Enterré, Sarkozy ? C’est la chanson qu’entonne la presse depuis quelques temps. Forcément, une telle ritournelle fait plaisir aux militants de gauche, plus habitués à lire des critiques sur l’archaïsme, la division, le manque de projet ou de « leadership » de leur camp. Alors quand les mouches médiatiques changent un peu d’âne …
Les sondages sombres pour la majorité se multiplient, tout comme les candidatures au sein de l’opposition. Alors qu’il y a un an le ton était plutôt à la recherche de convergences, il ne passe aujourd’hui plus un jour sans que n’apparaisse une nouvelle possibilité de candidature. Europe Écologie a intronisé Eva Joly avec tambours et trompettes, tandis que d’autres réclament des primaires vertes ; au PS, on compte pour l’instant en candidats putatifs DSK, Ségolène Royal, Martine Aubry, François Hollande, Manuel Valls, Pierre Moscovici, Gérard Collomb, George Frêche et désormais Jean-Louis Bianco; on ne voit pas pourquoi un tel fourmillement ne se reproduirait pas à la gauche de la gauche (Jean-Luc Mélenchon trépigne sur son blog), et j’ai reçu hier, signe qui ne trompe pas, une déclaration de candidature d’un militant par la CooPol. Après l’adhésion, va-t-on instaurer la candidature à 20 euros ? C’est une évidence : l’approche du pactole présidentiel, qui semble désormais à portée de main (4 candidats socialistes sont donnés en mesure de battre l’actuel président de la République), libère les ambitions et les individualités. Et si c’était justement cela, l’ultime piège de Sarkozy sur la route de 2012 ?
Nicolas Sarkozy garde un atout précieux dans sa manche : il est le seul à disposer d’une quasi hégémonie sur son camp politique. La situation à droite est simple : mis à part le FN, il n’y a pas d’alternative partidaire à l’UMP et à ses formations associées. La nébuleuse « républicaine » (Dupont-Aignan, Villepin) dispose certes d’un capital-sympathie et d’une forte présence médiatique, mais il ne semble pas qu’elle puisse à court ou moyen terme constituer une force aussi gênante pour l’UMP que peut l’être, par exemple, Europe Écologie pour le PS. Il lui manque une élection intermédiaire pour s’installer, des élus, et surtout une identité politique suffisamment clivante; François Bayrou, partant lui aussi d’une position d’outsider, avait fait un parfait hold-up à la présidentielle, certes, mais en s’appuyant sur un parti alors fort (l’UDF) et en trustant un positionnement (le centre) ; or il est difficile de dire ou de démontrer que l’UMP est en rupture complète avec un héritage gaullo-républicain dont Dominique de Villepin serait le seul défenseur – surtout quand elle vole au secours de Jacques Chirac. Nicolas Sarkozy s’apprête donc à faire campagne quasiment seul à droite, avec qui plus est un statut de président sortant, fortement légitimant. Il sera intéressant de voir, en outre, si l’étoile villepiniste ne commencera pas à se ternir quand ses sympathisants subiront la pression psychologique d’être le seul obstacle, à droite, au maintien de leur camp au pouvoir.
A gauche en revanche, il y aura compétition. Et une compétition, pour reprendre un terme à la mode, aussi « décomplexée » que les sondages seront au beau fixe. Avec un Sarkozy en posture de looser, et une gauche donnée gagnante à tous les coups, risque même de s’installer l’idée, insidieusement, que le vrai enjeu n’est plus de battre le patron de l’UMP, mais de savoir qui à gauche ira se tenir sous l’arbre pour être à la chute du fruit tout mûr de l’Elysée. La sortie d’Eva Joly sur la mise en examen de DSK donne un petit échantillon de ce à quoi on pourrait s’attendre comme amabilités entre équipes de campagne, porte-paroles et militants. Cela a été dit lors de leur université de rentrée : les Verts n’entendent pas leur candidature comme un geste de témoignage. On aura donc droit, des mois durant, au mitraillage en règle des candidats de gauche par leur propre camp ; jusqu’à l’automne 2011 au sein du seul PS, merci les primaires tardives ; jusqu’au jour de l’élection dans l’ensemble de la gauche, merci les cavaliers seuls. Le tout pouvant être aggravé par les individualités en lice : on n’ose imaginer la teneur des interventions d’un Jean-Luc Mélenchon, par exemple, en cas de candidature DSK pour le PS.
