A La Nouvelle-Orléans, en 2005, alors que la terrible tempête Katrina arrive, des vies vont être bouleversées. Il y a Joséphine Linc. Stelson, la négresse centenaire, fière et têtue comme une mûle, qui refuse d’évacuer. Il y a aussi le révérend dont on ne connaîtra jamais le nom, Buckeley, un prisonnier qui s’échappe du pénitencier pour ne pas finir noyé dans sa cellule, et puis Keanu Burns. Ce dernier, manutentionnaire sur une plateforme pétrolière du Golfe du Mexique, décide de revenir en ville pour retrouver Rose Peckerbye, la femme qu’il a quittée six ans plus tôt. Autant de vies qui vont se croiser à un moment ou un autre, déambulant dans une ville touchée par l’apocalypse.
La narration alterne la première et la troisième personne avec très peu de dialogues. Le point de vue se focalise sur les différents personnages au fil de courts paragraphe. Un récit choral qui peut paraître déstructuré de prime abord mais qui au final relève d’une construction précise et implacable.
Le texte est peut-être trop court, mais quel plaisir de lecture ! Laurent Gaudé distille sa petite musique avec un talent rare. Phrases courtes, syntaxe sobre et classique, recherche de l’épure. Le lexique n’est pas d’une incroyable richesse mais il est parfaitement adapté. L’ensemble est d’une telle musicalité que je me suis surpris à lire les différents paragraphes à voix haute. Il y a notamment chez cet auteur une maîtrise de l’usage de la virgule qui donne un rythme parfait à la lecture. Pour vous en convaincre, lisez le dernier paragraphe du roman. Près de cent lignes sans aucun point et pourtant la lecture coule toute seule grâce aux virgules. Un régal !
Que dire d’autre ? Avec un tel sujet, le danger aurait été de se lancer dans des élans plein de lyrisme. Mais cette tentation, qui pointe parfois le bout de son nez, est contenue avec maestria. On a ici affaire à un écrivain, tout simplement. C’est devenu tellement rare à l’heure où la surproduction littéraire actuelle encourage la médiocrité que l’on en serait presque surpris. Mais qu’est-ce que ça fait du bien !
NB : A ceux qui ont lu le livre et qui ont été frappé d’une empathie particulière pour le personnage de Joséphine Linc. Stelson, je ne saurais que conseiller la lecture du roman Autobiographie de Miss Jane Pittman de l’écrivain américain Ernest J. Gaines (paru en poche chez 10/18). Il y raconte la vie (fictive) d’une femme noire de Louisiane qui, ayant vécu cent dix ans, aurait connu à la fois l’esclavage et l’émergence de l’émancipation du peuple noir. Un petit bijou !
Ouragan, de Laurent Gaudé, Éditions Actes Sud, 2010. 190 pages. 18 euros.
L’info en plus : Laurent Gaudé est un auteur multicarte. A la fois romancier et dramaturge, il s’est aventuré il y a deux ans dans les méandres de la littérature jeunesse avec l’album La tribu des Malgoumi. Une vraie réussite que ce magnifique album très poétique qui plaît beaucoup aux enfants. Et puis ça permet aux parents de dire que la petite dernière de 5 ans a déjà lu un auteur qui a gagné le Goncourt. La classe !