Numévia, société qui déploie des réseaux Wi-Fi dans les zones rurales, a annoncé l’arrêt de ses activités. Nous en profitons pour poser quelques questions à son fondateur, M. Sylvain Lacaze.
Canard WiFi : Bonjour M. Lacaze, vous êtes le gérant de Numévia, une société lotoise qui exploite des réseaux locaux d’accès à Internet dans les zones dites blanches grâce au Wi-Fi. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous jetez l’éponge dès la fin du mois ? Les petits opérateurs peuvent-ils espérer survivre à côté des grands opérateurs nationaux ?
M. Sylvain Lacaze : Je gère l’entreprise Numévia, qui opère et construit des réseaux sans fil d’accès à Internet haut débit à faibles coûts dans des zones isolées et difficiles, qui permet de couvrir la quasi-totalité des habitant d’une zone, depuis ses débuts en 2006. C’est une société rentable, saine, en plein développement, mais en manque de structuration par des ressources difficiles à trouver en zone rurale, siège de la société. Je ne désire pas déménager, mais je ne peux plus travailler davantage. Au contraire, j’arrive à une saturation liée à différents facteurs, qui met en péril cette activité, car non encore reprise par aucun acteur du marché.
Afin de mieux accompagner les collectivités, dans un premier temps, Numévia a assumé une maintenance gratuite sur site des relais et des équipements d’utilisateurs, ce qu’aucun autre opérateur ne fait.
Le modèle économique initial a été biaisé par des facteurs difficiles à évaluer :
1/ Facteurs techniques: Instabilité du réseau électrique en ruralité qui a été la source de centaines d’interventions chez les clients. Quelques brouillages de la bande 2,4GHz utilisé par nos réseaux, par des appareils domestiques (transmetteurs vidéo, alarmes, station météo, caméras) - rapprochement de Numévia et l’ANFR sur ce constat. Quelques dégradations et démontages sauvages d’équipements qui n’ont pas été re-financés par les collectivités, mais remplacés par Numévia
2/ Facteurs administratifs: Retard de paiement des collectivités, gros décalages financiers. Difficultés économiques de certains abonnés pour régler leurs abonnements. Difficulté de communiquer avec nos clients élus, non compétents, des derniers problèmes de Numévia. Nouvelles contraintes règlementaires liés aux opérateurs (HADOPI, ARCEP…)
3/ Facteurs humains, politiques et commerciaux: Accompagnements trop personnalisés des abonnés de plus en plus exigeants. Réseau MESH ou Maillé : modèle technique mal perçu par les conseillers techniques aux collectivités (AMOA), non prise en compte par Numévia des lobbys pour de bien meilleures chances d’obtention de marchés publics. Stress grandissant des salariés et des dirigeants.
Malgré cela, les réseaux Numévia se portent actuellement techniquement plutôt bien, et remplissent leur mission auprès de 97% des abonnés depuis que l’activité de maintenance est en berne.
Les petits opérateurs ne peuvent se permettre de survivre sereinement avec tous ces aspects à gérer. Il est indispensable, à mon sens, d’avoir au moins une dizaines de milliers d’abonnés afin de financer les ressources nécessaires pour stabiliser l’activité, dont les problèmes seront dilués sur des compétences diverses, et non sur une ou deux personnes comme c’est le cas chez Numévia comme chez d’autres petits opérateurs.
C.W. : Le Wi-Fi n’est-il donc pas la solution idéale pour l’accès à Internet dans les zones rurales ? Faut-il alors se tourner vers d’autres technologies, comme le satellite ou le WiMAX ? Le Wi-Fi, à l’origine assez limité en termes de débits ou de distance, n’est-il pas une technologie mal adaptée au désenclavement numérique du territoire ?
S.L. : économiquement, la solution la plus rapide pour couvrir les zones blanches reste le WRAN (wireless rural area network). Mais les difficultés techniques que rencontrent tous les opérateurs WiFi donnent un net avantage à la solution WIMAX, plus chère, outre avec une meilleure couverture, mais surtout avec des fréquences réservées soumises à licence et non polluées par d’autres matériels grand public.
Le satellite reste une solution ultime et médiocre mais qui a l’avantage d’être industrielle et présente quasiment partout, mais elle est 65 000 fois plus puissante que le WiFi, attention aux installations à ras du sol de votre parabole !
Je travaille actuellement au d’autres solutions wireless, ainsi qu’à la FTTH.
Le Wi-Fi restera à terme une solution de connexion nomade.
C.W. : La réglementation sur les réseaux Wi-Fi est-elle trop contraignante en France ?
S.L. : Non pas tant que cela…il n’y a pas de règlementation spécifiquement pour les réseaux Wi-Fi mais plutôt une règlementation administrative à l’attention des opérateurs et une règlementation technique pour les fréquences utilisées.
Pour cette dernière, il faut absolument qu’elle soit respectée, car sinon, les bandes de fréquences gratuites libérées risquent d’être inutilisables.
