Ils sont forts ces Teutons car ils ont toujours un mot plus précis et plus vrai pour désigner des choses qui nous demandent 12 propositions subordonnées relatives en français.
"Schadenfreude" en est un exemple parfait ; et si ce mot existait dans notre douce langue de mangeurs de grenouilles, ce post ferait sans doute la moitié de sa taille actuelle.
Donc.
Schadenfreude, pour les non-germanophones et tous les germanophones qui ont jeté l'éponge après 4-5 ans de tentatives vaines de maîtrise des déclinaisons à l'accusatif, d'apprentissage laborieux des genres des mots, d'antisèches pour éviter la confusion tragique entre der Mensch (l'homme) et das Mensch (la prostituée), de traductions approximatives et d'umlaut mal placés ..., bref, Schadenfreude, ça veut dire "celui qui se réjouit du malheur des autres".
Et il se réjouissait sûrement de mon malheur de germanophone acharnée, ce cruel étourdi qui m'acheva un jour d'un "Mais ça ne sert à rien de faire de l'allemand, tous les Allemands parlent parfaitement anglais". Boum. Comme assommée par une bibliothèque de dictionnaires franco-teutons, je vacillais sous le poids de cette atroce nouvelle. What the **** !!! Sept ans dédiés à la langue de Goethe, à ces mille et unes subtilités, aux 10 tomes de grammaire qu'il faut maîtriser avant de pouvoir formuler un enchaînement basique sujet-verbe-complément, autant d'efforts pour le même résultat qu'un bon vieux visionnage de séries en VO.
Alors, bon, on essaye de se raisonner, on inspire profondément et on tente de faire un décompte appliqué de toutes les utilités de ce bel enseignement.
* On peut regarder en VO et - presque - sans sous-titres Goodbye Lenin et Das Leben der Anderen (La vie des autres, hé patate, si t'avais fait de l'allemand, hé hé ... je schadenfreude à mort)
* Chantonner sur Tokyo Hotel et Nina Hagen en faisant croire, que non, ce n'est pas un gloubiboulga informe qu'on prononce, mais que d'ailleurs leurs textes sont pas mal ...
* Comprendre quelques (bribes de) phrases de Angela à Nico lors des sommets européens avant même la traduction de l'interprète - ouais ouais
* Lire Nietzsche dans le texte ... euh non en fait, mais parait que même les Allemands le font pas trop
Je crois que la longue liste s'arrête là.
On pourrait ajouter à ces utilités une faculté de concentration extrême tirée de l'astucieuse construction de la phrase allemande, qui veut que le verbe soit toujours à la fin de la celle-ci. A l'écoute d'une longue phrase, ça occasionne des séances d'une sorte d'apnée de concentration intense sur le moment où %*!#&, il va tomber ce %*!#&, de verbe que je comprenne enfin quelque chose à ce qu'on me raconte.
(Et idem quand on parle, cette histoire de verbe en fin de phrase, c'est une véritable épée de Damoclès, ça vous menace comme une retenue dans une addition à 12 chiffres pendant toute la phrase, et arrivé à la fin de celle-ci, vous ne vous rappelez même plus quel verbe, ou quel temps, ou quel accord vous vouliez utiliser ; du coup pas étonnant qu'on se cantonne à des enchaînements basiques sujet-complément-verbe).
Ne reste donc plus aux germanophones démissionnaires dont je suis, qu'à aller porter la mauvaise nouvelle, et devenir à leur tour des Schadenfreude ... Pour les autres, il reste encore des dizaines de cas particuliers d'utilisation de la proposition "zu", des milliers de mots aux genres traitres comme "le table" ou "la garage" à apprendre, et tout autant de moments de fierté devant leur sinon parfaite du moins bonne maîtrise de cette langue revêche.