Outre les deux expositions temporaires dédiées à Gino De Dominicis et à Kutlug Ataman (et une autre sur l’architecte Luigi Moretti), le nouveau musée romain MAXXI déploie (jusqu’au 23 janvier) une présentation de ses collections dans ses espaces labyrinthiques, sur le thème de l’Espace, décliné en quatre chapitres (pas toujours très explicites ni cohérents) : Naturel artificiel, Du corps à la ville, Cartes du réel, La scène et l’imaginaire. Impossible de tout mentionner bien sûr; voici seulement quelques pièces proéminentes parmi les 70 artistes (et dix architectes) présentés dans cette grande exposition.
Le mur occidental de Fabio Mauri reprend bien sûr l’appellation israélienne du Mur des Lamentations; c’est un mur d’exilés, de proscrits, d’errants, de diaspora, de réfugiés, fait de vieilles valises en cuir, avec, au milieu, dans un renfoncement, une photographie de femme au fond d’une malle, comme une icône de voyage. Un brin de lierre vert maigrichon s’infiltre entre les valises, comme un signe d’espoir. Mais c’est là la façade : valises bien alignées, bien cirées, mur lisse, fait pour être montré, pour dire une histoire bien réglée. Si on contourne le mur, si on investigue, si on ne se fie pas à l’apparence, alors l’autre côté du mur n’est que chaos irrégulier, plein d’aspérités et de protubérances, désordre essentiel et injuste. Serait-ce une oeuvre politique ?
Sculture di linfa de Penone emplit toute une salle et absorbe le visiteur, par la vue, le toucher et l’olfaction : murs revêtus de cuir imitant l’écorce, marbre ridé et rugueuxau sol, sève stagnant dans la fissure d’un totem de bois clair. ‘Linfa’, c’est aussi bien la sève des arbres que la lymphe sous notre peau. Est-ce notre peau ou celle de l’arbre ? Cette installation (montrée à Venise en 2007) est comme un temple païen, connectant homme et nature de manière magique.
Au bout d’un couloir-tranchée, North Pole Map, une tapisserie de William Kentridge montre ces deux figures noires, blason de deux danseurs fantasmagoriques affrontés. En fond, la reproduction d’un vieil atlas allemand montre le monde vu d’en haut. Le contraste entre les étendues désolées que la carte nous laisse imaginer et l’élégance des deux silhouettes génère une étrange poésie. Voir la tapisserie non pas frontalement, mais toujours en biais, d’en bas ou de côté, vu l’endroit où elle est accrochée, pourrait être dérangeant, mais en fait ces changements de point de vue contribuent, à mes yeux, à faire mieux danser les figures (contrairement à cette opinion).Mais il est vrai que, trop souvent, l’architecture du musée écrase certaines des pièces présentées; en particulier, les reflets lumineux sont intolérables, par exemple quand le plafond s’orne d’une série sinueuse de lampes, certes épousant les formes de la construction, mais dérangeant au plus haut point le regard sur les oeuvres.
Heureusement l’installation de Luca Vitone, Sonorizzare il luogo (Grand tour) est essentiellement sonore : vingt socles de bois représentent les vingt régions italiennes, en ligne du nord au sud. Le sommet de chaque socle est découpé aux formes de la région (ici, la Calabre) et, par chaque orifice, est diffusée une musique régionale. Identité régionale et cacophonie nationale, intérêt pour les particularismes, les autonomies, les dialectes et les traditions, mais pêle-mêle inaudible, c’est un travail sur l’identité, la mémoire et la modernité. Serait-ce une oeuvre politique ? Les Kabakov sont représentés par une installation étonnante, Where is our place ?, articulée selon trois niveaux, trois échelles et trois époques : une salle de musée classique avec des tableaux anciens, mais démesurée, si bien qu’on ne voit que les jambes des visiteurs et le bas des toiles, le reste étant caché par le plafond; un espace d’exposition contemporain, à notre échelle, avec photographies et poèmes (médias d’aujourd’hui ?); et, visible par des ouvertures vitrées dans le sol, un paysage virtuel du futur, mais en miniature. Passant d’une échelle à l’autre, d’une époque à l’autre, le visiteur s’interroge sur la relativité et sur son rapport à l’histoire : magnifions-nous le passé ? négligeons-nous le futur ? Serait-ce une oeuvre politique ? Je pourrais encore citer des dizaines d’oeuvres, les tubes de Fallope noirs (’Widow’) d’Anish Kapoor (moins somptueux que le Marsyas de la Tate), le triple igloo en verre de Mario Merz ou les rigoles de Pino Pascali, mais terminons avec la cellule-cage d’où Antonio Gramsci sortit pour mourir, reconstituée par Alfredo Jaar, Infinite Cell, dont les murs en miroir l’agrandissent à l’infini, impliquant le spectateur de manière très émotionnelle : prison universelle ou libération virtuelle, c’est une oeuvre politique !Photos Mauri, Kentridge et Vitone par l’auteur. Penone et les Kabakov étant représentés par l’ADAGP, les photos de leurs oeuvres seront retirées du blog à la fin de l’exposition.