Justement un stagiaire a travaillé pendant 2 mois avec Numévia et l’ANFR sur ce sujet : Avec le DFS et TPC la bande des 5GHz est encore assez préservée, mais une série de produit utilisant ces spectres vont arriver sur le marché européen rapidement car ils ne sont plus performants sur la bande des 2,4GHz. La bande des 2,4GHz utilisée par de plus en plus d’appareils ne respectant pas les puissances… Elle va devoir être mieux régulée avec une nouvelle contrainte qui est l’exigence d’une fonction MAP (Medium Access Protocol), LBT ou DAA. En fait la version de norme courante le prévoit mais sans rendre le test obligatoire néanmoins une décision TCAM* (sous-groupe de la commission européenne) le rend obligatoire.
Le récent accident de modélisme qui a coûté la vie d’un téléspectateur (heurté par un avion radio-commandé dont l’utilisateur a perdu le contrôle) va encourager la CE dans sa demande à l’ETSI de décrire ce test et de le rendre obligatoire.
Dans tous les cas le Commission Européenne a clairement exigé dans sa dernière publication au Journal Officiel** ce point comme une condition pour accepter l’application de la norme EN 300 328 comme suffisante pour donner une présomption de conformité.
*Summary of the TCAM 26 decision on Sub-class 22
Sub-class 22 in the 2400-2454 MHz band is constituted by Short Range Devices (SRDs) using appropriate mitigation techniques that are therefore allowed to operate at 100 mW e.i.r.p., whatever type of application they implement (RLAN access, inter-device communication, control of model airplanes, microphones, etc.). A mitigation technique is considered as appropriate if:
- it provides the same level of protection as the medium access protocols of current applications in this band, such as those specified in IEEE 802.11 standards for WiFi, in Bluetooth specifications or in IEEE802.15.4 for Zigbee, etc.:
- it ensures an equal spectrum sharing with other devices, i.e. congestion, if any, occurs in a gradual way impacting equally the service of all types of devices.
** Extrait de la page 8 du JOCE: This version of the standard gives presumption of conformity with the requirements of Article 3(2) of Directive 1999/5/EC under the following condition: The equipment shall implement an adequate spectrum sharing mechanism, e.g. LBT (Listen Before Talk), DAA (Detect And Avoid), etc., in order to comply with the requirement specified in clause 4.3.5 of this version. Such a mechanism shall facilitate sharing between the various technologies and applications which currently exist and in case of congestion, users will be ensured equal access (and as a consequence a graceful degradation of service to all users). Harmonised ways for assessing the efficiency of various sharing mechanisms are currently been developed by ETSI in draft EN 300328 version 1.8.1.
C.W. : Ne faudrait-il pas plutôt se concentrer sur le déploiement de la fibre en France ?
S.L. : bien sûr, c’est une solution qui sera pérenne sur des dizaines d’années et apportera une solution de grande qualité. Mais est-ce que cela sera économiquement possible pour les usagers en ruralité ? On y travaille !
C.W. : Le gouvernement (local ou national) est-il assez impliqué dans ces problèmes d’accès égalitaire au réseau Internet ?
S.L. : Oui, dans les zones urbaines ou péri-urbaines, sous la pression des électeurs, et un modèle industriel plus facile qu’en ruralité. Oui, dans les zones rurales aux élus intelligents. Non, dans les zones rurales aux élus incompétents
C.W. : Combien de clients utilisent vos réseaux ? Quel est leur profil ? Quelle est leur type d’utilisation ? Ont-ils la même utilisation/consommation qu’un client ADSL ?
S.L. : Nous avons près d’un milliers de connectés par des réseaux construits par Numévia, mais opérons seulement la moitié. Nous avons environ 20% de professionnels. Nous constatons une consommation globale de nos usagers résidentiels bien supérieure à celle d’usagers connectés ADSL et FTTH chez nos partenaires. Ceci est facilement explicable, par le fait que Numévia a construit dans les zones les plus isolées, souvent à plus de 30 minutes du centre urbain le plus proche, voire à 1 heure.
C.W. : Quel est votre avis sur le WiMAX français ? Est-ce un fiasco ?
S.L. : je travaille depuis deux ans avec cette technologie qui permet de connecter plus de 10 000 abonnés en France. Je constate une très bonne stabilité de ces connexions. Le fiasco réside éventuellement dans la rentabilité de la bande des 3,5GHz alloué par l’ARCEP, qui ne génère que très peu de gains comparativement aux autres bandes licenciées.
C.W. : Numévia recherche un repreneur, êtes-vous sur la bonne voie pour trouver un accord ?
S.L. : Deux entreprises du secteur se sont manifestées en mai et juin, mais nous n’avons toujours pas aboutis à un accord. Dernièrement, un troisième repreneur potentiel nous a contacté, et semble être en bonne voie pour la reprise de l’activité Numévia. Je vous tiendrai au courant rapidement, car la conclusion finale sera à la fin de ce mois d’Aout.
C.W. : M. Lacaze, merci pour votre temps.
S.L. : Merci