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Prendre le pouvoir pour mener une révolution républicaine : les gauches ne sont malheureusement pas prêtes !

Publié le 25 août 2010 par Philippemeoule

(Source : ReSPUBLICA, liens : ndlr). Trois ans après une victoire retentissante de la droite césaro-libérale aux dépens de la gauche social-libérale, nous sommes dans une ambiance de fin de règne sans grande perspective. Le vieux se meurt que le neuf n’est pas encore là… dirait Antonio Gramsci.

Cette victoire césaro-libérale fut atteinte grâce aux votes de plus de 46 % des couches populaires votantes (ouvriers et employés) et surtout des 3 millions de voix d’avance de Nicolas Sarkozy auprès des personnes âgées de plus de 60 ans. À noter que cette victoire fut acquise avec le plus faible pourcentage de voix chez les couches moyennes de tous les candidats de droite à ce type d’élection.

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Trois ans plus tard, peut-on dire que la gauche a travaillé pour accroître son impact dans les couches populaires majoritaires dans le pays (rappelons que François Mitterrand fit en 1981 41 % au premier tour et plus de 75 % au second !) et chez les personnes âgées de plus de 60 ans ? Que nenni puisqu’elle continue de s’adresser principalement aux couches moyennes qui ne représentent que 42 % de la population !

(Photo : © Philippe Méoule 2009)

Tour d’horizon

1/ Nous avions déjà une justice de classe qui faisait semblant de ne pas l’être. Nous avons aujourd’hui une justice ouvertement au service des puissants. Voilà un procureur de la République qui met 4 personnes de l’entourage de Liliane Bettencourt en garde à vue… pour bloquer une machine judiciaire qui pourrait compromettre les puissants de ce monde. Il faut comprendre que cette méthode permet au pouvoir politico-économique d’avoir une connaissance globale et totale du dossier, d’emmagasiner les documents et les preuves pour les « geler » et les soustraire selon « leur bon plaisir » à tout juge d’instruction indépendant. Car, bien sûr, l’ « honorable » procureur de la République ne défère aucun des « gardés à vue » devant un juge d’instruction et peut refuser la transmission des pièces à tout juge d’instruction sur une affaire connexe. Elle est belle notre justice !

2/ Les annonces tonitruantes sur les déchéances de nationalité, la pénalisation des parents d’enfants délinquants, le retour forcé des Roms, etc. , sont bien entendu destinés à récupérer un certain électorat; mais la parole d’un chef d’État ou d’un gouvernement n’est pas anodine 1 et la gauche républicaine ne peut se contenter d’en traiter comme d’un phénomène secondaire ou d’un écran de fumée. Lorsque l’exécutif cherche à tordre le droit de la République pour répondre aux inquiétudes des citoyens relatives à la sécurité, il faut se préparer à opposer à sa « légalité » le concept de pouvoir illégitime.

3/ Nous savions déjà que l’attaque sur les retraites ne se justifiait que pour maintenir un taux de profit pour les puissants de ce monde et dénoncé les dogmes utilisés par les néo et sociaux-libéraux (« il y a un problème de démographie », « il ne faut pas toucher à la répartition des richesses », etc.2 Eh bien, grâce aux sociaux-libéraux, un vote pro-gouvernemental sur les retraites a pu avoir lieu le 1er juillet dernier à la Caisse Nationale d’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés (CNAMTS) par 15 voix contre 14.

4/ Nous savions que l’attaque pour la marchandisation, la privatisation des profits et la socialisation des pertes contre la protection sociale solidaire serait globale et que leur but est de tuer le principe de solidarité qui a inspiré les décisions du Conseil national de la résistance3 . Nous savons à présent, grâce au rapport du 23 juin dernier de la mission parlementaire présidée par Valérie Rosso-Debord, députée de la droite néolibérale, qu’une privatisation massive est programmée dans le dossier de la dépendance : suppression de l’Allocation personnelle d’autonomie (APA), refus d’une prise en charge par la Sécu et son remplacement par un contrat d’assurance privée obligatoire auprès des organismes de l’Union nationale des organisations complémentaires à l’Assurance Maladie 4 . Le tout matiné par la charité institutionnalisé pour les plus pauvres afin de limiter un peu l’accroissement exponentiel prévisible des inégalités sociales de dépendance que va produire cette contre-réforme régressive.

