Je les avais en magasin: deux oeuvres du compositeur tchèque Léos Janacek . La première, Katia Kabanova, je l'avais vue dans la mise en scène de Marthaler à Paris. Pour une raison incompréhensible, le metteur en scène suisse avait estimé que l'action devait se passer à Brno, ville où avait eu lieu la première et de justifier ainsi un décor communiste constructiviste. Bon, pourquoi pas ? La mise en scène anglaise, elle, est plus proche du texte et nous ramène sur les rives de la Volga (il n'est pas mauvais parfois de respecter les choix d'un auteur surtout quand le personnage principal s'y suicide).C'est Nancy Gustafson qui chante Katia et son visage placide et plastique font merveille pour incarner cette Lady Macbeth de Minsk bis. Felicity Palmer soprano est la terrible Kabanicha(les belles-mères de Janacek sont toujours décidément des monstres). John Graham Hall incarne un Vana séduisant avec sa petite guitare de poète. Tout cela se développe avec grâce et fluidité.Résolument moderne pour un contemporain de Puccini.La Jenufa (prononcez avec un K)de Janacek est aussi pure merveille avec une Roberta Alexander impeccable dans le rôle et tout à fait à la hauteur d'un des plus beaux Ave Maria composés dans ce siècle par le compositeur . Anja Silja incarne une autre belle-mère infernale( The Kostelnicka) .Le Glyndebourne Chorus a la magie des choeurs anglais, une fois de plus pour donner son relief à ce drame profond et humain. Autres vacances anglaises, ce" Albert Herring opus 39" de Benjamin Britten donné à l'Opéra Comique sous la direction de Jérôme Deschamps dans la mise en scène originale et précise de Richard Brunel. Une oeuvre étonnante et rarement donnée dont le livret s'inspire du" Rosaire de madame Husson' de Maupassant avec un changement de taille : la Reine de Mai recherchée par la communauté puritaine devient ici un Roi de Mai (les femmes sont trop pécheresses).
En dépit des apparences, nous assistons sous la baguette de Laurence Equilbey à une tragédie : la force du conformisme et de l'intolérance. On retrouve métamorphosée Nancy Gustafson en Lady B., monstre de rigidité et Felicity Palmer (en gouvernante soumise-"Une vie, un cerveau, deux mains, c'est trop peu pour Lady B."- est son leimotiv). Que ce duo a du talent ! Et tout le reste du casting-enfants compris- contribue à la beauté du spectacle. J'avais aussi "podcasté" "Les Troyens " (1) de Berlioz pour entendre la plus grande interprète actuelle du rôle , Anna Caterina Antonnacci , Cassandre proprement vertigineuse et digne des premières femmes du grand compositeur français. A ce niveau, les commentaires sont vains, mieux vaut croiser sa route ou exiger d'être enterré à ses côtés. Autre devoir et même obligation : lire le livre de Michel Manière publié en 2009(avec un peu de retard donc mais ça sert aussi à ça les vacances) par les éditions du Seuil et intitulé "Parfois, dans les familles".
"Parfois dans les familles..." le titre déjà est remarquable. Car on y entendra évidemment, "Souvent dans les familles" et peut-être "Tout le temps dans les familles". Selon qu'on les "hait" ou pas.Rien à voir avec Gide cependant. Avec une délicatesse tragique Michel Manière évoque un de ces non-dits qui pourrissent la vie des familles et se propagent de génération en génération. C'est écrit avec une précision étonnante, petites touches , travail d'un grand écrivain qui maîtrise son art . Il raconte aussi l'aliénation familiale mais pas de vains discours.Pourquoi ne pouvons-nous pas ne pas aimer certains êtres? Question sans réponse. Chez Manière c'est par la voix d'un enfant arrivé sur le tard qu'un narrateur se manifeste.Tout est sensible, tout avance par ce que l'on perçoit des sentiments des personnages. Et cela est distillé par l'auteur à travers de petits gestes, des répliques , des saynètes, des sous-entendus à peine perceptibles... Une économie de moyen qui finit par brûler et faire de ce court livre un texte sans la moindre concession à la facilité ou au sentimentalisme. Un livre sincère, ce qui est tout de même assez rare dont l'objectif est au fond celui de toute grande littérature : montrer la fragilité des êtres humains.
(1) Au casting impressionnant de Stéphanie d'Oustrac à Laurent Naouri en passant par Susan Graham, Ludovic Tézier,Gregory Kunde etc.