Quel dommage que nous n'allons pas avoir Shakirah à l'inauguration présidentielle. Waka, waka. Ce serait une toute première pour notre société pro-parisienne de Port-au-Prince. Maintenant, avec la probabilité que quelqu'un aussi peu pop-ment excitant que Myrlande Manigat ou Jacques Edouard Alexis accède à la suprême magistrature, nous n'allons même pas avoir 50 Cent, pour ne pas parler de Will Smith. Nous voilà, en tant que peuple, retombés dans l'obscurité médiatique.
La débâcle ne s'arrête pas là. Pendant cinq longues années, les feus de l'actualité politique seraient restés fixés sur Haïti, non plus au moment d'une catastrophe naturelle ou d'un coup d'état, mais durant toute la durée de ce qui constituerait une première mondiale: l'accession d'un rapeur à la présidence d'une démocratie occidentale. La première république noire indépendante du monde engendrerait la première république rapeuse du vingt et unième siècle. Car, que l'on ne se fasse pas d'illusion, Haïti aurait de nouvelles coutumes qui verraient ses citoyens raper brr-brrr dans toutes les situations qui aujourd'hui demandent l'intervention d'un chant, comme à l'église pendant l'eucharistie, au cours de l'exécution de La Dessalinienne, et, bien sur, dans la pratique, malheureusement partiellement perdue, de chanter une ranchera sous la fenêtre d'une future dulcinée.
Haïti a perdu la possibilité de voir les panélistes des émissions américaines et françaises du soir et du dimanche discuter continuellement de la façon dont le Président-qui-ne-lit-pas-le-Français interprète les correspondances officielles des chefs d'état étrangers et les nouvelles lois votées par la législature, déposées sur son bureau en attente de sa signature.
Nos chers concitoyens vont manquer le délice de savourer le discours traditionnel du 2 Janvier, délivré du perron du Palais National (reconstruit), dans une langue nouvelle qui ne serait pas le Français, le Créole ou l'Anglais. Je suis en train de penser à l'Albanais, ou au Cantonaise.
Et puis, on se délecterait de savoir comment le Président avec un fond de connaissance différent de l'administration publique, des marchés monétaires internationaux, de la géopolitique, du réchauffement planétaire, des conséquences historiques de la désurbanisation, approcherait ces problèmes quand le lundi matin ils seraient discutés routinement au Conseil des Ministres. Des ministres qui bien sur, porteraient tous, la ceinture de leur pantalon à la hauteur de leurs genoux, découvrant leur sous-vêtements multicolores.
La constitution haïtienne ne stipule pas la complétion d'études supérieures, l'expérience administrative, ou la connaissance des langues nationales comme des pré-requis pour devenir Président de la République. Ceux qui l'ont écrite ont donné le bénéfice du bon sens aux candidats et aux électeurs. Et l'expérience de Wyclef, dont l'expulsion me dévaste personnellement, serait un test de bon sens collectif pour les Haïtiens.
Après le carnet remis à Wyclef, il n'y pas eu d'émeutes dans les rues de Port-au-Prince. Il n'y a même pas eu une protestation véhémente du rapeur-candidat, durant son entrevue de post-renvoi sur CNN. Wyclef, Hollywodien par commerce, posa sa candidature et bénéficia d'une publicité gratuite en prime time qui lui aurait couté des millions et des millions de dollars. On peut parier que la publicité faite autour de son nom a augmenté de manière marquante la vente de ses albums pendant cette parade politique. Le candidat malheureux ne va certainement pas avoir de soucis pour payer, argent comptant, les cinq cabinets d'avocats qu'il a engagés à Port-au-Prince.
Bien sûr, il aurait accepté la présidence si elle lui était délivrée. Mais quelle misère! Il découvrirait très vite que voyager par des routes défoncées pendant des heures pour aller couper un ruban d'inauguration d'une clinique locale dans la deuxième section rurale de Roche-à-Bateau n'est pas son idée d'avoir fun. Bien sûr, sous les caméras des télévisions internationales, on a toujours l'excitation et l'enthousiasme, mais les projecteurs et les commentateurs des télés haïtiennes sont différents en ce qui a trait à l'ambiance...
Wyclef n'a pas une idée qu'il est plus difficile aujourd'hui d'être Président d'Haïti que d'être Président des Etats-Unis. A la Maison Blanche, on a un staff qui connait le job, et loin de Pennsylvania Avenue, il y a une pluralité d'institutions établies qui ne font qu'attendre les ordres. En Haïti, les institutions sont ou bien inexistantes ou détruites, le Palais National est une pile de gravois, et peu de fonctionnaires suivent les instructions reçues. Une connaissance et une expérience, même embryoniques, en administration et en politique lui serait certainement très utiles pour reconstruire un pays depuis ses fondations.
A Havard, il y une Faculté de Gouvernement. Pendant les cinq prochaines années, Wyclef va passer le temps qu'il dispose entre deux concerts à acquérir un diplôme à cette faculté, et revenir pour les élections de 2015 solide comme Saint Roc.
Mais pour l'instant, la République d'Haïti a perdu l'opportunité historique d'être l'actrice principale d'un soap opéra de cinq ans dans toutes les médias du monde, qui verrait notre Président se démener, comme un beau diable dans un bénitier rapeur, avec les exceptions fiscales, les particularités onusiennes, et les règles de l'imparfait du subjonctif français. Ce serait embarrassant pour certains. Ce serait une bonne leçon pour les tenants de la classe politique qui doivent des explications sur les raisons qui expliquent qu'un rapeur qui vit à New Jersey a plus de crédibilité qu'ils n'en ont à l'intérieur des murs de Port-au-Prince.
Pour d'autres, c'est la chance perdue de voir de plus près, et beaucoup plus souvent, Shakirah, Shakirah, Shakirah, faire le Waka Waka sur les pelouses rénovées du Palais National. O divine Shakirah.
Pas de Wyclef, quel dommage.
(Odler Robert Jeanlouie, le dimanche 22 aout 2010)