En outre, nous avons vu dans la presse économique la ministre de l’Économie avouer que le gouvernement avait renoncé à appliquer une des promesses du candidat Nicolas Sarkozy, à savoir la revalorisation de l’Allocation adulte handicapé (AAH) de 25 % en 5 ans, promesse qui n’était pourtant pas le nirvana !

5/ Nous savons que le gouvernement s’apprête à supprimer dans l’École 16 000 postes en 2010 et 17 000 en 2011, ce qui va affaisser son rôle et augmenter les inégalités sociales éducatives.

6/ Nous savons que Nicolas Sarkozy s’apprête à passer en force à l’Assemblée nationale sur le dossier de la réforme territoriale et même de revenir sur les votes du Sénat.

7/ Nous savons que le gouvernement continue de favoriser le transport routier et autoroutier en refusant d’internaliser les coûts externes environnementaux des transports de marchandises. Nous savons que le gouvernement s’apprête à diviser par trois les aides au transport combiné (96 millions d’euros en 2002). Nous savons que la droite a supprimé 10 000 emplois dans le frêt. Nous savons que le gouvernement veut abandonner la majorité de l’activité wagon isolé ce qui supprimera 255 000 wagons de marchandises sur la route (ce qui correspond à 1,2 millions de véhicules poids lourds et à 300 000 tonnes d’équivalents CO2). Nous savons que ce gouvernement ne veut pas taxer les poids lourds ni développer les installations ferroviaires et les plate-formes pour le transport de proximité. Nous savons que le gouvernement ne veut pas investir dans l’innovation technologique et structurelle.

Et pendant ce temps-là…

La crise économique et financière fait des ravages dans les couches populaires, dans les couches précarisées et désocialisées et commence à toucher les couches inférieures des couches moyennes. Une majorité du peuple est donc concernée aujourd’hui. Rappelons que cette crise est provoquée par l’utilisation spéculative des surcroîts des profits non réinvestis dans l’appareil productif par les possesseurs du capital; et que ces surcroîts de profits sont générés par la déformation de la valeur ajoutée en faveur des profits et contre les salaires et cotisations sociales engagées par le consensus de Washington de 1979 qui débute en France lors du tournant libéral de fin 1982. Doit-on rappeler que tous les ministres et organisations participant aux différents gouvernements de gauche n’ont jamais remis cela en cause lorsqu’ils étaient en exercice ?

De plus la majorité du peuple, principalement les couches populaires, subit la destruction des services publics et de son école. Pour cette dernière, il en résulte un écroulement de la mobilité sociale qu’elle permettait naguère, même de façon très insuffisante, et l’affaiblissement de la transmission des savoirs encyclopédiques permettant la formation du citoyen, le vivre ensemble et l’intégration républicains, la laïcité, l’antiracisme… Perdre de vue l’universalité des droits républicains, c’est oublier le droit à l’émancipation des femmes pauvres — dirigeant souvent des familles monoparentales —, c’est autoriser l’explosion des dépassements tarifaires médicaux, la désertification médicale et la fermeture des établissements sanitaires de proximité, etc.

Il est à noter que tout cela est surmultiplié par la nouvelle géosociologie des territoires dans les zones périurbaines et rurales qui voient un accroissement phénoménal des couches populaires exclues des villes-centres et même en léger déclin dans les banlieues.

Le conformisme de la pensée touche même la gauche anti-libérale

Au-delà même des sphères du social-libéralisme, un examen attentif des non-dits est probant.

Qui s’interroge sur les conditions du soutien des couches populaires à une politique de transformation sociale en matière de protection sociale, de laïcité, de services publics, d’école, de logement, de politique de l’emploi et des salaires, de politique industrielle, d’innovation et de recherche ?

Qui ose comprendre que la globalisation des combats laïques, sociaux, démocratiques, féministes et écologiques est une des conditions de la victoire possible ?

Qui se soucie de légiférer sur le nécessaire financement public des organisations syndicales et l’arrêt des financements indirects ?5

Qui ose proposer au-delà des lois sur le financement des élections et des partis, une loi supplémentaire sur le financement de l’action des élus en exercice ?

Qui ose dire que l’accord unanime du Sénat contre la jurisprudence de la cour criminelle de la Cour de cassation qui a élargi le champ des poursuites de la prise illégale d’intérêts des élus locaux (article 432-12 du Code pénal) est scandaleux ? Comme cela, les élus pourront voter des subventions aux associations qu’ils président au mépris du non-cumul des mandats !

