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Saisissants portraits

Par Borokoff

A propos de Cleveland contre Wall Street de Jean-Stéphane Bron 4 out of 5 stars

Saisissants portraits

Janvier 2008. La municipalité de Cleveland, Ohio, tente d’intenter un procès contre 21 banques de Wall Street qu’elle juge responsables du scandale des « subprimes ». Ces crédits à risques ont entrainé des dizaines de milliers d’expropriations immobilières aux Etats-Unis depuis le début de la crise économique. Mais la pléthore d’avocats dépêchés par les banques américaines est parvenue à bloquer la tenue d’un procès. Jean-Stéphane Bron a néanmoins décidé de mettre en scène le procès qui n’a pas pu avoir lieu. Avec ses vrais acteurs. Soit un grand cabinet d’avocats de Cleveland, un vrai Palais de justice, des vraies victimes des « subprimes », des vrais juges, etc… Seuls les avocats défendant  les banques américaines ont refusé de jouer le jeu. C’est donc un avocat de Chicago qui a accepté d’enfiler sa robe pour les défendre…

En 2007, près de trois millions de foyers américains étaient en situation de défaut de remboursement des « subprimes », cet emprunt immobilier à taux élevé contracté auprès des banques. La même année, dans la seule ville de Cleveland, Ohio, 7000 logements étaient saisis par les banques pour défaut de remboursement. Plongeant ses habitants, déjà pauvres,  dans la misère.

Pour mettre en scène un procès qui n’a toujours pas eu lieu (mais se tiendra-t-il seulement un jour ?), Jean-Stéphane Bron, documentariste suisse, a imaginé un dispositif filmique comparable à celui mis en place par Abderrahmane Sissako dans Bamako (2006). Où, on se souvient, une chanteuse se disputait avec son mari au chômage tandis que dans la cour de leur maison se tenait un procès imaginaire. Un tribunal y avait été installé et des représentants de la société civile africaine s’attaquaient à la Banque mondiale et au FMI, responsables selon eux du drame économique qui secoue l’Afrique.

Dans Cleveland contre Wall Street, un tel procédé filmique a deux vertus. Premièrement, il parvient à expliquer clairement le système complexe pour ne dire opaque des « subprimes » et de la titrisation. Deuxièmement, l’artifice avec lequel Bron a mis en scène un tel procès fait ressortir, avec des traits d’autant plus marquants, les caractères des différents protagonistes. Une grande force visuelle se dégage de ces portraits des témoins ou acteurs du scandale des « subprimes ». Le rôle prépondérant qu’ont eu les banques américaines dans les milliers d’expulsions que connait Cleveland depuis le début de la crise économique mondiale parait presque évident. Dans les quartiers défavorisés de la ville, à Slavic Village notamment, on estime que 20 000 familles pauvres, en majorité noires, ont été expulsées à ce jour. Soit 100 000 personnes. Et les expulsions ont repris de plus belle après qu’Obama et L’Etat américain aient pu sauver les Banques américaines de la faillite.

Saisissants portraits

Filmant souvent en gros plan fixe, Bron fait passer devant sa caméra tous les protagonistes du scandale des « subprimes ». Traders, courtiers, avocats, témoins, acteurs. Alternant confessions des victimes et travellings des maisons abandonnées des quartiers pauvres de la ville, Slavic Vilage et East Cleveland en tête, devenus des zones de « non-droit ». Les images comme les témoignages sont frappants, notamment dans le portrait de cet ex-courtier en prêts hypothécaires, payé à la commission, et qui a vendu des « subprimes » par centaines. Dans sa voix et son attitude, de l’assurance, mais pas l’ombre d’un scrupule ou d’un remords. Contrairement à Michael Osinski, l’auteur d’un logiciel devenu un standard pour toutes les banques du monde et qui a permis la transformation d’hypothèques en produits financiers. Le visage marqué voire déconfit, Osinski décrit lui-même son programme comme la « bombe qui a fait exploser Wall Street ».

Quant à Keith Fisher, l’avocat des banques, bonhommie et sourire jovial, s’il défend avec acharnement  l’innocence des banques et un système capitaliste basé sur la libre entreprise, n’y a-t-il pas une pointe de mauvaise foi voire de cynisme dans son discours ? Comment croire que les Banques n’ont pas profité de la naïveté ou de la crédulité des Pauvres, eux qui dans la nécessité ou l’ignorance, n’ont pas pu ou su mesurer à quel point le risque de ne jamais pouvoir rembourser leur emprunt sur l’immobilier était élevé ?

Fisher se rapproche de l’avocat Peter Wallison, appelé aussi à témoigner. Cet ancien conseiller à la Maison Blanche sous Reagan est un théoricien renommé de la dérégulation des marchés financiers. C’est étonnant de remarquer à quel point, sous l’œil de la caméra de Bron, les traits des personnages ressortent dans leur véracité. Fisher parait peu sympathique, tout comme Wallison, dont l’air affable mais l’oeil aiguisé cachent un vrai requin.

C’est tout le contraire de Josh Cohen, l’avocat de la ville de Cleveland, que l’on sent investi et révolté, presque ému contre ce qui se passe dans sa ville. On pourrait citer tous les personnages du film, tant ils ont quelque chose à retenir, quelque chose de marquant dans leur visage, la  dureté de ce qu’ils vivent. Barbara Anderson en tête.

Reviennent en mémoire l’affaire Kerviel et la spéculation à laquelle s’adonnent systématiquement les banques tout en le niant. La morale (presque la parabole) du film pourrait être : « Et les Pauvres deviendront misérables, et les Riches de plus en plus riches… » Sans dévoiler la fin du film, il y a une chose incontestable, outre la responsabilité des Banques dans ce scandale des « subprimes » (l’équivalent du tristement célèbre « crédit revolving » en France), c’est que ce sont toujours les Pauvres auxquels elles s’attaquent.  Eux les boucs-émissaires car les plus vulnérables. Cela, personne ne le niera. Pas même Obama, que l’on voit passer à la télé à la fin du film et qui en prend aussi pour son grade. Dans un climat économique certes compliqué, sa réforme financière n’a pas résolu le problème des « subprimes ». Au contraire, les saisies immobilières sont même en hausse depuis juillet aux Etats-Unis. De quoi rêver plus fort à la tenue un jour d’un vrai procès…

www.youtube.com/watch?v=acprmrXFi08


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