Premier roman pour Christophe Ghislain, lâché d'emblée dans le grand bain (celui de la rentrée littéraire). Une belle occasion, pour tous ceux qui se demandent comment ça se passe, comment on arrive là, d'éclaircir les chemins tortueux de l'édition, quand on n'est ni une vedette de la télévision ni un écrivain déjà confirmé...
Vous publiez, dans cette rentrée littéraire, La colère du rhinocéros. En même temps que 700 autres romans. Cette abondance ne vous effraie-t-elle pas?
Non. Pas vraiment. Vu de l’extérieur, ça peut sembler flippant. Vous, vous découvrez ce texte aujourd’hui, comme s’il venait de naître, comme si tout était encore à faire pour le gentil joli bébé rose – ce qui est le cas, d’une certaine façon. Pour moi, qui vis l’aventure depuis le début, c’est-à-dire depuis la conception du projet, c’est totalement différent. Des combats, ce rhinocéros et moi, on en a mené! Comme tous les auteurs, me direz-vous. Mais au final, peu importe. Moi, je sais juste mon parcours. Les années de doutes et les espoirs qu’on ose à peine formuler, la sueur, l’exaltation du lundi suivie de la déprime du mardi, sans même savoir si cette danse folle mènera quelque part. Je me souviens de ce jour. L’envoi du manuscrit, posté d’un geste ému, sans savoir une fois de plus – sera-t-il seulement lu? L’attente et les réponses, merci d’avoir pensé à nous mais non merci, et je vous passe le reste. Tout ce qui, durant près de quatre ans, a séparé l’écriture de la première ligne de ce coup de fil, un des plus beaux de ma vie: oui! Une femme, à l’autre bout du fil, elle a cet accent parisien et elle dit oui. Je ne connaissais personne. Ni dans le monde de l’édition, ni même pour me dire si j’étais dans le bon, avec ce texte. Je m’étais lancé simplement parce que je voulais écrire ce roman, et que c’était une raison suffisante… et enfin oui. Ça n’a rien de très original. Des paquets d’auteurs ont vécu ces choses-là. Mais pour moi, à partir de là, le reste c’est du bonus. Les ventes et les articles et les salons et je ne sais quoi. Que du bonus. Je ne vais pas vous mentir: si le rhino rencontre le succès, tant mieux! Je suis preneur! Mais de mon point de vue, j’ai déjà gagné. Mon roman est publié. Et il sera lu. (Ne serait-ce que par mes voisins.) Des milliers d’autres personnes n’ont pas eu cette chance. Quant aux 699 autres romans de la rentrée… je ne sais pas… bonne chance, j’imagine.
Quel a été le point de départ de votre roman? Une idée, une phrase, une image, que sais-je...?
L’accident de voiture. La bagnole à l’arrêt, déglinguée, après avoir percuté un rhinocéros endormi sur la route. C’était ça, mon point de départ. La première image. Le premier plan, à vrai dire. A l’époque, j’étais étudiant dans une école de cinéma. Il fallait avoir des idées, sans cesse, pour un scénario, un film, une pub, une émission de télé, une pièce de théâtre, un autre scénario ou un autre film. Ce plan m’est venu, et autour de lui quelques bribes. Gibraltar. Son père. La vieille et ses putes. Ça tenait en une page. Les prémisses de ce qui allait devenir La Colère du rhinocéros. Je n’avais jamais écrit de texte littéraire à proprement parler, mais quelques ateliers scénarios s’approchaient de la nouvelle, et je me suis dit «c’est ça!». J’ai vite pensé à écrire. Je ne savais pas quand. Je ne savais pas quoi. Mais ce plan et ces bribes, je les ai gardées pour moi, pendant deux ans, sans trop savoir dans quel but, et à la fin de mes études je les ai déterrés et j’ai tout repris à zéro.
Avez-vous été, dans votre travail, influencé par d'autres écrivains? Ou par d'autres artistes?
Impossible de faire autrement, à moins de vivre sur Mars. Avant d’être écrivain, je suis lecteur. Et forcément je suis influencé. Mais non, je n’essaye en aucun cas de pomper ceux que j’admire. Au contraire! (Ces gens, je les trouve tellement bons, je me sentirais bien ridicule d’aller jouer sur leur terrain.)
Si vous voulez des noms, en voilà :
John Irving. Le monde selon Garp. La première fois – je devais avoir dix-huit ans –, j’en ai lu cinquante pages, puis j’ai refermé le bouquin pour l’oublier une année entière, avant de l’ouvrir à nouveau. Et je ne l’ai plus lâché. Depuis, d’autres ont pris le relais : McCarthy, Harrison, Steinbeck, Bukowski, Dickens, Easton Ellis, Garcia Marquez, McCann, Cervantès, Rimbaud, Vian, Salinger, Capote, Baricco, Fante, Süskind et j’en oublie… (J’ai une mémoire de poisson rouge.) Sinon, j’ai beaucoup aimé Les aventures de Oui Oui.
Pourtant, quand j’écris, je ne lis presque plus. Mon propre texte occupe toute la place dans la case littérature de mon cerveau. Donc quand j’arrête, en fin de journée ou de matinée ou de soirée, j’ai envie de tout, sauf d’un bouquin. Quitter une page pour en retrouver une autre, au secours! Il y a le monde, autour! La vie, quoi! J’ai surtout envie de sortir de chez moi et de prendre l’air, de voir des amis, de respirer, de prendre ma corde et d’aller grimper. Un peu de vent dans les cheveux, bon sang! Et puis, s’il m’arrivait de lire un roman trop secouant, il pourrait avoir un impact sur mon travail en cours. Il y a déjà assez de doutes et de remises en question. Et, pour écrire, j’ai besoin d’être à 120% dans l’histoire, avec les personnages. Alors durant ces périodes, d’un point de vue littéraire, je vis dans une bulle. Aucune autre histoire, aucun autre personnage! Je me colle un panneau sens interdit sur le front, et ne veux plus rien savoir! Par contre, en-dehors de ces périodes, je lis beaucoup. Je me nourris.
Le projet du père de Gibraltar, «amener la mer à Trois-Plaines», est-il celui d’un fou ou d’un doux rêveur?
Je ne sais pas. Au lecteur de choisir. Si certains vous répondront ceci ou cela, d’autres y verront un peu des deux. En ce qui me concerne, je serais plutôt d’accord avec ces derniers. Se contenter de dire qu’Arthur est un fou, ou un rêveur, me semble assez réducteur. Il est tout ça, et d’autres choses encore. Quant à son projet… je le trouve d’une grande beauté, et terrible à la fois.