait pour elle. Ensuite il remonta sur son cheval, et c'est tout. On ne sait rien d'autre. Ni s'ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants, ni si ses potes lui reprochèrent son attitude laxiste, faible, et molle du gland. On ne connait même pas le nom de la nonne, pour vous dire.
La seconde légende me déplaît également, parce qu'elle est totalement improbable. Tiens, écoutez-voir. Il était une fois le bon roi Charles IV qui voulait personnellement posséder un bout de la relique de St Nicolas qui se trouvait justement au couvent de Ste Agnès (pourquoi faire? La légende ne le dit pas). Un jour, tard le soir, alors qu'il faisait sombre et que les clarisses ronflaient dans leurs cellules, il alla donc au couvent, prit la relique (c'était un doigt de St Nicolas), et la trancha en 2 parties, la grande pour lui, la petite pour les clarisses. Mais le doigt se mit à saigner aussitôt, et le bon roi Charles IV reçut la peur. Alors il remit les 2 bouts ensemble et ils se recollèrent comme s'ils n'avaient jamais été séparés. Persuadé qu'il se fût agi d'une manifestation divine, il abandonna la relique sur place, et rentra au château pour terminer son plateau-téloche devant les feux de l'amour. Alors inutile de vous dire que c'est grotesque et absurde. D'abord parce que le bon roi Charles IV était honnête et droit comme la justice, ensuite parce que le couvent de Ste Agnès n'a jamais possédé la moindre relique de St Nicolas, et pour finir ce ne sont pas les feux de l'amour qui passent tard le soir à la téloche mais chasse pêche et nature.
La troisième légende se rapporte au couvent Ste Agnès, comme à n'importe quel couvent, abbaye, monastère, cloître, prieuré et même parfois château... Bref, c'est une histoire des plus banales de coeur brisé. D'ailleurs je ne sais même pas pourquoi je vous la mentionne, tellement elle est ordinaire. Alors il était une fois une jeune donzelle issue d'une famille aisée, qui tomba furieusement amoureuse d'un pauvre jeune bougre issu d'une famille de miséreux. Mais le papa de la jeune donzelle issue d'une famille aisée ne voulait pas qu'elle fréquente un pauvre jeune bougre issu d'une famille de miséreux. Alors il la mit au couvent de Ste Agnès en insistant qu'il fallait strictement lui interdire toute sortie, même accompagnée d'un chaperon, qu'il fût petit rouge ou grand bleu. Pourtant la friponne trouva un moyen de se faire belle avant de se faire la belle, et chaque soir de continuer à voir en cachette son pauvre jeune bougre issu d'une famille de miséreux. Ils allaient ensemble dans les champs avoisinants se compter fleurette. Colchique dans les prés, fleurissent, fleurissent... Mais un jour, le méchant papa l'apprit, s'embusqua non loin du couvent, puis il suivit les amoureux dans les champs. Et lorsqu'il vit qu'ils se comptaient fleurette... colique dans les près... il fut pris de diarrhée et assassina les 2 enfants. Depuis, le fantôme de la none occise se promènerait dans les couloirs du couvent de Ste Agnès. Bon, ben c'est vraiment banal non? Puis surtout qu'est devenu le fantôme du pauvre bougre issu d'une famille de miséreux, il ne se promène nulle part celui-là? Et puis on ne l'a pas vu, nous, le fantôme de la pauvrette quand on y était. Et puis aussi si c'est vrai, attends, c'est un argument commercial extraordinaire pour aguicher le touriste nanti.
