Je ne sais plus pourquoi j'ai décidé de partir en vacances, à Istanbul cette année, plutôt qu'à Barcelone, Malaga, ou Lisbonne. Je crois que j'avais envie d'ailleurs, et de culture.
Istanbul est aux premiers abords assez intimidante. Entre les taxis qui klaxonnent toutes les 5 secondes, les odeurs des ordures, les lancinant appels à la prière, la beauté extravagante des bâtiments (mosquées-palais) qui vivent tranquillement là depuis des siècles et qui affrontent désormais le modernité insolente du développement économique turque (et aussi la misère), l'ancienne capitale de la Turquie, riche de ses 17 millions d'habitants, peut vous donner en arrivant un sacré mal de crâne.
Il faut donc y allez doucement, prendre son temps et découvrir cette ville petit à petit. Il n'y faut pas y chercher une quelconque homogénéité au risque d'être déçue, mais agréger au fil de vos découvertes et de vos rencontres, ces images qui construiront votre vision de la ville.
"La pauvreté côtoyant la grande histoire, les quartiers repliés sur eux-mêmes malgré leur sensibilité évidente aux influences extérieures, la perpétuation de la vie communautaire, la manière d'un secret, en arrière de la beauté monumentale et naturelle extravertie: sont-ce là les secrets d'Istanbul pour se préserver des relations fragmentées et fragiles de la vie quotidiennes? Cependant, toute parole relative aux qualités générales, à l'esprit ou bien à la singularité de la ville se transforme en discours indirect sur notre propre vie, et même plus sur notre état mental. Il n'est pas d'autre centre de la ville que nous-mêmes."
Istanbul c'est une ville de l'entre deux c'est à la fois l'Europe et l'Asie, c'est l'Istiklal Cad et Sainte Sophie, c'est le grand bazar et les grands magasins. C'est l'histoire passée des grandes familles ottomanes, et la décrépitude des Konaks stambouliotes.
Orhan Pamul, écrivain turque écrit cela admirablement bien dans "Istanbul". L'auteur, prix nobel de littérature en 2006 y raconte son enfance, et le regard qu'il porte mélancoliquement sur cette ville qui l'a vu grandir. C'est un dialogue permanent entre ses sentiments, ses ressentis, et le regard extérieur des géographes, poètes (de Nerval), romanciers (Flaubert,...)qui ont un jour écrit sur Istanbul.
"J'ai essayé de retracer l'histoire de l'influence des amis poètes et écrivains parisiens ... à l'époque de la chute de l'Empire ottoman et de la fondation de la République de Turquie, en dénouant un à un les fils qui la tissent: les thèmes comme le nationalisme, l'effondrement, l'occidentalisation, la poèsie, les vues des villes. A travers cette trame complexe que j'ai tenté de faire apparaitre au risque de de voir les fils s'entremêler parfois, une idée, une vision que les Stambouliotes allaient en la généralisant, se fait jour.
Qualifier de "mélancolie des ruines" cette vision-qui prend initialement sa source dans les remparts de la ville et les quartiers déserts, reculés et pauvres des environs- et, du point de vue d'un regard extérieur (comme Tanpinar), de "pittoresques" les paysages urbains où on ressent le plus, me semble assez approprié.
La tristesse mélancolique, d'abord découverte comme une beauté émanant d'images pittoresques, coïncidait parfaitement avec celle que vivraient encore 100 ans les Stambouliotes à cause du déclin et de l'appauvrissement."
Est-ce par ce que moi aussi j'ai grandi dans une ville meurtrie par la guerre et nostalgique de sa royale, ( http://lexilousarko.blog.fr/2008/09/16/brest-ville-du-futur-4737278/ ) que ce livre a fait tant écho en moi: certaines lignes, certains passages j'aurai pu les écrire.
Mais ce n'est qu'aux derniers mots de ce magnifique essai que j'ai compris finalement pourquoi entre ce livre et moi se dégageaient un tel sentiment d'appartenance: ce livre n'est pas que l'addition de monographies sur Istanbul mais bien la genèse d'un écrivain en construction...
Pour aller plus loin:
http://www.courrierinternational.com/article/2010/02/11/istanbul-une-cite-en-crise-d-identite
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