Qui ose critiquer ouvertement la puissante Fédération nationale de la mutualité française, cheval de Troie de la logique assurantielle ?

Qui ose proposer le financement de la protection sociale par un système de répartition basé sur le salaire socialisé (et donc de la pension) lié à la qualification (qui permet de lutter contre les inégalités sociales indues) de préférence au système à répartition à revenu différé avec neutralité actuarielle (qui produit une croissance des inégalités sociales de retraite) ?

Qui ose proposer une critique de l’école qui aille au-delà du problème néanmoins important des moyens ?

Qui ose parler du mode de désignation des directions et du mode de gestion des services publics? Qui ose proposer une autre politique industrielle basée sur l’innovation et la recherche ?

Qui ose proposer un dépassement du capitalisme par le développement d’institutions salariales indépendantes du privé et de l’État, afin de libérer le citoyen salarié de la soumission à la valeur travail ?

Qui ose faire des propositions sur le statut du salarié et la possibilité de vivre hors de la soumission envers un employeur ?6

Qui ose dire que nous voulons des entrepreneurs mais plus d’employeurs ?

Qui ose faire des propositions sur la gestion dans l’entreprise ?

Qui ose dire que la radicalité écologique passe d’abord par une radicalité dans une politique globale d’économies d’énergie avant de se poser la question légitime de la suppression de telle ou telle source d’énergie ?

Qui ose dire que la parité n’a pas résolu l’injustice faite aux femmes et qu’il faut une politique bien plus radicale pour porter le féminisme ?

Qui ose parler d’un changement de nature de l’État?

Qui parle de la nécessaire centralité de la démocratie républicaine détruite par les politiques néolibérales ?

Qui ose proposer une économie républicaine de gauche ?

Qui ose faire des propositions d’institutions internationales et européennes ?

Qui ose théoriser la nouvelle géosociologie des territoires pour penser le lien entre le peuple et ses élites politiques ?

Qui ose mettre en avant la nécessité pour chaque militant politique de se préoccuper des trois piliers que sont le champ politique, le mouvement social syndical et associatif et la nécessaire éducation populaire tournée vers l’action, qu’il ne suffit pas de se préoccuper des élections et de distribuer des tracts dans les manifestations syndicales, etc.

Perspectives

Voilà ce que ReSPUBLICA veut ouvrir comme chantiers avec vous tous, tant dans son journal que dans les colloques et réunions publiques où nos orateurs seront conviés; et également dans les manifestations que votre média va organiser ou coorganiser.

Voilà ce que votre journal va entreprendre à partir de la série qui débutera fin août 2010. Nous ouvrirons alors une rubrique « Prospectives » et nous vous tiendrons au courant de la préparation de nos initiatives publiques de l’année scolaire 2010-2011 et des partenariats que nous allons sceller. Venez nous rejoindre dans ce défi !

Et que cent fleurs éclosent pour créer le neuf qui nous manque…

Il y a eu dans le passé Raymond Barre parlant de « Français innocents» blessés lors de l’attentat contre la synagogue de la rue Copernic, et Jaques Chirac sur le « bruit et l’odeur » d’une famille immigrée et polygame qui aurait vécu d’importantes allocations familiales, mais c’est la première fois depuis une époque de triste mémoire que des citoyens sont stigmatisés ainsi pour leur origine par un président de la République.

(voir les textes faits par l’UFAL sur les retraites; voir le texte prémonitoire de Kessler le 4 octobre 2007 dans la revue Challenges.

UNOCAM, créée par le tristement célèbre Alain Juppé en 1995 et jamais remis en cause sous le gouvernement Jospin, qui regroupe les firmes multinationales assurantielles et bancassurantielles, les instituts de prévoyance des amis de Guillaume Sarkozy et les mutuelles de la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF) qui ne rate aucun dossier pour tenter de « dépecer notre Sécu ».

Pourquoi Georges Tron vient-il d’ouvrir la discussion sur les moyens accordés aux syndicats de la fonction publique au lieu d’ouvrir cette discussion sur l’ensemble du syndicalisme ? Sans doute pour ne pas donner plus à la majorité des syndicats et rogner sur ce qu’il donne aux syndicats de la fonction publique !

Qui n’a pas été choqué de voir d’authentiques syndicalistes et des militants de la gauche anti-libérale se joindre aux néolibéraux et sociaux-libéraux pour « chercher un repreneur »!


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