La Valette… LE PORT DES PORTS

Publié le 25 août 2010 par Ruminances

Posté par Rémi Begouen le 25 août 2010

J’ai bien connu dans mon enfance Port-Saïd, à mes 20 ans Le Havre et, actuellement, St-Nazaire. J’ai un peu connu, aussi, Hambourg et Rotterdam, Londres et Dublin,‘au nord’. Ainsi que,‘au sud’, Alexandrie et Beyrouth, Le Pirée et Naples, Venise et Gênes, Tanger et Casablanca, Marseille et Toulon (et même, au bout du monde, Shanghai). Et beaucoup plus de petits ports, tel la si belle Syracuse, qui fut un très grand port dans l’antiquité. Elle se console aujourd’hui d’être une chanson célèbre et surtout la voie de transit pour les sages visiteurs de l’archipel de Malte, qui savent qu’il FAUT arriver là par la mer, à La Valette, Valletta, le port des ports, pour moi. Trente-cinq ans plus tard, j’étais en 1981 très heureux de retourner à La Valette (du nom d’un ‘grand maître’ français de l’Ordre de Malte, fondateur de la forteresse, devenue capitale de Malte sous le nom de Valeta ou Valletta…). Si heureux que je me suis ingénié à m’introduire à la passerelle du bateau, raconter au capitaine ‘mon histoire’ (ce bel italien, heureusement francophone, fut très sensible à mon récit) :

« La première fois que je suis venu à La Valette, c’était en 1946, j’avais huit ans. C’était dans un bateau italien réquisitionné par la Royal Navy. Il y avait un capitaine italien et un capitaine anglais, un équipage italien et des militaires britanniques. Ma famille avait passé toute la guerre bloquée en Égypte (mon père travaillait au canal de Suez) et c’était pour moi la découverte de la France. Mais, au large de Malte, il y eut une grève des marins italiens (pour des raisons que j’ignore). Heureusement, la mer était calme et les dauphins distrayants. Les militaires britanniques, deux jours plus tard, prirent la décision de manœuvrer eux-mêmes le bateau sur La Valette (escale imprévue). Mais l’accostage se fit mal : une déchirure de la coque, qui mit tout le monde à terre, vite fait, en urgence… Il paraît que l’équipage rebelle (dont le capitaine italien) fut mis en prison. Mais nous, les passagers, furent logés gratis à l’hôtel… huit jours, avant qu’un autre bateau ne nous amène en France… C’est ainsi que j’ai connu Malte, avant la France ! »

Suite à ce récit, j’eus l’insigne honneur de rester à la passerelle pour l’entrée du navire à La Valette et son accostage, évidemment impeccable. Premier spectacle inoubliable. Puis j’allais me balader, après avoir trinqué avec le beau capitaine. Je suis resté quinze jours dans l’archipel… il est hors de question de le relater ici (j’en ai fait une nouvelle ‘La Perle Noire’, dont j’ai encore quelques exemplaires, avis aux amateurs). Mais je reviens à mon sujet : ‘Le port des ports’ c’est La Valette. Immense, étrange, compliqué, populaire, contrasté, laborieux, joyeux, sale, beau, c’est La Valette… dès que l’on fuit le mic-mac des hôtels super-étoilés… qui sont d’ailleurs éloignés des quartiers besogneux où j’ai vécu. Là, par exemple, j’ai, gratis, fait un tour en barque à rames (nommée ‘House Opéra’ !) par un vieux ténor qui chantait en se baladant dans le dédale des darses et autres sites de réparations navales, l’une des grandes spécialités de Malte. Oui, je sais, une autre spécialité maltaise est ‘le pavillon de complaisance’ de saloperies genre Erika, et pire sans doute, le ‘paradis fiscal’ maltais, comme ceux de Caïman, Vierges et Monaco… Mais je vous parle du grand port des maltais. Lequel regroupe la moitié des habitants de l’archipel… lequel archipel regroupe la moitié des maltais, l’autre moitié étant en diaspora, partout en pays méditerranéens, en Australie, au Canada, etc. Mais je vous parle du grand port, d’un vieux fou de ténor, aussi d’un vieux fou d’antiquaire, d’une folle famille de marins qui renflouait ‘Black Pearl’, un trois-mâts magnifique dont je devins huit jours le gardien de nuit (et dératiseur !) après avoir passé mes premières nuits à la belle étoile, entre des murailles magnifiques…

Bref je vous parle d’un coup de cœur – dont une aventure féminine cuisante dans un bordel en faillite, depuis le départ de la garnison britannique. Ce fut surtout une aventure portuaire dans le peuple industrieux et joyeux, très accueillant pour moi, aventurier-touriste-fauché, poète dans un peuple de poètes. Poètes d’une langue maltaise difficile, qui vient certes du phénicien antique, mais très fortement arabisée (il ne faut trop le dire aux ultra-catho qui y pullulent, autre contraste marrant). Cette langue invraisemblable est imprégnée aussi de mots italiens, et parfois français (comme ‘Bjou’ pour ‘bonjour’…). Et plus encore de mots anglais, langue que parlent presque tous les maltais, heureusement pour les visiteurs…

C’est la poésie de Malte, et notamment de La Valette, qui me reste au cœur, y compris dans la crasse des chantiers de réparations navales, et même dans un cimetière à bateaux, où l’on m’a fait découvrir un cadavre de caboteur venu mourir là après avoir livré des armes au FLN en Algérie et qui fut mitraillé par l’aviation française…

C’est que, sur l’Histoire, les Maltais sont champions. Ils s’estiment au centre du monde, rien que ça, avec raisons. Ils ont subi plusieurs dizaines d’invasions – dont le désastreux pillage de Bonaparte en route pour l'Égypte !- et gardent le moral. J’espère bien que c’est toujours le cas, aujourd’hui…

Aujourd’hui, les monstrueux porte-conteneurs révolutionnent les ports d’hier, à St-Nazaire, Le Havre, etc.

Pire, suite au 11 septembre 2001, les ports sont désormais grillagés, interdits à la balade poétique (le poète est terroriste en puissance, en effet… cf. Blaise Cendrars !). Je n’ose imaginer La Valette ainsi fliquée, brrr… Peut-être aurais-je loisir d’y aller voir. Mais on m’a fortement déconseillé d’aller revoir Port-Saïd, ce lieu de mon enfance où j’ai eu mes premiers copains maltais, ‘exfiltrés’ de Malte (assiégée par l’Axe), grâce à la Royal Navy au début des années 1940…

La quelle Navy reste prestigieuse aux yeux des Maltais : il est vrai qu’ils y ont été de nombreux et valeureux marins… On n’en pas à une contradiction près, dans ce peuple si patriote et poète !