Sans s’en apercevoir, la campagne parisienne a commencé. Personne ne l’a vraiment vu venir.
Il y a pourtant eu des indices.
Un grand bureau planqué dans une ruelle du sud de Paname. Dégoté au printemps par Leen-C, calée sur scoot’, Paris Pratique en poche.
Vide, ce genre d’endroit n’est qu’une grosse boîte à chaussures sans chaussure. Avec moquette mouchetée au sol. Pour la remplir, All-Ga et Mars-L ont été réquisitionnés. Leur vieille estafette blanche s’est écrasée un vendredi sur le trottoir. Ils ont déchargé des planches, des pieds, des chaises. Une tonne de bureau en kit, vissé par Mars-L, une ceinture lombaire autour de la taille.
La patronne a tapé son coup de calgon. Ce même vendredi. À 19 heures.
C’est peut-être un peu petit. On pourrait changer.
Non, on peut pas. On s’installe, et on roule.
Il y a eu deux tonnes de matos déballé dans un entrepôt aux allures d’aérodrome de savane. Beaucoup d’outils mais pas d’avion.
Choupette s’est arrachée quelques touffes de cheveux sur les flyers. Mais son cul de brésilienne est intact.
Sam-Ya philosophe.
Globalement, c’est un cauchemar.
Et l’équipe terrain parisienne a déboulé il y a dix jours. Quelques têtes connues. Des anciens de l’année dernière, des marseillais qui ont fait le déplacement pour bricoler à Paris, salaire de misère à la clé.
Les nouveaux ont des grands yeux de Bambi.
Quand est-ce qu’on range les boîtes de petits pois dans les rayons?
Expliquer à quelqu’un qu’il est payé pour bricoler en dandinant son p’tit cul est un tantinet coton. C’est K-Ro qui s’y colle. Elle appelle ça une formation.
C’est pas un stage photocopies et touillettes à café. Merci de laisser la liquette de Première Communion à la maison. Ici, pantalon sale et baskets trouées de rigueur.
Puis il faut simplement pousser toute la bande dans le vide. Un pinceau et marteau dans les mains.
Les premiers projets ont eu lieu. Sans que personne n’y prenne garde.
Des murs rose fuschia. Du mobilier de jardin bricolé avec des palettes. Des colorants qui couinent. Des couleurs qui changent d’une couche à l’autre. Des décos des festival bricolées au marqueur et à la bande magnétique de cassette audio.
Sans s’en apercevoir, les équipes commencent à saisir le joyeux bordel qui va leur servir de boulot pour les deux prochains mois.
Chaque loulou en chef donne le ton.
Axl remonte son pantalon.
Un abri de jardin, une gouttière de récupération d’eau et une porte d’enclos, c’est faisable facilement, non?
Da-Vee bûche mais continue à sourir.
J’ai que des bras cassés sur mes projets, c’est usant. C’est con, un jeune.
B-Ka déraille.
Il m’faut deux mille litres de peinture, huit cents pinceaux et trois cents marteaux. Pour faire une cabane à oiseaux dans un arbre, c’est le minimum, non?
Niko cherche son style.
Ça m’plait bien les pochoirs. J’vais faire des pochoirs. c’est bien des pochoirs, non?
Char-Lee veut être sûr de bien comprendre.
Pour peindre, faut des pinceaux et des rouleaux, non?
Main-Ro fignole la technique.
Du violet épouvantable sur du rouge à vomir, ça peut s’faire en une couche?
K-pu rigole.
J’ai dégoté un clic-clac chez une copine. Pour faire une sieste au bureau, le midi, après déjeuner.
Mais elle se défonce aux haricots bio trop cuits. Ceci explique peut-être cela.
Jou-Jou boîte, soutient son bras et manque à tous.
Secouer la goutte de la main gauche est le truc le plus bizarre que j’ai fait de ma vie toute entière.
Leen-C tient la caisse.
Oh la laaa! Ça m’saoûle. J’me casse.
K-Ro compte des téléphones.
Faut qu’je trouve un process. J’vais tuer des gens sinon.
Du stress par paquets de douze. Des calculs laborieux pour tenir des budgets. Du bordel plein les tables. Un planning XXL. Des checklists à rallonge.
Un marteau, c’est mieux qu’un caillou pour planter un clou? Non?
Des questions cons, des envies folles.
Demain, certains vont ramasser des feuilles mortes. Parce que cette basse besogne permet aux arbres malades de survivre. Samedi, des furieux vont planter du bambou au fin fond des Yvelines. D’autres vont peindre des papillons et des champignons sur les murs d’une école pour mickeys surdoués. Platon et Descartes en cours de lecture.
Là, sans s’en apercevoir, c’est officiel.
Le Zénith attend qu’on le remplisse.