Quant à la dernière, elle est légèrement plus croustillante, mais comme les autres, elle me laisse un sentiment de superficiel, d'incomplet et d'inexpliqué. Alors il était une fois une ancienne bourgeoise polonaise dépossédée de sa fortune (ça commence bien, tiens) qui arriva au couvent pleine de maladies de pauvre. Les clarisses la soignèrent, et une fois rétablie, elle voulut rester avec les clarisses car elle était toute seule au monde (et pauvre). "Bon, ben pourquoi pas après tout. On n'comprend rien à ce qu'elle dit, mais pour éponger le front des lépreux, ça devrait l'faire." Pour remercier les religieuses de leur gentillesse, elle leur divulgua le secret d'une extraordinaire potion qui avait le don de soigner les maladies, depuis les pellicules grasses jaunâtres, jusqu'au sida tuberculinique en phase terminale. "Vlaštovčí voda" (l'eau d'hirondelle) qu'elle s'appelait la fameuse potion, mais ne me demandez pas pourquoi, sans doute une mauvaise traduction du Polonais. Remarquez les Chinois fabriquent bien des nids d'hirondelle, alors pourquoi les Polonais ne feraient-ils pas de l'eau d'hirondelle? Ce qui est sûr, c'est que la potion fonctionnait, et les malades accouraient des 4 coins du monde pour se faire soigner (les varices par les clarisses). Sur son lit de mort, la vieille divulgua la recette de la potion à l'une des nonnes, lesquelles continuèrent à la fabriquer et à en faire usage. Lorsque le couvent fut fermé et les clarisses chassées (sous Josef II), l'une d'entres-elles s'établit dans la rue "Dlouhá" et continua à prodiguer les soins avec ce qu'il restait d'eau d'hirondelle. Mais la réserve s'épuisait, et plus personne ne connaissait le secret de sa fabrication, eh non. Puis un jour arriva à Prague un jeune étudiant en chimie polonais (c'est suspect), et lorsqu'il entendit parler de la potion, il se rendit chez la nonne, prétendit qu'il était de la famille de l'ancienne bourgeoise polonaise dépossédée, qu'il allait s'installer dans une mansarde au dessus de l'appartement de la clarisse, qu'elle devrait lui donner le dernier flacon de potion, et qu'il essaierait d'en trouver la formule (pas chiant le Polac). Pendant des nuits entières, il travailla dur affairé sur ses éprouvettes. Sa mansarde restait allumée parfois la nuit entière, puis un soir boum, badaboum, tout explosa, le Polonais, sa mansarde, ses éprouvettes ainsi que le dernier flacon d'eau d'hirondelle dont on ne revit jamais plus la couleur, même pas au printemps. Alors bien évidement, on peut légitimement se poser la question pourquoi la Polonaise est allée se faire soigner chez les clarisses alors qu'elle aurait pu se soigner toute seule avec son eau miraculeuse? Pis aussi pourquoi celle (des clarisses) qui reçut le secret de la formule de fabrication de la bouche de la mourante ne l'a-t-elle pas partagé avec une (ou des) autre? Et surtout, pourquoi ne l'a-t-elle pas vendu chèrement à un labo pharmaceutique? Et pourquoi des Polonais? Bref, on n'en saura jamais rien, pis on s'en fout aussi un peu parce que si ça se trouve, rien de cette légende n'a vraiment existé.
Et si déjà vous visitez le couvent, je vous conseille vivement, très vivement, de visiter la galerie nationale qui se trouve sur place. Parmi les pièces exceptionnelles du XIV ème siècle que vous pourrez admirer, se trouvent les chefs-d'oeuvres de celui que l'on nomme "mistr vyšebrodského oltáře" (le maître de l'autel de "Vyšší Brod", trou perdu en Bohême du Sud, près de "České Budějovice"), peintre anonyme dont l'oeuvre splendide consacre 9 tableaux à la vie du Christ, depuis l'annonciation (à la vierge Marie) jusqu'à l'envoie du St Esprit (sur terre), en passant par le service militaire dans la marine et la pêche au gros en Guadeloupe lors des grandes vacances. Chose tout à fait exceptionnelle selon les experts, la série de 9 tableaux peints sur bois serait complète, pas un seul panneau ne se serait perdu pendant ces 700 ans.
L'autre artiste auquel est consacrée une grande partie de l'exposition est "Mistr Theodorik" (maître Théodoric), le peintre attitré du bon roi Charles IV et l'un des rares dont on connait le nom mais pas l'origine. Selon certaines sources il serait Grec, selon d'autres Avignonnais, mais ce qui est avéré, c'est qu'il est l'auteur des quelques 120 tableaux de la chapelle de la Ste Croix (château de "Karlštejn") dont on pensait au XIX ème siècle qu'il s'agissait de copies du XVI ème tellement il semblait incroyable que l'on ait pu en conserver autant tout ce temps (et pourtant!). Certains tableaux ont cependant disparu. L'oeuvre s'intitule l'armée céleste du Christ et devait symboliquement protéger les joyaux de la couronne entreposés dans cette chapelle. Puis vous pourrez encore admirer "mistr Třeboňského oltáře", "mistr Michelské madony", puis des peintres du XV ème "mistr Svatojiřského oltáře", "mistr Puchnerovy archy", des Germains, "Lucas Cranach" (père & fils), "Albrecht Altdorfer"... jusqu'à l'unique Arche de St Georges, le premier tableau au monde où l'un des sujets peindus porte des lunettes.
Bon, ben voilà pour le couvent de Ste Agnès que je recommande vivement, ainsi que la galerie nationale qui se trouve dedans. Nous prîmes ensuite la direction de la chapelle Bethlehem où qu'il devait y avoir une visite du sous-sol et des caves.