Et encore ne parle-t-on pas du programme. Dans la conjoncture actuelle, la succession d’affaires et le sécuritarisme musclé ont fait le jeu d’un antisarkozysme unanime, mais se situant d’abord sur le terrain des « principes » et de la « morale ». Il est facile de se mettre d’accord sur la condamnation des conflits d’intérêts ou des stigmatisations ethniques. Ça l’est déjà un peu moins sur les retraites, où l’on sent bien un flottement, chez certains, au sujet de l’âge légal à 60 ans. Qu’en sera-t-il quand on abordera l’Europe, la croissance/décroissance, le nucléaire ou encore le protectionnisme ?
En bref, on peut imaginer un scénario catastrophe où la gauche et l’opposition se trainent pendant deux ans dans d’interminables affrontements, procès d’intention, échanges de petites phrases – sans oublier un éventuel congrès du PS en cas de démission d’une Martine Aubry candidate – pendant que Nicolas Sarkozy « bétonne » son camp et construit un projet présidentiel sans réelle dissonance dans sa famille politique. C’est d’ailleurs ce qu’il a commencé à faire. Les sondages récents, souvent dramatisés dans leur présentation, montrent d’abord un Sarkozy qui entame une remontée auprès des catégories populaires, des professions intermédiaires et des sympathisants du Front National, et qui assoit sa domination sur le vote sénior. Le sondage de ce jour sur les démantèlements des camps de Roms est de même à prendre avec un peu de recul : je trouve inquiétant, pour ma part, qu’après plusieurs semaines de tir de barrage ininterrompu de la gauche, du centre, d’une frange de la droite, de l’Eglise Catholique et de la presse progressiste, une majorité relative de Français persiste à soutenir le chef d’Etat. Contre la quasi intégralité, donc, des leaders d’opinion du pays. Sarkozy entend probablement rattacher un à un les wagons à son train. La séquence sécuritaire visait les catégories de population citées plus haut ; le clivage « frontal » avec la gauche sur les retraites permettra de rattraper ses cadres et professions supérieures. On peut d’ores et déjà prévoir un geste envers les Catholiques, et surtout une continuation ultérieure de l’ouverture (lors du prochain remaniement ?), une fois son électorat classique rassuré. Bien sûr, quand toutes ces composantes auront été remobilisées, il restera peu de voix à récupérer entre un premier et un second tour. Mais une gauche ayant passé des semaines ou des mois à s’étriller peut pâtir de votes plus fragmentés que prévus au premier tour, et de transferts de voix moins larges, au second, que ceux qui apparaissent dans le sondage du Nouvel Observateur.
Et si les sondages mirobolants de cette fin d’été soufflaient donc d’abord aux différents partis de la gauche et de l’opposition l’idée de travailler, le plus tôt possible, à une unité précoce, et à un nombre réduit de candidatures face à celle du président sortant ? Si réellement la nature du pouvoir sarkozyste appelle un sursaut national et un arc républicain, alors il serait grand temps de mettre dans sa poche les intérêts partisans et de rassembler cette gauche que les Français disent vouloir voir gagner. Il y a un an, des initiatives dans ce sens avait été lancées. Il y a peu encore, Daniel Cohn Bendit soumettait l’idée d’une candidature unique en échange d’accords sur les législatives. Il n’est pas trop tard pour travailler à l’élaboration de ces primaires de toute la gauche qui seraient la meilleure façon de ne pas rater la belle fenêtre de tir qui s’ouvre en cette rentrée.
Romain Pigenel