La mort de l’écrivain et éditeur Jaime Semprun est passée inaperçue. C’était le 3 août 2010 et à ma connaissance, il n’y a guère que Jean-Luc Porquet, le chroniqueur du Canard Enchaîné, à lui avoir dit adieu comme il le mérite.
Peut-être le nom de Semprun vous dit-il quelque chose. C’est que le père, Jorge Semprun, est davantage connu, notamment pour un livre remarquable, Le Grand Voyage, qui est bien plus qu’un récit sur sa déportation. En parlant de ce qu’il a vécu, de la guerre d’Espagne à la Libération en passant par Buchenwald, il fait preuve d’un détachement métaphysique inouï. Chez lui, la révolte est si naturelle qu’elle n’a pas besoin de grands gestes. Au contraire, elle est calme et confiante.
Ironie des temps modernes, les rares magazines qui ont mentionné la mort de Jaime Semprun ont illustré leur nécrologie avec une photo de Jorge, le père…
Car il est vrai que Jaime avait choisi la discrétion, le refus de la télévision, s’attelant à publier modestement des oeuvres essentielles. Rassembler l’intégrale de Orwell, faire découvrir les oeuvres de Lewis Mumford, William Morris, Günther Anders et oser publier le manifeste du terroriste américain Theodore Kaczynski (Unabomber).
C’est que l’Encyclopédie des Nuisances, nom de la maison d’édition fondée par Semprun, avait le goût des livres qu’on range dans la case « mouvement anti-industriel« . Une critique de la société très peu connue en France, qui s’interroge sur la technologie et qui par conséquent, souffre d’une image passéiste voire obscurantiste.
Il faut reconnaître les immenses qualités du travail effectué par Semprun. D’abord sur la forme, les livres sont de vraies merveilles. J’ai appris grâce à Porquet que le « grain» de ces ouvrages était dû au fait que Semprun utilisait les dernières imprimeries avec linotype et caractère en plomb. Bizarrement, pour ce genre d’artisanat, les prix étaient plutôt bas. On est donc pas dans l’intellectualisme chic. On est dans l’intellectualisme honnête et sans concession.
Sur le fond, quasiment tous les livres que j’y ai lus étaient d’une rare qualité. Evidemment très grincheux, très neurasthénique, très révolté, très pessimiste. Je dirai « malsain mais salutaire« .
A ce propos, je me suis dit qu’il était paradoxal que le mot « lucidité» avait pour étymologie « lux» (lumière) là où elle amène plutôt la noirceur…
Ainsi, pour faire des étiquettes commodes, j’ai rangé les livres de l’Encyclopédie dans mon tiroirs « écologistes idéalistes… et donc jamais contents !»
Je ne les ouvre que quand je suis bien dans ma tête. Alors je suis saisi, par exemple par le style de Baudoin de Bodinat, ou par les formules impeccables de Riesel et Semprun.
Aucun doute pour moi : l’Encyclopédie des Nuisances est une comète dans le paysage littéraire mais surtout dans le fourbis écologiste.
Sinon, hier, j’ai reçu le dernier numéro d’un magazine lui aussi admirable mais pour d’autres raisons. La Salamandre, à mi-chemin entre revue naturaliste et expression artistique. On est dans l’émerveillement et la poésie de la nature, bref à l’opposée de l’Encyclopédie des Nuisances !
Eh bien, y figure un article de Fleur (sic) Daugey qui titre « Eoliennes, l’illusion durable« . Diantre, les éoliennes se font attaquer par les écologistes idéalistes et par les écologistes naturalistes !
« Pfff… jamais contents» dira le badaud !
Pour autant, les arguments formulés par la revue me semblent moins pertinents que ceux avancés par Arnaud Michon dans le livre sus-cité. Mais, en espérant un jour pouvoir rentrer dans le vif du débat, une chose est sûre, les éoliennes industrielles vont commencer à diviser, une fois n’est pas coutume les écologistes.