1953-1977 :
La SF investit le rock'n'roll
Si le rock'n'roll n'influence guère la SF, la réciproque est moins vraie. Mais plutôt que de la littérature, le rock des années 50 s'inspire des films de série B à Z, des comics et d'une mythologie soucoupiste déjà copieuse, avec des titres comme « Martian Hop », « Purple People Eater » ou « Flying Saucers Rock'n'roll », ce dernier interprété par Billy Lee Riley & the Little Green Men ! En outre, alors que la face A d'un simple, celle du hit potentiel, fait l'objet d'un contrôle très strict de la part des maisons de disques, la bride est souvent laissée sur le cou aux artistes en ce qui concerne la face B, et certains en profitent pour délirer copieusement. On notera toutefois qu'ils affichent une nette préférence pour les thèmes horrifiques ou pouvant être traités ironiquement, à la manière de Screamin' Jay Hawkins, plutôt que pour ceux relevant de l'extrapolation sociale ou scientifique. Un certain nombre de break-in, ces 45 tours composés de brefs extraits de morceaux entrecoupés de passages parlés, mettent également en scène extraterrestres et soucoupes volantes. Vingt ans plus tard, des groupes comme les Cramps puiseront leur inspiration dans ces galettes obscures, qu'ils auront le pus souvent découvertes chez des brocanteurs.
Dans la première moitié des années 60, l'engouement pour la conquête de l'espace est à l'origine d'un cureux épiphénomène, dont témoignent les Spotnicks, des Suédois que leurs pochettes montrent vêtus de combinaisons spatiales plus ou moins réalistes, ou des instrumentaux comme le célèbre « Telstar » (1962) des Tornados, dédié au satellite du même nom qui connut son heure de gloire à l'époque de son lancement. Côté SF, c'est toujours le calme plat ; lorsqu'il publie En Terre étrangère (1961), Robert Heinlein ne se doute pas que ce livre va devenir une véritable référence pour Ken Kesey et les Merry Pranksters, les inventeurs des fameux acid tests qui verront les débuts du Grateful Dead lors de la formidable mutation qui s'annonce au milieu de la décennie.
En effet, l'inventon du folk-rock, l'influence de Bob Dylan et d'autres chanteurs à textes, l'apparition de préoccupations écologiques et d'un intérêt pour les espaces intérieurs, que l'on serait tenté d'attribuer aux effets du LSD, l'évolution même de la technologie qui ne cesse d'élargir la palette des sons disponibles — tout cela contribue à transforer ce qui était hier une musique de danse pour adolescents en un vecteur pour des idées nouvelles ou révolutionnaires — et pas seulement sur le plan politique.
La SF tient naturellement une place de choix dans ce formidable bouillonnement de sons, d'images et d'idées. Jimi Hendrix déclare venir de la planète Mars, les Byrds intitulent un album « Cinquième Dimension » (Fifth Dimension, 1966), Frank Zappa s'inquiète de la police de la pensée (« Who are the brain police? », 1966), le Pink Floyd de Syd Barrett grave dans le vinyle un éblouissant voyage spatial (« Interstellar Overdrive », 1967), Paul Kantner, bien rodé par les nombreuses chansons inspirées par la SF qu'il a écrites pour Jefferson Airplane, s'interroge sur l'avenir de l'homme dans un concept-album (Blows Against the Empire, 1970), King Crimson met en musique l'épitaphe de l'homme schizophrène du XXIe siècle (« 21st Century Schizoid Man », 1969) et Van Der Graaf Generator celle des voyageurs stellaires confrontés aux effets de la Relativité (« Pioneers Over C », 1970). Les noms des groupes eux-mêmes reflètent l'omniprésence de la SF et des genres connexes comme la fantasy : Commander Cody & his Lost Planet Airmen, Gandalf, les Hobbits, Cosmic Rock Show — et même H.P. Lovecraft ! La SF imprègne désormais le rock et ses dérivés naissants ; une culture populaire se déverse dans une autre culture populaire.
Roland C. Wagner